Marques, mots-clefs, rôle actif, liens concurrents, quels changements pour les avocats après l’arrêt de la Cour de cassation du 20 janvier 2015 ?

L’arrêt de la Cour de cassation du 20 janvier 2015 est d’une très grande importance pour toutes les sociétés qui utilisent leur site pour la promotion de leurs produits et de leurs services. L’arrêt est ici.

A la suite de cet arrêt qui se réfère à une décision de la Cour de justice du 20 mars 2010, c’est-à-dire à une date antérieure à l’arrêt du 28 octobre 2011 de la Cour de Paris qui se trouve cassé très largement, y aurait-il encore des actes de contrefaçon par utilisation de mots clefs ou bien les plaideurs devront-ils caractériser autrement de tels actes ?

  • Les faits brièvement résumés à l’arrêt

Attendu, selon l’arrêt attaqué et les productions, que la Société nationale des chemins de fer français (la SNCF), qui a pour mission principale le transport ferroviaire de personnes et de marchandises, a adopté en 1937 le sigle « SNCF » et est titulaire, notamment, de huit marques semi-figuratives et verbales « SNCF », « TGV », « Transilien », « Voyages-sncf. com » et « Voyages-sncf » ; qu’ayant fait constater que le site accessible à l’adresse « http :// www. lo. st » utilisait ses marques à titre de mots-clés afin de diriger, par l’affichage de liens commerciaux, le consommateur vers des sites concurrents proposant des produits et services identiques ou similaires aux siens, la SNCF a assigné la société Tuto4pc. com, anciennement dénommée Eorezo, locataire des serveurs sur lesquels est hébergé le site Lo. st, et la société holding Tuto4pc. com group, anciennement dénommée Eorezo group, ainsi que M. X…, président du directoire de la société Tuto4pc. com et réservataire du nom de domaine, pour atteintes aux marques notoires et pratique commerciale trompeuse ;

  • A propos du rôle actif au sens de la loi sur la confiance dans l’économie numérique

Vu l’article 6, I-2, de la loi n° 2004-175 du 29 juin 2004 ;

Attendu que pour retenir que les sociétés Tuto4pc. com et Tuto4pc. com group et M. X…ne peuvent bénéficier du régime de responsabilité limitée instauré par ce texte, l’arrêt relève que la société Tuto4pc. com ne s’est pas bornée à stocker des informations de nature publicitaire mais qu’elle a inséré, de façon délibérée, dans sa page d’accueil, le mot-clé SNCF, lequel dirigeait l’internaute vers des liens concurrents, et retient qu’elle avait l’accès et la maîtrise des mots-clés dans la mesure où elle a pu supprimer cette mention en exécution de la décision de première instance ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans définir en quoi l’insertion, à titre de raccourci, d’un mot-clé renvoyant l’internaute à une page de résultats affichée par le moteur de recherche, puis sa suppression, caractérisaient un rôle actif de la société Tuto4pc. com, ainsi que de la société Tuto4pc. com group et de M. X…, de nature à leur confier la connaissance et le contrôle des données stockées par les annonceurs, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

  • Sur l’atteinte à la marque notoire

Vu les articles 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/ 104/ CE, du 21 décembre 1988, et L. 713-5 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour condamner les sociétés Tuto4pc. com et Tuto4pc. com group et M. X…pour atteinte aux marques notoires, l’arrêt, après avoir relevé que l’usage, à l’identique ou par imitation, des marques de la SNCF comme mots-clés par le moteur de recherche Lo. st générait l’affichage de liens commerciaux dirigeant les internautes en priorité vers des sites concurrents de ceux de la SNCF qui proposaient, à l’exception d’un site de rencontres, des prestations identiques ou similaires à prix réduits, retient que la société Tuto4pc. com, en faisant en toute connaissance de cause bénéficier les internautes du pouvoir attractif de ces marques, tire indûment profit de la notoriété de celles-ci et lèse ainsi les intérêts de leur titulaire ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la Cour de justice de l’Union européenne (23 mars 2010, Google France, C-236/ 08 à C-238/ 08) a dit pour droit que le prestataire d’un service de référencement sur internet, qui stocke en tant que mot-clé un signe identique à une marque et organise l’affichage d’annonces à partir de celui-ci, ne fait pas un usage de ce signe au sens de l’article 5, paragraphes 1 et 2, de la directive 89/ 104/ CE, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

  • Sur la notion de publicité trompeuse

Vu l’article L. 121-1 du code de la consommation ;

Attendu que pour décider que les sociétés Tuto4pc. com et Tuto4pc. com group et M. X…se sont rendus coupables d’une pratique commerciale trompeuse, l’arrêt, après avoir relevé que le site Lo. st présente, sous la rubrique « annonces Google », lorsque la marque « Voyages-SNCF » est mentionnée, des sites commerciaux parmi lesquels un site de rencontres et six sites de voyagistes, retient qu’une telle information constitue une offre de services publicitaires et qu’elle est destinée à abuser le consommateur en lui faisant croire qu’il va être mis en relation avec les sites commerciaux de la SNCF en partenariat avec les moteurs de recherche Lo. st et Google ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, par des motifs impropres à caractériser une publicité fausse ou de nature à induire en erreur portant sur un ou plusieurs des éléments énumérés par l’article L. 121-1 du code de la consommation, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

