Annulation d’une saisie-contrefaçon en droit d’auteur pour irrégularités de forme

Les contentieux de la contrefaçon de brevet et de marque conduisent le plus souvent à un examen du procès-verbal de saisie-contrefaçon. En matière de droit d’auteur,  les débats sur la validité de l’intervention de l’huissier sont moins fréquents, l’ intérêt de l’arrêt du 31 octobre 2012 de la Cour de cassation n’en est que plus grand.

  • Très brièvement les faits et la décision de la Cour d’appel

En invoquant un droit d’auteur sur un modèle de chaussure, M. X… et la société B… ont fait procéder à une saisie – contrefaçon autorisée par une ordonnance du Président du Tribunal de grande instance.

La Cour de Paris, le 6 mai 2011, annule le P.V

 

  • Voyons les moyens du pourvoi de  M. X… et de la société B… qui relatent les griefs retenus par la Cour d’appel

1°/ que la nullité résultant du défaut d’identification, dans les mentions de l’acte, de l’huissier de justice ayant instrumenté au nom de la SCP à laquelle il appartient constitue un vice de forme et que la nullité de l’acte ne peut être prononcée qu’à charge pour la partie qui l’invoque de prouver le grief que lui cause l’irrégularité ; qu’après avoir constaté qu’il résultait du procès-verbal de saisie-contrefaçon qu’il avait été établi par l’un des huissiers de justice associés au sein de la SCP J…. et O……, de sorte qu’il n’existait aucun doute sur le fait que l’acte avait été établi par un huissier de justice, quelle que soit son identité, la cour d’appel ne pouvait considérer qu’il avait été porté atteinte aux intérêts de la société Dresco qui n’avait pu identifier son « interlocuteur », cette circonstance n’étant pas de nature à caractériser un grief, sans violer les articles 114, alinéa 2, et 648 du code de procédure civile ;

2°/ qu’il ne résulte d’aucun texte que, lorsque, en matière de droit d’auteur, le président du tribunal de grande instance ordonne une saisie-contrefaçon par voie d’huissier de justice, la remise au détenteur des objets saisis de la copie de l’ordonnance et de la requête doit être opérée préalablement au déroulement des opérations de saisie-contrefaçon ; qu’en décidant que le procès-verbal de saisie-contrefaçon était entaché d’une irrégularité formelle pour la raison que l’acte de signification de l’ordonnance était postérieur à la saisie, la cour d’appel a violé les articles L. 332-1 du code de la propriété intellectuelle, 114, alinéa 1er, et 495 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu’ayant à bon droit relevé que l’absence d’identification de l’huissier de justice instrumentaire dans le procès-verbal litigieux et le défaut de remise préalable au saisi de l’ordonnance ayant autorisé la saisie-contrefaçon constituaient des irrégularités de forme, la cour d’appel a, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation, estimé que celles-ci portaient atteinte aux intérêts de la société D……..et en a exactement déduit que le procès-verbal dressé le 27 septembre 2007 devait être annulé ;

Le pourvoi est rejeté

Le 5 avril, la Cour de Cassation rappelle le point de départ sur Internet du délai de prescription en matière civile

Le 5 avril 2012, un troisième arrêt important est rendu par la Cour de Cassation : il rappelle le point de départ du délai de prescription en matière civile dans une affaire où l’article avait été mis en ligne sur Internet 13 ans auparavant.


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 8 juin 2011), que la société Nouvelle du Journal de l’Humanité (la société) a mis en ligne, au courant du mois d’août 1996, sur son site Internet des articles concernant l’état de santé de M. X… ; que, considérant que ces informations étaient constitutives d’une atteinte à sa vie privée au regard des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, M. X… a fait assigner, par acte du 7 septembre 2009, la société devant un tribunal de grande instance en réparation du préjudice résultant de cette faute civile ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt de déclarer prescrite son action alors, selon le moyen, que le délai de prescription de l’action en responsabilité extracontractuelle court à compter du jour de la manifestation du dommage causé à la victime ou de la date à laquelle il a été révélé à cette dernière, si celle-ci n’en avait pas eu précédemment connaissance ; qu’en ayant décidé que le délai de prescription de l’action en responsabilité pour atteinte à la vie privée engagée par M. X… avait couru à compter de la mise en ligne sur l’Internet du texte litigieux au mois d’août 1996 et non à compter de la révélation du dommage à la victime au mois d’avril 2009, la cour d’appel a violé l’article 2270-1 ancien du code civil ;

