Dépôt de la demande de marque communautaire : l’heure et la minute ne peuvent pas être prises en compte par un avocat même devant un juge national

Avec les procédures électroniques, l’heure, la minute (et la seconde) d’un dépôt d’une demande de marque sont vérifiables. S’agit-il pour autant de données pertinentes pour les avocats en droit des marques communautaires ?

La réponse nous est donnée par l’arrêt de la Cour du 22 mars 2012, affaire C‑190/10, Génesis Seguros Generales Sociedad Anónima de Seguros y Reaseguros (Génesis) contre Boys Toys SA,

  • Très brièvement les faits :

Le 12 décembre 2003 :

–          à 11 h 52 et à 12 h 13, Génesis dépose auprès de l’OHMI, par voie électronique, deux demandes de marques communautaires, à savoir la marque verbale Rizo, pour des produits relevant des classes 16, 28, 35 et 36 et la marque verbale Rizo, El Erizo, pour des produits relevant des classes 16, 35 et 36.

–          à 17 h 45, Pool Angel Tomás SL dépose à l’office espagnol des marques une demande de marque verbale Rizo’s pour des produits relevant de la classe 28.

Génesis fait opposition en Espagne à la demande de Pool Angel Tomás SL, de décision de l’office à l’appel de celle-ci, le juge espagnol interroge par question préjudicielle la Cour de Justice de l’Union :

«L’article 27 du règlement [n° 40/94 modifié] peut-il être interprété de telle manière à ce qu’il puisse être tenu compte, non seulement de la date, mais aussi de l’heure et de la minute du dépôt de la demande d’enregistrement d’une marque auprès de l’OHMI, pour autant qu’il ait été fait état d’une telle donnée, afin de déterminer la priorité temporelle par rapport à une marque nationale déposée à la même date, lorsque la réglementation nationale qui régit l’enregistrement de cette dernière marque considère que l’heure du dépôt est un élément pertinent?»

Deux problématiques distinctes :

– l’heure et la minute sont-elles prévues par le règlement communautaire- la Cour examinera les incidences pratiques de la réponse à apporter à cette question -,

– une législation nationale peut-elle en tenir compte ?

1°) Pour apprécier la date de dépôt d’une demande de marque communautaire au regard de l’article 27, Il n’y a pas à tenir compte ni de l’heure ni de la minute de celui-ci

 

  • Une date : un jour, un mois et une année !

Enfin, la nécessité d’une interprétation uniforme des différentes versions linguistiques d’une disposition du droit de l’Union exige également, en cas de divergence entre celles-ci, que la disposition en cause soit interprétée en fonction de l’économie générale et de la finalité de la réglementation dont elle constitue un élément (arrêts du 24 octobre 1996, Kraaijeveld e.a., C-72/95, Rec. p. I-5403, point 28; du 19 avril 2007, Profisa, C-63/06, Rec. p. I-3239, point 14, ainsi que du 15 décembre 2011, Møller, C-585/10, non encore publié au Recueil, point 26).

43      Or, il ressort d’un examen comparatif des différentes versions linguistiques de l’article 27 du règlement n° 40/94 modifié que celles-ci présentent certaines divergences.

44      Ainsi, les versions tchèque, allemande, hongroise, slovaque, finnoise et suédoise de cet article se réfèrent, s’agissant tant de l’intitulé dudit article que du texte de celui-ci, au jour du dépôt («Den podání», «Anmeldetag», «A bejelentés napja», «Deň podania», «Hakemispäivä», «Ansökningsdag»), tandis que les versions lituanienne et polonaise de ce même article précisent que la date de dépôt («Padavimo data», «Data zgłoszenia») correspond au jour («diena», «dzień») où la demande a été déposée.

45      En revanche, les autres versions linguistiques utilisent uniquement l’expression «date de dépôt» de la demande de marque communautaire.

46      Néanmoins, il convient de relativiser les divergences existant entre ces versions linguistiques dans la mesure où, selon le sens commun, le terme «date» désigne généralement le jour du mois, le mois et l’année où un acte a été adopté ou où un fait s’est produit. De même, l’indication du jour où un acte a été adopté ou où un fait s’est produit implique, selon le sens commun, la nécessité d’indiquer également le mois et l’année.

  • Une date n’implique ni l’heure ni la minute !

47      Toutefois, l’obligation d’indiquer la date ou le jour n’implique pas, selon le sens commun, l’obligation d’indiquer l’heure et a fortiori la minute. Dès lors, en l’absence d’une référence expresse dans l’article 27 du règlement n° 40/94 modifié à l’heure et à la minute du dépôt de la demande de marque communautaire, il apparaît que ces indications n’ont pas été considérées, par le législateur communautaire, comme nécessaires afin de déterminer le moment du dépôt de la demande de marque communautaire et, par conséquent, son antériorité par rapport à une autre marque.

48      Une telle interprétation ressort également du contexte dans lequel s’insère l’article 27 du règlement n° 40/94 modifié. En particulier, la règle 5 du règlement n° 2868/95, qui précise les formalités à accomplir par l’OHMI, par le service central de la propriété industrielle d’un État membre ou le Bureau Benelux des marques, lors du dépôt d’une demande de marque communautaire, n’institue que l’obligation d’indiquer sur la demande la date de réception de cette demande et non l’heure et la minute de cette date.

