Commerce en ligne : une place de marché est-elle responsable des produits contrefaisants proposés par un tiers.

La place de marché participe-t-elle à l’atteinte à la marque quand le parfum vendu par un tiers n’a pas été autorisé à la vente dans l’Union par le titulaire de la marque ?

Cet arrêt rendu le 2 avril 2020 par la Cour de justice est d’autant plus d’actualité que le commerce en ligne explose avec les mesures de confinement et la place de marché en cause est celle du site Internet www.amazon.de

Deux sociétés du groupe Amazon se voient reprochées leur rôle par le titulaire des droits de marque. Amazon Service Europe qui offre à des vendeurs tiers la possibilité de publier, pour leurs produits, des offres de vente dans la partie « Amazon-Marketplace » du site Internet www.amazon.de. Et Amazon FC Graben, qui exploite un entrepôt.

Un contentieux en Allemagne

Le titulaire de  la licence de marque engage une action en Allemagne pour atteinte à la marque et demande que ces deux sociétés soient condamnées, sous peine de sanctions, à s’abstenir de détenir ou d’expédier, ou de faire détenir ou de faire expédier, en Allemagne, dans la vie des affaires, des parfums de la marque …. et à ce qu’elles soient condamnées pour avoir entreposé ces parfums pour le compte de cette société tierce ou de toute autre société non identifiée.

Le Landgericht rejette les demandes. Idem en appel.

Le titulaire de la licence forme un pourvoi.

Pour le Bundesgerichtshof se pose l’interprétation de l’article 9, paragraphe 2, sous b), du règlement no 207/2009 et de l’article 9, paragraphe 3, sous b), du règlement 2017/1001  qui prévoit différentes interdictions « b) d’offrir les produits, de les mettre sur le marché ou de les détenir à ces fins sous le signe, ou d’offrir ou de fournir des services sous le signe  » et partant de définir qui en sont les auteurs.

Cet arrêt est limité à cette situation particulière d’entreposage

34      En l’occurrence, il ressort de la décision de renvoi, d’une part, que les parties défenderesses au principal n’ont fait qu’entreposer les produits concernés, sans les avoir offerts elles-mêmes à la vente ou les avoir mis dans le commerce et, d’autre part, qu’elles n’entendaient pas davantage offrir ces produits à la vente ou les mettre dans le commerce.

35      Il convient dès lors de déterminer si une telle opération d’entreposage peut être considérée comme un « usage » de la marque, au sens de l’article 9, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 et de l’article 9, paragraphes 1 et 2, du règlement 2017/1001 et, en particulier, comme le fait de « détenir » ces produits aux fins de leur offre ou de leur mise dans le commerce, au sens de l’article 9, paragraphe 2, sous b), du règlement no 207/2009, dont la substance est reprise à l’article 9, paragraphe 3, sous b), du règlement 2017/1001.

36      À cet égard, il y a lieu de rappeler, en premier lieu, que ni le règlement no 207/2009 ni le règlement 2017/1001 ne définissent la notion de « faire usage » au sens de l’article 9 de ces règlements.

37      La Cour a toutefois déjà eu l’occasion de souligner que, selon son sens habituel, l’expression « faire usage » implique un comportement actif et une maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage. À cet égard, elle a relevé que l’article 9, paragraphe 2, du règlement no 207/2009, dont la substance est reprise à l’article 9, paragraphe 3, du règlement 2017/1001, qui énumère de manière non exhaustive les types d’usage que le titulaire de la marque peut interdire, mentionne exclusivement des comportements actifs de la part du tiers …..

38      La Cour a également rappelé que ces dispositions ont pour but de fournir au titulaire d’une marque un instrument légal lui permettant d’interdire, et ainsi de faire cesser, tout usage de sa marque qui est fait par un tiers sans son consentement. Cependant, seul un tiers qui a la maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage est effectivement en mesure de cesser cet usage et donc de se conformer à ladite interdiction …..