Mais attendu que le délai de prescription de l’action en responsabilité civile extracontractuelle engagée à raison de la diffusion sur le réseau Internet d’un message, court à compter de sa première mise en ligne, date de la manifestation du dommage allégué ;

Et attendu que l’arrêt retient que le texte incriminé déjà publié sur le support papier le 14 janvier 1991 a été mis en ligne courant août 1996 ; qu’étant exclusif de toute confidentialité depuis cette époque, ce texte ne pouvait être considéré comme « étant clandestin » ; que c’est à partir de cette mise en ligne, équivalente à la mise à disposition du public, que le délai de prescription de dix ans devait être calculé et non à partir des seules constatations de M. X…, datant du 6 mai 2009, soit treize ans après la révélation au public du texte ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’‘appel a exactement décidé que l’ action engagée par M. X… était prescrite ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze avril deux mille douze.

 

Mais la commercialisation de CD de chansons sur Internet fait l’objet de différentes questions préjudicielles

Mais la commercialisation de CD sur Internet fait l’objet d’un renvoi en questions préjudicielles par l’arrêt du 5 avril de la 1ère Chambre civile de la Cour de Cassation.

  • L’arrêt de la Cour d’Appel de Toulouse a déclaré incompétent le Tribunal de Toulouse, ville  du demandeur

Sur le moyen unique, pris en sa première branche :

Vu l’article 267 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ;

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Toulouse, 21 janvier 2009), que M. X…, prétendant être l’auteur, le compositeur et l’interprète de douze chansons enregistrées sur un disque vinyle et indiquant avoir découvert que celles-ci avaient été reproduites sans son autorisation sur un disque compact (CD) pressé en Autriche par la société autrichienne Kdg Mediatech AG, puis commercialisé par les sociétés britanniques Crusoe ou Elegy sur différents sites Internet accessibles depuis son domicile toulousain, a fait assigner le 12 octobre 2006 la société Kdg Mediatech AG devant le tribunal de grande instance de Toulouse aux fins d’obtenir réparation du préjudice subi du fait de la contrefaçon de ses droits d’auteur ; que la société défenderesse a soulevé l’incompétence des juridictions françaises ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt de déclarer le tribunal de grande instance de Toulouse incompétent pour connaître de ses demandes alors, selon le moyen, qu’en matière de contrefaçon, le demandeur peut saisir les tribunaux de l’Etat dans lequel le défendeur a son domicile ou le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire, ce dernier lieu étant soit celui où l’auteur de la contrefaçon est établi, soit celui où l’objet de la contrefaçon se trouve diffusé ; qu’en relevant, pour juger que la contrefaçon invoquée par M. X… ne relevait pas de la compétence du tribunal de grande instance de Toulouse, qu’il était indifférent que les contrefaçons aient pu être achetées sur Internet en France et que cette juridiction était celle du domicile du demandeur, quand il était essentiel de déterminer, pour statuer sur la compétence des juridictions françaises, si les objets litigieux étaient diffusés sur un site Internet accessible en France et avaient pu être vendus dans ce pays, de sorte que le dommage était susceptible de s’y réaliser, voire s’y était d’ores et déjà réalisé, la cour d’appel a violé l’article 5, 3°, du règlement n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, relatif à la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale ;

  • La Cour de Cassation se réfère aux dispositions du règlement 44/2001

Attendu que l’article 5, point 3, du règlement (CE) du Conseil n° 44/2001 du 22 décembre 2000 (Bruxelles I), concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, dispose qu’en matière délictuelle ou quasi-délictuelle, une personne domiciliée sur le territoire d’un Etat membre peut être attraite, dans un autre Etat membre, devant le tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire ;

 