49      Or, il y a lieu de considérer que, si le législateur communautaire avait estimé que l’heure et la minute du dépôt de la demande de marque communautaire devaient être prises en compte en tant qu’éléments constitutifs de la «date de dépôt» de cette demande, au sens de l’article 27 du règlement n° 40/94 modifié, une telle précision aurait dû être incluse dans le règlement n° 2868/95.

50      À cet égard, la circonstance que, selon les indications figurant sur le site de l’OHMI, la date de dépôt de la demande de marque communautaire est celle à laquelle les documents visés à l’article 26 du règlement n° 40/94 modifié sont déposés auprès de l’OHMI, heure de l’Europe centrale (GMT + 1), ne permet cependant pas de conclure que l’heure et la minute du dépôt d’une telle demande sont pertinentes afin de déterminer l’antériorité de la marque. Ainsi que le relève M. l’avocat général au point 61 de ses conclusions, une telle indication de l’heure ne permet que de déterminer la date du dépôt devant l’OHMI.

51      La circonstance, relevée par Génesis, selon laquelle, lors de l’introduction, par voie électronique, de demandes de marques communautaires, l’OHMI certifierait de facto la date et l’heure du dépôt de ces demandes est également dénuée de pertinence.

52      Certes, conformément à l’article 10, paragraphe 2, de la décision n° EX‑11‑03 du président de l’Office, du 18 avril 2011, concernant les communications électroniques de et vers l’Office («Décision de base sur les communications électroniques»), une communication électronique confirmant la réception de la demande, également électronique, de marque communautaire, est envoyée à l’expéditeur, sur laquelle figurent la date et l’heure de réception de cette demande. Toutefois, il découle de ce même article 10, paragraphe 2, que la communication confirmant la réception de ladite demande comporte une mention aux termes de laquelle la date de réception sera considérée comme étant la date de dépôt sous réserve de paiement d’une taxe dans le délai imparti, sans se référer, à cet égard, à l’heure de réception de la demande.

53      En tout état de cause, étant donné que la demande de marque communautaire peut être déposée, conformément à l’article 25, paragraphe 1, du règlement n° 40/94 modifié, au choix, auprès de l’OHMI ou auprès du service central de la propriété industrielle d’un État membre ou auprès du Bureau Benelux des marques, s’il y avait lieu de prendre en compte l’heure et la minute du dépôt d’une demande de marque communautaire, une telle obligation devrait explicitement découler des dispositions d’application générale, et non de la décision du président de l’OHMI relative aux dépôts des demandes de marques communautaires par voie électronique.

54      Il découle de tout ce qui précède que la notion de «date de dépôt de la demande de marque communautaire» contenue à l’article 27 du règlement n° 40/94 modifié implique la prise en compte du jour civil du dépôt d’une demande de marque communautaire, mais non de l’heure et de la minute de celui-ci.

2°) Le droit national ne peut pas prendre en compte l’heure et la minute d’un dépôt de marque communautaire

 

55      Cela étant précisé, il convient encore d’examiner, si le droit de l’Union s’oppose à ce que l’heure et la minute du dépôt de la demande de la marque communautaire soient néanmoins prises en compte en vertu du droit national, afin de déterminer l’antériorité d’une marque communautaire par rapport à une marque nationale déposée le même jour, lorsque la réglementation nationale régissant l’enregistrement de cette dernière marque considère l’heure et la minute du dépôt comme des éléments pertinents.

56      À cet égard, il suffit de rappeler, ainsi que cela a été relevé au point 37 du présent arrêt, que, en tant que système autonome, le régime des marques communautaires possède des règles propres relatives à la date de dépôt de la demande d’une marque communautaire, sans effectuer de renvoi aux dispositions du droit national.

57      Par conséquent, la date de dépôt de la demande d’une marque communautaire ne peut être déterminée que selon les règles du droit de l’Union, sans que les solutions apportées par le droit des États membres puissent, à cet égard, avoir une incidence.

…..

Il s’ensuit que le droit de l’Union s’oppose à ce que l’heure et la minute du dépôt de la demande de marque communautaire soient prises en compte en vertu du droit national afin de déterminer l’antériorité d’une marque communautaire par rapport à une marque nationale déposée le même jour, lorsque la réglementation nationale qui régit l’enregistrement de cette dernière marque considère que, à cet égard, l’heure et la minute du dépôt sont des éléments pertinents.

D’où l’arrêt :

L’article 27 du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, tel que modifié par le règlement (CE) n° 1992/2003, du 27 octobre 2003, doit être interprété en ce sens qu’il ne permet pas de tenir compte non seulement du jour, mais également de l’heure et de la minute du dépôt de la demande de marque communautaire auprès de l’Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), afin de déterminer l’antériorité d’une telle marque par rapport à une marque nationale déposée le même jour, alors même que, en vertu de la réglementation nationale régissant l’enregistrement de cette dernière marque, l’heure et la minute du dépôt sont, à cet égard, des éléments pertinents.

3°) Si ni l’heure ni la minute n’ont à être retenues, comment résoudre le litige entre ces deux déposants ?

 

L’autorité administrative espagnole dont la contestation de la décision a conduit à la question préjudicielle,  avait déjà relevé :

21      …….. Cette juridiction a estimé que la date de dépôt de la demande des marques communautaires opposées était la date de la production effective de la documentation et non le 12 décembre 2003, date de la présentation de la demande par voie électronique.