39      Elle a par ailleurs itérativement jugé que l’usage d’un signe identique ou similaire à la marque du titulaire par un tiers implique, à tout le moins, que ce dernier fasse une utilisation du signe dans le cadre de sa propre communication commerciale. Une personne peut ainsi permettre à ses clients de faire usage de signes identiques ou similaires à des marques, sans faire elle-même un usage desdits signes …..

La Cour s’est déjà prononcée dans des situations analogues

40      C’est ainsi que la Cour a considéré, s’agissant de l’exploitation d’une plateforme de commerce en ligne, que l’usage de signes identiques ou similaires à des marques, dans des offres à la vente affichées sur une place de marché en ligne, est fait par les clients vendeurs de l’exploitant de cette place de marché et non par cet exploitant lui-même…….

41      Elle a également relevé, s’agissant d’une entreprise dont l’activité principale est le remplissage de canettes avec des boissons produites par elle-même ou par des tiers, qu’un prestataire de service qui se limite à remplir, sur commande et sur les instructions d’un tiers, des canettes déjà pourvues de signes similaires à des marques et donc à exécuter simplement une partie technique du processus de production du produit final, sans avoir le moindre intérêt dans la présentation externe desdites canettes et notamment dans les signes y figurant, ne fait pas lui-même un « usage » de ces signes mais crée uniquement les conditions techniques nécessaires pour que ce tiers puisse faire un tel usage ……

42      De même, la Cour a jugé que, si un opérateur économique, qui importe ou remet à un entrepositaire, en vue de leur mise dans le commerce, des marchandises revêtues d’une marque dont il n’est pas titulaire, fait « usage » d’un signe identique à cette marque, tel n’est pas nécessairement le cas de l’entrepositaire qui fournit un service d’entreposage des marchandises revêtues de la marque d’autrui …………..

43      En effet, le fait de créer les conditions techniques nécessaires pour l’usage d’un signe et d’être rémunéré pour ce service ne signifie pas que celui qui rend ce service fasse lui-même un usage dudit signe …..

L’entreposage peut amener son auteur à se voir reconnaitre responsable par sa maîtrise, directe ou indirecte, de l’acte constituant l’usage

45      Il s’ensuit que, pour que l’entreposage de produits revêtus de signes identiques ou similaires à des marques puisse être qualifié d’« usage » de ces signes, encore faut-il, ainsi que l’a relevé, en substance, M. l’avocat général au point 67 de ses conclusions, que l’opérateur économique effectuant cet entreposage poursuive lui-même la finalité visée par ces dispositions, qui consiste en l’offre de produits ou en leur mise dans le commerce.

46      À défaut, il ne saurait être considéré que l’acte constituant l’usage de la marque est le fait de cette personne, ni que le signe soit utilisé dans le cadre de sa propre communication commerciale.

47      Or, en l’occurrence, s’agissant des parties défenderesses au principal, ainsi qu’il a été relevé au point 34 du présent arrêt, la juridiction de renvoi indique sans ambigüité que celles-ci n’ont pas elles-mêmes offert les produits concernés à la vente ni ne les ont mis dans le commerce, celle-ci précisant, du reste, dans le libellé de sa question, que c’est le tiers qui, seul, entend offrir les produits ou les mettre dans le commerce. Il s’ensuit qu’elles ne font pas, elles-mêmes, usage du signe dans le cadre de leur propre communication commerciale.

Le droit dit par la Cour de Justice

L’article 9, paragraphe 2, sous b), du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque [de l’Union européenne], et l’article 9, paragraphe 3, sous b), du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017, sur la marque de l’Union européenne, doivent être interprétés en ce sens qu’une personne qui entrepose pour un tiers des produits portant atteinte à un droit de marque sans avoir connaissance de cette atteinte doit être considérée comme ne détenant pas ces produits aux fins de leur offre ou de leur mise dans le commerce au sens de ces dispositions si cette personne ne poursuit pas elle-même ces finalités.

