Marque enregistrée et caractère trompeur, une basse-cour n’est pas qu’un bâtiment où sont enfermées les poules.

Le choix d’une marque ne se limite pas à apprécier sa validité au regard des critères du Code de la Propriété intellectuelle.

Les circonstances de l’emploi d’une marque même enregistrée peuvent être qualifiées du délit de publicité mensongère prévu par l’article L. 121-1 du code de la consommation (ancien) et de pratiques commerciales trompeuses au sens de l’article L. 121-1 2° b du même code.

Une illustration en est donnée par l’arrêt du 4 décembre 2012 de la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui rejette le pourvoi contre l’arrêt d’appel de RENNES, chambre correctionnelle, en date du 26 janvier 2012 où la marque déposée est « les oeufs de basse-cour », dénomination pour laquelle les dictionnaires donnent des définitions sensiblement différentes.

Nous en reprenons les termes.

« la SAS ….  dont M. X… est le représentant légal, a commercialisé entre le 2 novembre et le 24 décembre 2007, dans les départements des Côtes d’Armor, du Finistère et du Morbihan, des oeufs issus de « poules élevées au sol », selon la définition et les conditions fixées pour ce mode d’élevage par la règlementation européenne- dans des emballages comportant :
– le logo « l’oeuf de nos villages » représentant un oeuf entouré d’épis de blé,
– une image centrale représentant deux poules évoluant sur un sol sableux ou gravillonné de couleur marron, précédée au-dessus, de la dénomination en arc de cercle et en lettres majuscules de 10 et 8 mm, «les oeufs de basse-cour», et suivie au-dessous de l’image, dans la même forme et en lettres majuscules de 7 mm, de la mention obligatoire exigée par le règlement CE : « poules élevées au sol » ; que si la SAS ….. justifie avoir modifié à la suite de sa précédente condamnation, la présentation des emballages utilisés pour la commercialisation des œufs issus de « poules élevées au sol », en supprimant, d’une part, l’image de l’éleveur portant une poule dans ses bras et la phrase, « dans nos élevages, nos poules s’ébrouent, volent, déambulent, grattent, se perchent et accèdent librement à leur nid », et en modifiant, d’autre part, le style, les caractères et la forme de la mention « poules élevées au sol  … [ Elle ]a maintenu dans sa nouvelle présentation, la dénomination « les oeufs de basse-cour »

Or, les normes de commercialisation des oeufs fixées par le règlement CE, distinguent quatre catégories d’oeufs en fonction des conditions de vie et du mode d’élevage des poules pondeuses ; qu’il existe ainsi selon ces normes :
– les oeufs de poules élevées sous le mode agrobiologique,
– les oeufs de poules élevées en plein air,
– les oeufs de poules élevées au sol,
– les oeufs de poules élevées en cage.
que chaque type d’élevage présente ainsi des caractéristiques différentes, en fonction des conditions de vie minimales des poules et de leur alimentation, qui sont strictement définies par le règlement. »

Mais la dénomination « les oeufs de basse-cour » est une marque déposée à l’INPI, et un des moyens du pourvoi porte sur l’existence de cet enregistrement :

« 2) alors que l’utilisation d’une marque déposée à l’INPI n’est susceptible de constituer une pratique commerciale trompeuse que lorsque les signes de la marque sont, en eux-mêmes, susceptibles d’induire le consommateur en erreur sur l’origine ou les qualités substantielles du bien ; que tel n’est pas le cas du terme «basse-cour», lequel renvoie, selon les propres constatations de l’arrêt attaqué au bâtiment dans lequel sont hébergées les volailles, ce qui représente la caractéristique essentielle de l’élevage au sol ; qu’en affirmant, néanmoins, que la dénomination « les oeufs de basse-cour » était susceptible de tromper le consommateur sur les caractéristiques essentielles du mode de production des oeufs de poules élevées au sol, la cour d’appel n’a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et privé sa décision de toute base légale’

Le pourvoi est rejeté contre l’arrêt de la Cour qui avait confirmé le jugement :

« que le tribunal a justement retenu en l’espèce que le maintien sur les emballages d’oeufs issus de « poules élevées au sol », de la dénomination « les oeufs de basse-cour », apposée, au dessus de l’image représentant deux poules seules évoluant sur un sol sableux ou gravillonné, était de nature à induire les consommateurs en erreur et à créer notamment une confusion entre deux catégories d’..ufs issus de modes d’élevage distincts à savoir, les oeufs issus de « poules élevées au sol », et les oeufs de « poules élevées en plein air » ; qu’en effet, si le terme « basse cour » peut s’employer pour désigner le bâtiment dans lequel sont hébergées les volailles, il évoque aussi au sens commun du terme et dans le langage courant, la cour de la ferme ou du bâtiment qui dans l’élevage traditionnel, permet aux poules d’évoluer en liberté sur un espace de plein air ; que si le laboratoire d’analyse de la langue française se réfère seulement, pour la définition du terme « basse cour », à la notion de bâtiment, les dictionnaires usuels « Larousse » et « Littré », emploient à la fois pour définir la «basse-cour», les deux termes de « cour » et « bâtiment », précisant ainsi dans leur définition : « cour, bâtiment d’une ferme… » (Larousse) ou «ensemble de bâtiments et cours… » (Littré) ; que la dénomination « les oeufs de basse-cour » – que la SAS ……  reconnaît apposer sur les seuls emballages réservés à la commercialisation des oeufs issus des «poules élevées au sol » – présente au regard notamment de ces deux définitions, un caractère manifestement équivoque, qui est susceptible de créer une confusion entre le mode d’élevage des « poules élevées en plein air » et le mode d’élevage des « poules élevées au sol », dès lors que si cette dénomination peut évoquer « le bâtiment » où est hébergé la volaille, qui est la caractéristique essentielle de l’élevage au sol, elle évoque aussi « la cour », c’est-à-dire « un espace de plein air » qui est la caractéristique essentielle de l’élevage « de plein air » permettant précisément de la différencier de l’élevage « au sol » ; qu’en effet, si ces deux modes d’élevage ont des caractéristiques communes tenant notamment, aux conditions d’hébergement des poules au sein d’un bâtiment clos, leurs caractéristiques essentielles obéissent à des règles strictement différentes ; que les « poules élevées au sol » vivent en claustration à la lumière artificielle, dans un bâtiment fermé d’où elles ne sortent jamais alors que « poules élevées en plein air », si elles sont aussi hébergées dans un bâtiment, peuvent sortir à l’extérieur et accéder à un espace clos, de « plein air » sur lequel elles peuvent à l’air libre, déambuler en liberté, gratter et picorer ; que par conséquent, la référence faite par la SAS …. à la notion de « basse-cour » sur les emballages des oeufs issus de « poules élevées au sol », renforcée par l’image de deux poules paraissant évoluer seules, en liberté, sur un sol sableux, tend à accréditer l’idée – contrairement aux véritables conditions de vie des poules « élevées au sol », qui sont enfermées dans un bâtiment- que les oeufs qu’elle commercialise sous la dénomination « les oeufs de basse-cour », sont issus d’un élevage plus respectueux de la tradition, dans lequel les poules peuvent quitter leur bâtiment et accéder à un espace clos de « plein air », comme dans l’élevage de « plein air » et à créer ainsi une confusion dans l’esprit du consommateur entre deux modes de production différents ».