Comment les règles relatives à l’environnement, l’aménagement et à l’agencement d’un magasin de vente de produits de luxe peuvent-elles être maintenues sur une plateforme en ligne ?

La Cour de justice avait déjà dit que l’interdiction absolue de vente sur Internet n’était pas valable. Peu à peu se dessine les contours de ce qui peut justifier une interdiction de vente sur Internet de produits de luxe à l’encontre des distributeurs non agrées, et son corollaire les conditions d’une vente licite sur une plateforme internet détenue par un tiers au réseau de distribution agréé.

L’arrêt rendu par la Cour de justice, le 6 décembre 2017, intervient dans le secteur de la distribution sélective de produits cosmétiques de luxe et se prononce sur la validité des clauses qui interdisent aux distributeurs d’avoir recours à un tiers non agréé pour la vente sur Internet. La Cour de justice répond à une question préjudicielle posée par une juridiction allemande à propos de l’application du règlement no 330/2010, L’arrêt est là.

Pour mémoire, ce règlement définit le « système de distribution sélective » comme étant « un système de distribution dans lequel le fournisseur s’engage à ne vendre les biens ou les services contractuels, directement ou indirectement, qu’à des distributeurs sélectionnés sur la base de critères définis, et dans lequel ces distributeurs s’engagent à ne pas vendre ces biens ou ces services à des distributeurs non agréés dans le territoire réservé par le fournisseur pour l’opération de ce système ».

Très brièvement les dispositions de la clause contractuelle en cause et son implication pratique.

Le réseau de distribution sélective de Coty est soumis à la clause contractuelle qui prévoit « le dépositaire est autorisé à proposer et à vendre les produits sur Internet, à la condition toutefois que cette activité de vente par Internet soit réalisée par l’intermédiaire d’une “vitrine électronique” du magasin agréé et que le caractère luxueux des produits soit préservé ». En outre, cette clause « interdit expressément l’usage d’une autre dénomination commerciale ainsi que l’intervention visible d’une entreprise tierce qui n’est pas un dépositaire agréé de Coty Prestige ».

 Un distributeur agréé refuse cette clause qui devait modifier le contrat existant avec le réseau de Coty et un litige naît en Allemagne entre Coty et son distributeur  qui souhaite vendre les produits Coty sur internet via la plateforme « amazon.de ». Le juge allemand premier saisi écarte cette clause et la juridiction allemande d’appel interroge la Cour de justice de la compatibilité de cette clause au regard de l’article 101 du TFUE et du règlement 330/2010.

Le 6 juillet,  la Cour de justice applique à la distribution sur Internet les principes dégagés pour les boutiques physiques des produits de luxe.

Sans reprendre ici l’historique des décisions intervenues en matière de distribution sélective et de produits de luxe auxquelles cet arrêt se réfère, les passages essentiels sont repris ci-après.

  • Le rappel : un réseau de distribution sélective n’est pas en tant que tel contraire aux règles de la concurrence

36…l’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un système de distribution sélective de produits de luxe visant, à titre principal, à préserver l’image de luxe de ces produits est conforme à cette disposition, pour autant que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, et que les critères définis n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire.

  • La clause d’interdiction de vente par les plateformes tierces qui est objective, uniforme et s’applique à tous les distributeurs agréés, est-elle proportionnée au regard de l’objectif poursuivi ?

Les termes de la clause ne sont pas soumis à la Cour de justice

42      À cet égard, il est constant que la clause contractuelle en cause au principal a pour objectif de préserver l’image de luxe et de prestige des produits concernés. Par ailleurs, il ressort du dossier soumis à la Cour que la juridiction de renvoi considère que cette clause est objective et uniforme et qu’elle s’applique sans discrimination à l’égard de tous les distributeurs agréés.

La Cour de justice apprécie la proportionnalité de cette clause avec la finalité d’un réseau de distribution sélective . Sans relation contractuelle spécifique avec la plateforme tierce, le réseau ne peut pas lui imposer ses conditions d’image.

Le lien entre la clause d’interdiction et l’existence du réseau :

44      S’agissant, en premier lieu, du caractère approprié de l’interdiction en cause au principal au regard de l’objectif poursuivi, il convient d’observer, premièrement, que l’obligation imposée aux distributeurs agréés de ne vendre sur Internet les produits contractuels que par l’intermédiaire de leurs propres boutiques en ligne et l’interdiction faite auxdits distributeurs de faire usage d’une autre dénomination commerciale ainsi que de recourir de façon visible à des plateformes tierces garantissent d’emblée au fournisseur que, dans le cadre du commerce électronique de ces produits, ces derniers sont rattachés exclusivement aux distributeurs agréés.

Un encadrement à cette interdiction fondé sur la finalité du réseau de distribution des produits de luxe, le respect de conditions qualitatives

45      Or, un tel rattachement étant précisément l’un des buts recherchés lorsqu’il est fait recours à un tel système, il apparaît que l’interdiction en cause au principal comporte une limitation cohérente au regard des caractéristiques propres du système de distribution sélective.