 

Le libellé d’une marque peut manquer de clarté et de précision sans affecter sa validité

L’arrêt rendu ce jour par la Cour de justice est à peine croyable.

Saisie sur question préjudicielles de la High Court of Justice, la Cour de justice admet qu’un libellé de produits et de services puisse manquer de clarté et de précision sans affecter la validité de la marque !

La présentation de l’arrêt est

Le droit dit à l’arrêt de la Cour de justice du 29 janvier 2020

1)      Les articles 7 et 51 du règlement (CE) no 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, tel que modifié par le règlement (CE) no 1891/2006 du Conseil, du 18 décembre 2006, ainsi que l’article 3 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doivent être interprétés en ce sens qu’une marque communautaire ou une marque nationale ne peut pas être déclarée totalement ou partiellement nulle au motif que des termes employés pour désigner les produits et les services pour lesquels cette marque a été enregistrée manquent de clarté et de précision.

2)      L’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement no 40/94, tel que modifié par le règlement no 1891/2006, et l’article 3, paragraphe 2, sous d), de la première directive 89/104 doivent être interprétés en ce sens qu’une demande de marque sans aucune intention de l’utiliser pour les produits et les services visés par l’enregistrement constitue un acte de mauvaise foi, au sens de ces dispositions, si le demandeur de cette marque avait l’intention soit de porter atteinte aux intérêts de tiers d’une manière non conforme aux usages honnêtes, soit d’obtenir, sans même viser un tiers en particulier, un droit exclusif à des fins autres que celles relevant des fonctions d’une marque. Lorsque l’absence d’intention d’utiliser la marque conformément aux fonctions essentielles d’une marque ne concerne que certains produits ou services visés par la demande de marque, cette demande ne constitue un acte de mauvaise foi que pour autant qu’elle vise ces produits ou services.

3)      La première directive 89/104 doit être interprétée en ce sens qu’elle ne s’oppose pas à une disposition de droit national aux termes de laquelle un demandeur de marque doit déclarer que cette dernière est utilisée pour les produits et les services visés par la demande d’enregistrement ou qu’il a, de bonne foi, l’intention de l’utiliser à ces fins, pour autant que la violation d’une telle obligation ne constitue pas, en tant que telle, un motif de nullité d’une marque déjà enregistrée.

La marque bidimensionnelle est-elle soumise à l’exclusion de forme ?

L’article  7, paragraphe 1, sous e), du règlement no 207/2009 exclut de la protection à titre de marque les signes constitués exclusivement : par la forme, ou une autre caractéristique, imposée par la nature même du produit ;

Cette disposition qui est opposée classiquement aux marques tridimensionnelles,  s’applique-t-elle aussi à une marque bidimensionnelle quand celle-ci constitue le motif d’un tissu ?

La Cour de justice y répond le 14 mars 2019, c’est par là

Quel juge l’avocat doit-il saisir pour trancher un contentieux relatif à la propriété d’une marque ?

Quel juge l’avocat doit-il saisir pour trancher un contentieux relatif à la propriété d’une marque déposée au Bénélux et dont celui qui se dit propriétaire est allemand ?

Deux  articles du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale sont en cause.

La juridiction allemande ?

Article 2

  1. Sous réserve des dispositions du présent règlement, les personnes domiciliées sur le territoire d’un État membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État membre.

Ou le juge de La Haye ?

Article 22

« Sont seuls compétents, sans considération de domicile:

4) en matière d’inscription ou de validité des brevets, marques, dessins et modèles, et autres droits analogues donnant lieu à dépôt ou à un enregistrement, les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé, a été effectué ou est réputé avoir été effectué aux termes d’un instrument communautaire ou d’une convention internationale.

..

La réponse est donnée par l’arrêt de la Cour de Justice du 5 octobre 2017. Sa présentation est ici.