  • Puis à la solution déjà connue de l’arrêt Fiona Shevill

Attendu que la Cour de justice des Communautés européennes a dit pour droit, dans l’arrêt Fiona Shevill c/ Press Alliance SA (7 mars 1995, C-68/93), que l’expression « lieu où le fait dommageable s’est produit » doit, en cas de diffamation au moyen d’un article de presse diffusé dans plusieurs États contractants, être interprétée en ce sens que la victime peut intenter contre l’éditeur une action en réparation soit devant les juridictions de l’État contractant du lieu d’établissement de l’éditeur de la publication diffamatoire, compétentes pour réparer l’intégralité des dommages résultant de la diffamation, soit devant les juridictions de chaque État contractant dans lequel la publication a été diffusée et où la victime prétend avoir subi une atteinte à sa réputation, compétentes pour connaître des seuls dommages causés dans l’État de la juridiction saisie ;

  • La solution en matière de marque est également rappelée

Attendu que, saisie notamment de la question de savoir si, pour que le titulaire d’une marque puisse s’opposer à l’offre à la vente, sur une place de marché en ligne, de produits de cette marque non auparavant commercialisés dans l’espace économique européen, il suffit que l’offre soit destinée à des consommateurs situés sur le territoire couvert par la marque, la Cour de justice de l’Union européenne (L’Oréal SA e. a. c/ eBay International e.a., 12 juillet 2011, C-324/09) a par ailleurs énoncé que « la simple accessibilité d’un site Internet sur le territoire couvert par la marque ne suffit pas pour conclure que les offres à la vente y affichées sont destinées à des consommateurs situés sur ce territoire », qu’ « en effet, si l’accessibilité, sur ledit territoire, d’une place de marché en ligne suffisait pour que les annonces y affichées relèvent du champ d’application de la directive 89/04 et du règlement n° 40/94, des sites et des annonces qui, tout en étant à l’évidence destinés exclusivement à des consommateurs situés dans les Etats tiers, sont néanmoins techniquement accessibles sur le territoire de l’Union seraient indûment soumis au droit de l’Union » (point 64) et qu' »il incombe, par conséquent, aux juridictions nationales d’apprécier au cas par cas s’il existe des indices pertinents pour conclure qu’une offre à la vente, affichée sur une place de marché en ligne accessible sur le territoire couvert par la marque, est destinée à des consommateurs situés sur celui-ci » (point 65), se référant expressément, par analogie, à son arrêt Pammer et Hotel Alpenhof (7 décembre 2010, C-585/08 et C-144/09) concernant l’interprétation de l’article 15, paragraphe 1, sous c), du règlement n° 44/2001 relatif à la compétence en matière de contrats conclus par les consommateurs ;

  • De même pour l’atteinte aux droits de la personnalité

Attendu que la Cour de justice a enfin, dans l’arrêt eDate Advertising et Martinez (25 octobre 2011, C-509/09 et C-161/10), dit pour droit que l’article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 doit être interprété en ce sens qu’en cas d’atteinte alléguée aux droits de la personnalité au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet, la personne qui s’estime lésée a la faculté de saisir d’une action en responsabilité, au titre de l’intégralité du dommage causé, soit les juridictions de l’Etat membre du lieu d’établissement de l’émetteur de ces contenus, soit les juridictions de l’Etat membre dans lequel se trouve le centre de ses intérêts, que cette personne peut également, en lieu et place d’une action en responsabilité au titre de l’intégralité du dommage causé, introduire son action devant les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été et que celles-ci sont compétentes pour connaître du seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre de la juridiction saisie ;

  • La situation se distingue encore des ventes sur les plates formes

Attendu que le présent litige présente la particularité de ne correspondre ni à l’hypothèse examinée dans l’arrêt L’Oréal SA e. a. c/ eBay International e.a. ni à celle analysée dans l’arrêt eDate Advertising et Martinez, dans la mesure où l’atteinte alléguée résulterait de l’offre en ligne d’un support matériel reproduisant illicitement l’oeuvre sur laquelle le demandeur à l’action revendique des droits d’auteur ;

  • D’où les questions préjudicielles

Attendu qu’il pose, dès lors, des questions d’interprétation du règlement (CE) n° 44/2001 du 22 décembre 2000, qui exigent de saisir la Cour de justice de l’Union européenne ;

PAR CES MOTIFS :