Mots cléfs, la Cour de Justice permet de sanctionner cette pratique par le droit des marques

Protection de la marque contre les emplois du même signe à titre de mots clefs par un concurrent, le système Adwords, la Cour de Justice rend le 22 septembre 2011, C‑323/09, un arrêt protecteur des intérêts des titulaires de marque

1)      Les articles 5, paragraphe 1, sous a), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, et 9, paragraphe 1, sous a), du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire, doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque est habilité à interdire à un concurrent de faire, à partir d’un mot clé identique à cette marque que ce concurrent a, sans le consentement dudit titulaire, sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits ou des services identiques à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée, lorsque cet usage est susceptible de porter atteinte à l’une des fonctions de la marque. Un tel usage:

–      porte atteinte à la fonction d’indication d’origine de la marque lorsque la publicité affichée à partir dudit mot clé ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si les produits ou les services visés par l’annonce proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers;

–      ne porte pas atteinte, dans le cadre d’un service de référencement ayant les caractéristiques de celui en cause au principal, à la fonction de publicité de la marque, et

–      porte atteinte à la fonction d’investissement de la marque s’il gêne de manière substantielle l’emploi, par ledit titulaire, de sa marque pour acquérir ou conserver une réputation susceptible d’attirer et de fidéliser des consommateurs.

2)      Les articles 5, paragraphe 2, de la directive 89/104 et 9, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 40/94 doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque renommée est habilité à interdire à un concurrent de faire de la publicité à partir d’un mot clé correspondant à cette marque que ce concurrent a, sans le consentement dudit titulaire, sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, lorsque ledit concurrent tire ainsi un profit indu du caractère distinctif ou de la renommée de la marque (parasitisme) ou lorsque ladite publicité porte préjudice à ce caractère distinctif (dilution) ou à cette renommée (ternissement).

Une publicité à partir d’un tel mot clé porte préjudice au caractère distinctif de la marque renommée (dilution), notamment, si elle contribue à une dénaturation de cette marque en terme générique.

En revanche, le titulaire d’une marque renommée n’est pas habilité à interdire, notamment, des publicités affichées par des concurrents à partir de mots clés correspondant à cette marque et proposant, sans offrir une simple imitation des produits ou des services du titulaire de ladite marque, sans causer une dilution ou un ternissement et sans au demeurant porter atteinte aux fonctions de la marque renommée, une alternative par rapport aux produits ou aux services du titulaire de celle-ci.

 

Compétence des juges français pour des actions contre Google Inc mais uniquement pour des liens commerciaux à partir de google.fr

Des sociétés françaises appartenant au même groupe constatent qu’en tapant des marques dont elles sont propriétaires sur les moteurs de recherche Google.de, Google.co.uk, et Google.ca apparaissaient différents liens commerciaux, – des annonces publicitaires -, sans rapport avec elles.

Elles assignent pour contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme  ,les sociétés Google inc et Google France devant le Tribunal de Grande Instance de Paris.

Le Tribunal se déclare compétent territorialement mais la Cour infirme cette première décision.

La Cour de Cassation casse cet arrêt mais uniquement pour retenir la compétence du Tribunal pour les Adwords apparus sur le moteur de recherche Google.fr.

Deux moyens ont été examinés le 23 novembre 2010 .

  • Le critère classique de la destination des annonces qui, ici, n’était pas rempli :

l’arrêt retient que les liens commerciaux litigieux sont apparus sur les sites google.de, google.co.uk et google.ca destinés aux publics allemand, britannique et canadien de langue anglaise, que les sites mis en cause renvoient eux-mêmes vers des sites étrangers, et sont exclusivement rédigés en langue anglaise et allemande ; qu’il ajoute qu’il ne résulte pas des éléments de la procédure que ces sites aient, de manière délibérée ou non, un impact économique sur le public français qu’en l’état de ces constatations et appréciations, dont il résulte que les annonces n’étaient pas destinées au public de France, la cour d’appel a exactement décidé que la juridiction française n’était pas compétente pour connaître des demandes dirigées contre la société Google inc relatives à ces annonces

  • La compétence des juridictions françaises aurait pu être retenue pour un autre motif :

dans le cadre de sa mission d’assistance de la clientèle située en France, la société Google France ne donnait pas aux internautes connectés sur le territoire français les moyens d’accéder aux sites à codes pays étrangers, ce qui établissait l’existence d’un lien de connexité entre les demandes dirigées à l’encontre des sociétés Google France et Google inc,

Mais ce débat n’ayant pas été soumis à la Cour d’appel, la Cour de Cassation a refusé de l’examiner

Au final ne restent soumises à la compétence du Tribunal de Paris que les demandes dirigées contre Google Inc pour les liens apparus sur « le site google.fr ».