Contrefaçon de marque, de dessin et modèle, de brevet : la preuve du lieu de destination des marchandises en transit pour l’intervention des douanes

A propos des marchandises en transit suspectées de contrefaçon et de la possibilité d’intervenir pour les douanes, la CJUE a rendu un arrêt le 1er décembre 2011 [ ici ], affaires C-446/09 et C-495/09,  qui souligne l’importance du lieu de destination de telles marchandises en Europe ou ailleurs, et toutes les conséquences à tirer de l’absence de cette indication ou de l’incertitude sur ce lieu :

 

Le règlement (CE)n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant certaines mesures concernant l’introduction dans la Communauté et l’exportation et la réexportation hors de la Communauté de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, tel que modifié par le règlement (CE) n° 241/1999 du Conseil, du 25 janvier 1999, et le règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, doivent être interprétés en ce sens que:

–        des marchandises provenant d’un État tiers et constituant une imitation d’un produit protégé dans l’Union européenne par un droit de marque ou une copie d’un produit protégé dans l’Union par un droit d’auteur, un droit voisin, un modèle ou un dessin ne sauraient être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» au sens desdits règlements en raison du seul fait qu’elles sont introduites sur le territoire douanier de l’Union sous un régime suspensif;

–        ces marchandises peuvent, en revanche, porter atteinte audit droit et donc être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» lorsqu’il est prouvé qu’elles sont destinées à une mise en vente dans l’Union européenne, une telle preuve étant fournie, notamment, lorsqu’il s’avère que lesdites marchandises ont fait l’objet d’une vente à un client dans l’Union ou d’une offre à la vente ou d’une publicité adressée à des consommateurs dans l’Union, ou lorsqu’il ressort de documents ou d’une correspondance concernant ces marchandises qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union est envisagé;

–        pour que l’autorité compétente pour statuer sur le fond puisse utilement examiner l’existence d’une telle preuve et des autres éléments constitutifs d’une atteinte au droit de propriété intellectuelle invoqué, l’autorité douanière saisie d’une demande d’intervention doit, dès qu’elle dispose d’indices permettant de soupçonner l’existence de ladite atteinte, suspendre la mainlevée ou procéder à la retenue desdites marchandises, et que

–        parmi ces indices peuvent figurer, notamment, le fait que la destination des marchandises n’est pas déclarée alors que le régime suspensif sollicité exige une telle déclaration, l’absence d’informations précises ou fiables sur l’identité ou l’adresse du fabricant ou de l’expéditeur des marchandises, un manque de coopération avec les autorités douanières ou encore la découverte de documents ou d’une correspondance concernant les marchandises en cause de nature à laisser supposer qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union européenne est susceptible de se produire.

A propos de COGNAC : une marque se voit opposée l’indication géographique et les accords ADPIC

Les conflits entre les marques et les indications géographiques sont fréquents. Généralement en Europe, la solution est donnée par les directives et règlements applicables.

L’arrêt rendu le 14 juillet par la CJUE, C-4/10 et C-27/10,  met en œuvre également les ADPIC pour dégager « des conditions uniformes d’exécution d’une règle » dans le temps.

 

Les dates

19 décembre 2001 : dépôt devant l’office finlandais de deux demandes de marque par une société finlandaise.

Ces deux marques portent sur des étiquettes  qui présentent des parties verbales :

– pour l’une :  «COGNAC L & P HIENOA KONJAKKIA Lignell & Piispanen Product of France 40 % Vol 500 ml »

– pour l’autre :  «KAHVI-KONJAKKI Cafe Cognac Likööri – Likör – Liqueur 21 % Vol Lignell & Piispanen 500 ml».

31 janvier 2003 : l’office accepte ces demandes.

10 septembre 2004 : le Bureau interprofessionnel du Cognac fait opposition à ces deux enregistrements : l’opposition est rejetée pour le premier mais pour le second, l’opposition est acceptée.

22 octobre 2007 : la Chambre de recours de l’office renverse la situation au détriment du Bureau interprofessionnel du Cognac : les deux marques sont validées.

Le Bureau interprofessionnel du Cognac saisit la Cour administrative finlandaise qui va interroger la CJUE de différentes questions préjudicielles.