Renvoie à la Cour de justice de l’Union européenne aux fins de répondre aux questions suivantes :

1°) L’article 5, point 3, du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution de décisions en matière civile et commerciale, doit-il être interprété en ce sens qu’en cas d’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur commise au moyen de contenus mis en ligne sur un site Internet,

– la personne qui s’estime lésée a la faculté d’introduire une action en responsabilité devant les juridictions de chaque Etat membre sur le territoire duquel un contenu mis en ligne est accessible ou l’a été, à l’effet d’obtenir réparation du seul dommage causé sur le territoire de l’Etat membre de la juridiction saisie,

ou

– il faut, en outre, que ces contenus soient ou aient été destinés au public situé sur le territoire de cet Etat membre, ou bien qu’un autre lien de rattachement soit caractérisé ?

2°) La question posée au 1°) doit-elle recevoir la même réponse lorsque l’atteinte alléguée aux droits patrimoniaux d’auteur résulte non pas de la mise en ligne d’un contenu dématérialisé, mais, comme en l’espèce, de l’offre en ligne d’un support matériel reproduisant ce contenu ?

Sursoit à statuer jusqu’à la décision de la Cour de justice de l’Union européenne ;

La loi sur la presse quand elle est appliquée à un article publié sur Internet, vient d’ échapper à une question prioritaire de constitutionnalité

La loi sur la presse quand elle est appliquée à un article publié sur Internet, vient d’ échapper par l’arrêt de la Cour de Cassation du 5 avril 2012 à une question prioritaire de constitutionnalité. C’est le premier des trois arrêts de la Cour de Cassation du 5 avril qui sont cités aujourd’hui sur ce blog.

Attendu que soutenant qu’un article publié sur le site internet www. artactif. com., appartenant à la société Art actif, contenait des imputations diffamatoires à l’égard tant du contenu que des auteur et éditeur d’un dictionnaire de cotation qu’elle publie chaque année, l’association Drouot cotation des artistes modernes et contemporains ainsi que M. X…et la société Renmax, respectivement auteur et éditeur du dictionnaire, ont assigné l’auteur prétendu de l’article, M. Y… et le directeur du site internet, M. Z…, en suppression de l’article et paiement de dommages-intérêts ; que cette action a été déclarée prescrite par arrêt de la cour d’appel d’Aix-en-Provence du 30 juin 2011 ;

Attendu qu’à l’occasion du pourvoi qu’elle a formé contre cette décision, l’association a demandé, par mémoire distinct et motivé, que soit posée au Conseil constitutionnel la question suivante :

« – l’article 65 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 est-il contraire à la Constitution en ce qu’instituant un délai de prescription après trois mois à compter du jour du dernier acte d’instruction ou de poursuite s’il en a été fait, il constitue une atteinte excessive au droit à un recours effectif ?

– l’article 65 alinéa 1er de la loi du 29 juillet 1881 est-il contraire à la Constitution en ce qu’il implique que l’acte interruptif de prescription ait été porté à la connaissance de la partie adverse dans le délai de prescription ? « 

Attendu que l’article 65, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 est applicable au litige ;

Attendu que la disposition contestée n’a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel ;

Attendu que la question posée ne porte pas sur l’interprétation d’une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n’aurait pas encore eu l’occasion de faire application ; qu’elle n’est donc pas nouvelle ;

Et attendu qu’elle ne peut être regardée comme sérieuse dès lors, d’abord, que le délai de prescription institué par l’article 65, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 ne porte pas au droit à un recours effectif une atteinte excessive dans la mesure où il procède d’un juste équilibre entre le droit d’accès au juge et les exigences de conservation des preuves propres aux faits que réprime cette loi, ensuite, que dans les instances civiles en réparation des délits prévus par la loi du 29 juillet 1881, constitue un acte interruptif de la prescription tout acte régulier de procédure par lequel le demandeur manifeste son intention de continuer l’action engagée, même si cet acte n’est pas porté à la connaissance de la partie adverse elle-même ;

D’où il suit qu’il n’y a pas lieu d’en saisir le Conseil constitutionnel ;

PAR CES MOTIFS :

Dit n’y avoir lieu de saisir le Conseil constitutionnel de la question posée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille douze.