 

Une seule question préjudicielle retient notre attention. A son occasion la Cour va dégager « des conditions uniformes d’exécution d’une règle déjà en vigueur dans le droit de l’Union » avant la date d’entrée en vigueur du règlement dont l’application est demandée.

Voyons la démarche méthodologique suivie par la Cour !

S’il n’était pas discuté que « Cognac » puisse bénéficier de la protection du règlement n° 110/2008 pour s’opposer à des enregistrements à titre de marque, – l’indication géographique Cognac est prévue à son annexe III – , la difficulté rencontrée par le juge finlandais portait sur la date de l’entrée en vigueur de ce règlement : le 20 mai 2008 (l’arrêt indique au point 20, le 20 février 2008), c’est à dire postérieurement à la date des dépôts des deux demandes.

La Cour de justice va procéder en deux temps :

  • Elle va rechercher si le règlement a prévu de s’appliquer à des situations antérieures : ce qu’elle va trouver effectivement avec l’article 23 qui tient compte des situations antérieures en permettant le maintient d’une marque qui entre en conflit avec une indication géographique  et qui a été enregistrée :

– soit avant la date de protection de l’indication géographique

– soit avant le 1er janvier 1996.

  • Elle vérifie que les indications géographiques étaient protégées antérieurement à la date d’entrée en vigueur du règlement en invoquant ….. les accords ADPIC :

« le règlement n° 110/2008 aux indications géographiques s’inscrit dans le prolongement de celle déjà garantie par le règlement n° 3378/94, lequel avait introduit dans le règlement n° 1576/89, avec effet au 1er janvier 1996, un article 11 bis ».

En vertu du paragraphe 1 dudit article 11 bis, les États membres étaient tenus de prendre toutes les mesures nécessaires permettant aux intéressés d’empêcher, dans les conditions prévues aux articles 23 et 24 de l’accord ADPIC, l’utilisation dans la Communauté d’une indication géographique pour des produits n’étant pas originaires du lieu indiqué par ladite indication. Or, l’article 23, paragraphe 2, de cet accord prévoit que l’enregistrement d’une marque contenant ou constituée par une indication géographique identifiant des boissons spiritueuses doit être refusé ou invalidé en ce qui concerne les boissons spiritueuses qui n’ont pas cette origine, tandis que l’article 24, paragraphe 5, dudit accord énonce une dérogation au bénéfice des marques enregistrées ou acquises de bonne foi avant l’entrée en vigueur de l’accord lui-même ou avant que l’indication géographique ne soit protégée.

Pour conclure : à compter du 1er janvier 1996, date de l’entrée en vigueur du règlement n° 3378/94, les règles de protection des indications géographiques prévues par l’accord ADPIC avaient été incorporées dans le droit de l’Union.

Pour la Cour :

ce règlement « ne fait qu’établir des conditions uniformes d’exécution d’une règle déjà en vigueur dans le droit de l’Union, tandis que le paragraphe 2 du même article maintient les dérogations temporelles déjà reconnues par le droit de l’Union.« 

Il s’ensuit que l’application de ces dispositions ne porte pas atteinte au principe de sécurité juridique ni à celui de protection de la confiance légitime des intéressés.

Le lecteur attentif aura noté comme le relève la Cour, que :

le terme «Cognac», inclus dans les marques dont l’enregistrement est à l’origine des litiges au principal, figure tant dans l’annexe III du règlement n° 110/2008 que dans l’annexe II du règlement n° 1576/89 en tant qu’indication géographique identifiant une boisson spiritueuse originaire de France. Indépendamment de la protection dont il bénéficie en droit français, le terme «Cognac» est donc protégé en tant qu’indication géographique dans le droit de l’Union depuis le 15 juin 1989, date à laquelle le règlement n° 1576/89 est entré en vigueur

 

Vente en ligne, produits marqués, emballages modifiés, nécessité de mise en oeuvre de dispositif préventif : l’arrêt du 12 juillet de la CJUE

Le commerce en ligne par les marques qu’il emploie, est régulièrement soumis au contrôle de la Cour de Justice.

Les juges de la Cour de Justice de l'Union européenne
Les juges de la Cour de Justice, source : curia.europa.eu

 

L’arrêt rendu le 12 juillet par la CJUE est important parce qu’il :

  • a été rendu par la Grande Chambre de la CJUE
  • s’applique à la vente en ligne
  • concerne la vente en ligne et en direction de l’Union Européenne de produits marqués qui n’avaient pas été mis sur le marché européen par leur titulaire
  • porte sur l’emploi de la marque dans la publicité
  • apporte une précision importante sur la situation de l’exploitant d’une place de marché en ligne au regard de la directive du 8 juin 2000 sur le commerce en ligne, et le régime d’exonération  de responsabilité après sa connaissance des faits illicites
  • prévoit que les juridictions nationales puissent ordonner contre les places de marché en ligne :

– non seulement de faire cesser des pratiques illicites

– mais également de mettre en place des dispositifs préventifs

 

1)      Lorsque des produits situés dans un État tiers, revêtus d’une marque enregistrée dans un État membre de l’Union ou d’une marque communautaire et non auparavant commercialisés dans l’Espace économique européen ou, en cas de marque communautaire, non auparavant commercialisés dans l’Union, sont vendus par un opérateur économique au moyen d’une place de marché en ligne et sans le consentement du titulaire de cette marque à un consommateur situé sur le territoire couvert par ladite marque ou font l’objet d’une offre à la vente ou d’une publicité sur une telle place destinée à des consommateurs situés sur ce territoire, ledit titulaire peut s’opposer à cette vente, à cette offre à la vente ou à cette publicité en vertu des règles énoncées à l’article 5 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, telle que modifiée par l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, ou à l’article 9 du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire. Il incombe aux juridictions nationales d’apprécier au cas par cas s’il existe des indices pertinents pour conclure qu’une offre à la vente ou une publicité affichée sur une place de marché en ligne accessible sur ledit territoire est destinée à des consommateurs situés sur celui-ci.
2)      La fourniture par le titulaire d’une marque, à ses distributeurs agréés, d’objets revêtus de celle-ci, destinés à la démonstration aux consommateurs dans les points de vente agréés, ainsi que de flacons revêtus de cette marque, dont de petites quantités peuvent être prélevées pour être données aux consommateurs en tant qu’échantillons gratuits, ne constitue pas, en l’absence d’éléments probants contraires, une mise dans le commerce au sens de la directive 89/104 ou du règlement n° 40/94.
3)      Les articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n° 40/94 doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque peut, en vertu du droit exclusif conféré par celle-ci, s’opposer à la revente de produits, tels que ceux en cause dans l’affaire au principal, au motif que le revendeur a retiré l’emballage de ces produits, lorsque ce déconditionnement a pour conséquence que des informations essentielles, telles que celles relatives à l’identification du fabricant ou du responsable de la mise sur le marché du produit cosmétique, font défaut. Lorsque le retrait de l’emballage n’a pas conduit à un tel défaut d’informations, le titulaire de la marque peut néanmoins s’opposer à ce qu’un parfum ou un produit cosmétique revêtu de la marque dont il est titulaire soit revendu dans un état déconditionné, s’il établit que le retrait de l’emballage a porté atteinte à l’image dudit produit et, ainsi, à la réputation de la marque.
4)      Les articles 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 et 9, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94 doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque est habilité à interdire à l’exploitant d’une place de marché en ligne de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet exploitant a sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits de cette marque mis en vente sur ladite place de marché, lorsque cette publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si lesdits produits proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers.
5)      L’exploitant d’une place de marché en ligne ne fait pas un «usage», au sens des articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n° 40/94, des signes identiques ou similaires à des marques qui apparaissent dans des offres à la vente affichées sur son site.
6)      L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à l’exploitant d’une place de marché en ligne lorsque celui-ci n’a pas joué un rôle actif qui lui permette d’avoir une connaissance ou un contrôle des données stockées.
Ledit exploitant joue un tel rôle quand il prête une assistance laquelle consiste notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci.
Lorsque l’exploitant de la place de marché en ligne n’a pas joué un rôle actif au sens visé à l’alinéa précédent et que sa prestation de service relève, par conséquent, du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, il ne saurait néanmoins, dans une affaire pouvant résulter dans une condamnation au paiement de dommages et intérêts, se prévaloir de l’exonération de responsabilité prévue à cette disposition s’il a eu connaissance de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité des offres à la vente en cause et, dans l’hypothèse d’une telle connaissance, n’a pas promptement agi conformément au paragraphe 1, sous b), dudit article 14.
7)      L’article 11, troisième phrase, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens qu’il exige des États membres d’assurer que les juridictions nationales compétentes en matière de protection des droits de la propriété intellectuelle puissent enjoindre à l’exploitant d’une place de marché en ligne de prendre des mesures qui contribuent, non seulement à mettre fin aux atteintes portées à ces droits par des utilisateurs de cette place de marché, mais aussi à prévenir de nouvelles atteintes de cette nature. Ces injonctions doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et ne doivent pas créer d’obstacles au commerce légitime.

Portée territoriale de l’interdiction prononcée par le Tribunal des Marques Communautaires, l’arrêt du 12 avril de la Grande Chambre de la CJCE

Par son arrêt du 23 juin 2009, la Cour de Cassation avait interrogé la CJCE sur l’effet d’une décision d’interdiction sur l’espace communautaire prononcée par la Cour de Paris en tant que Tribunal des Marques Communautaires .

Le 12 avril 2011, la Grande Chambre de la CJCE, ce qui souligne déjà l’importance  de cet arrêt, a apporté ses réponses.

L’article 98, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, tel que modifié par le règlement (CE) n° 3288/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, doit être interprété en ce sens que la portée de l’interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire prononcée par un tribunal des marques communautaires, dont la compétence est fondée sur les articles 93, paragraphes 1 à 4, et 94, paragraphe 1, de ce règlement, s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union européenne.

L’article 98, paragraphe 1, seconde phrase, du règlement n° 40/94, tel que modifié par le règlement n° 3288/94, doit être interprété en ce sens qu’une mesure coercitive, telle une astreinte, ordonnée par un tribunal des marques communautaires en application de son droit national en vue de garantir le respect d’une interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon qu’il a prononcée, produit effet dans les États membres autres que celui dont relève ce tribunal, auxquels s’étend la portée territoriale d’une telle interdiction, dans les conditions prévues au chapitre III du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, en ce qui concerne la reconnaissance et l’exécution des décisions de justice. Lorsque le droit national de l’un de ces autres États membres ne contient aucune mesure coercitive analogue à celle prononcée par ledit tribunal, l’objectif auquel tend cette dernière devra être poursuivi par le tribunal compétent de cet État membre en recourant aux dispositions pertinentes du droit interne de ce dernier de nature à garantir de manière équivalente le respect de ladite interdiction.

Décryptage;

Un principe est rappelé : celui de l’uniformité de la protection de la marque communautaire :

« la Cour a déjà jugé, au point 60 de l’arrêt du 14 décembre 2006, Nokia (C‑316/05, Rec. p. I‑12083), que l’objectif visé par l’article 98, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 est de protéger de façon uniforme sur tout le territoire de l’Union le droit conféré par la marque communautaire contre le risque de contrefaçon.

44      En vue de garantir cette protection uniforme, l’interdiction de poursuivre les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon prononcée par un tribunal des marques communautaires compétent doit donc, en principe, s’étendre à tout le territoire de l’Union. »

Le contenu est ensuite explicité : la protection de la marque est limitée à ses fonctions :

«  Toutefois, la portée territoriale de l’interdiction peut, dans certains cas, être restreinte. En effet, le droit exclusif du titulaire de la marque communautaire, prévu à l’article 9, paragraphe 1, du règlement n° 40/94, est octroyé afin de permettre à ce titulaire de protéger ses intérêts spécifiques en tant que tels, c’est-à-dire de s’assurer que cette marque est en mesure de remplir ses fonctions propres. Dès lors, l’exercice de ce droit doit être réservé aux cas dans lesquels l’usage du signe par un tiers porte atteinte ou est susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque »

La Cour rappelle l’affaire Google : son arrêt du 23 mars 2010, C‑236/08 à C‑238/08.

D’où en creux, puisque la Cour ne veut surtout pas se lancer dans une énumération qui hypothéquerait l’avenir : si des motifs linguistiques peuvent en être la cause, ils ne sont pas nécessairement les seuls :

« Les actes ou les futurs actes du défendeur, à savoir la personne faisant l’usage incriminé de la marque communautaire, qui ne constituent pas une atteinte aux fonctions de la marque communautaire ne sauraient dès lors faire l’objet d’une interdiction. »

« Partant, si le tribunal des marques communautaires saisi dans des conditions telles que celles au principal constate que les actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire se limitent à un seul État membre ou à une partie du territoire de l’Union, notamment, parce que l’auteur de la demande d’interdiction a restreint la portée territoriale de son action dans le cadre de l’exercice de son libre pouvoir de déterminer l’étendue de l’action qu’il introduit ou parce que le défendeur apporte la preuve que l’usage du signe en question ne porte pas atteinte ou n’est pas susceptible de porter atteinte aux fonctions de la marque, notamment pour des motifs linguistiques, ce tribunal doit limiter la portée territoriale de l’interdiction qu’il prononce. »

Point important : le Tribunal des marques communautaires qui est saisi d’une demande d’interdiction, peut limiter cette interdiction au regard de considérations culturelles ou aux circonstances dans lesquelles le contrefacteur emploie le signe litigieux.

Reste la question de savoir qui va apprécier ces circonstances après que la mesure d’interdiction ait été prononcée.

La  Cour renvoie aux dispositions du règlement n° 44/2001.

En l’absence de disposition identique à celles prononcées pour faire respecter l’interdiction dans la législation de l’Etat où l’exécution est demandée, ce second juge doit :

«  …réaliser l’objectif poursuivi par ladite mesure en recourant aux dispositions pertinentes de son droit national qui sont de nature à garantir de manière équivalente le respect de l’interdiction initialement prononcée ».

Nous en saurons sans doute plus sur ce second volet quand la CJCE sera saisi par ce second juge.

Marque communautaire, comment apprécier sa protection ? La question préjudicielle posée par la Cour de Cassation à la CJCE

L’arrêt de la Cour de Paris du 9 novembre 2007 a été cité ci-dessous, venons-en à l’arrêt de la Cour de Cassation du 23 juin 2009 qui renvoie à la Cour de justice des communautés européennes aux fins de répondre aux questions suivantes :

1°/ L’article 98 du règlement CE 40/94 du 20 décembre 1993 doit-il s’interpréter en ce sens que l’interdiction prononcée par un tribunal des marques communautaires a effet de plein droit sur l’ensemble du territoire de la Communauté ?

2°/ Dans la négative, le tribunal est-il en droit d’étendre spécifiquement cette interdiction sur le territoire d’autres Etats dans lesquels les faits de contrefaçon sont commis, ou menacent d’être commis ?

3°/ Dans l’un ou l’autre cas, les mesures coercitives dont le tribunal, par application de son droit national, a assorti l’interdiction qu’il prononce sont-elles applicables sur le territoire des Etats membres dans lesquels cette interdiction produirait effet ?

4°/ Dans le cas contraire, le tribunal peut-il prononcer une telle mesure coercitive, semblable ou différente de celle qu’il adopte en vertu de son droit national, par application du droit national des Etats dans lequel cette interdiction aurait effet ?