46      Par conséquent, si, ainsi qu’il ressort de la jurisprudence de la Cour, ces caractéristiques font du système de distribution sélective un moyen adéquat pour préserver l’image de luxe des produits de luxe, et contribuent donc au maintien de la qualité de ces produits (voir, en ce sens, arrêt du 23 avril 2009, Copad, C‑59/08, EU:C:2009:260, points 28 et 29 ainsi que jurisprudence citée), une limitation, telle que celle résultant de l’interdiction en cause au principal, dont le résultat est inhérent auxdites caractéristiques, doit également être considérée comme étant de nature à préserver la qualité et l’image de luxe desdits produits.

47      Deuxièmement, l’interdiction en cause au principal permet au fournisseur de produits de luxe de contrôler que ses produits seront vendus en ligne dans un environnement qui correspond aux conditions qualitatives qu’il a convenues avec ses distributeurs agréés.

48      En effet, le non-respect par un distributeur des conditions de qualité fixées par le fournisseur permet à celui-ci de se retourner contre ce distributeur, sur le fondement du lien contractuel existant entre ces deux parties. L’absence de relation contractuelle entre le fournisseur et les plateformes tierces fait toutefois obstacle à ce que celui-ci puisse, sur un tel fondement, exiger de ces plateformes le respect des conditions de qualité qu’il a imposées à ses distributeurs agréés.

49      Or, une vente en ligne de produits de luxe par des plateformes qui n’appartiennent pas au système de distribution sélective de ces produits, dans le cadre de laquelle le fournisseur n’a pas la possibilité de contrôler les conditions de vente de ses produits, comporte le risque d’une détérioration dans la présentation desdits produits sur Internet, qui est de nature à porter atteinte à leur image de luxe et, partant, à leur nature même.

La vente en ligne uniquement dans les boutiques en lignes des distributeurs agréés  maintient l’image de luxe auprès des consommateurs

50      Troisièmement, compte tenu du fait que ces plateformes constituent un canal de vente pour tout type de produit, le fait que les produits de luxe ne soient pas vendus par l’intermédiaire de telles plateformes, et que leur vente en ligne s’effectue uniquement dans les boutiques en ligne des distributeurs agréés contribue à cette image de luxe auprès des consommateurs et, de ce fait, au maintien de l’une des caractéristiques principales de ces produits recherchées par les consommateurs.

51      Dès lors, l’interdiction faite par un fournisseur de produits de luxe à ses distributeurs agréés de recourir de façon visible à des plateformes tierces pour la vente sur Internet de ces produits, est appropriée pour préserver l’image de luxe desdits produits.

Ce que dit la Cour :

1)      L’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’un système de distribution sélective de produits de luxe visant, à titre principal, à préserver l’image de luxe de ces produits est conforme à cette disposition, pour autant que le choix des revendeurs s’opère en fonction de critères objectifs de caractère qualitatif, fixés d’une manière uniforme à l’égard de tous les revendeurs potentiels et appliqués de façon non discriminatoire, et que les critères définis n’aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire.

2)      L’article 101, paragraphe 1, TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à une clause contractuelle, telle que celle en cause au principal, qui interdit aux distributeurs agréés d’un système de distribution sélective de produits de luxe visant, à titre principal, à préserver l’image de luxe de ces produits de recourir de manière visible à des plateformes tierces pour la vente sur Internet des produits contractuels, dès lors que cette clause vise à préserver l’image de luxe desdits produits, qu’elle est fixée d’une manière uniforme et appliquée d’une façon non discriminatoire, et qu’elle est proportionnée au regard de l’objectif poursuivi, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier.

3)      L’article 4 du règlement (UE) no 330/2010 de la Commission, du 20 avril 2010, concernant l’application de l’article 101, paragraphe 3, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne à des catégories d’accords verticaux et de pratiques concertées, doit être interprété en ce sens que, dans des circonstances telles que celles en cause au principal, l’interdiction faite aux membres d’un système de distribution sélective de produits de luxe, qui opèrent en tant que distributeurs sur le marché, d’avoir recours de façon visible à des entreprises tierces pour les ventes par Internet, ne constitue pas une restriction de la clientèle, au sens de l’article 4, sous b), de ce règlement, ni une restriction des ventes passives aux utilisateurs finals, au sens de l’article 4, sous c), dudit règlement.

Le 13 février 2014, le jour où la Cour de Justice a sauvé l’internet grand public.

Le 13 février 2014 est un jour important, c’est le jour où la Cour de Justice a sauvé l’internet grand public.

Cette affaire est emblématique des changements qu’apporte l’Internet grand public, ceux qui demandent la limitation d’accès à l’information en invoquant le droit d’auteur, sont des journalistes. L’arrêt est ici.

Le parvis avec les tours et l'anneau. Source "Cour de justice de l'Union européenne". Crédit photo G.Fessy CJUE
  • Les faits

Le journal Göteborgs-Posten et le site Internet du Göteborgs-Posten publient des articles de différents journalistes.

Le site internet de Retriever Sverige fournit à ses clients, selon leurs besoins, des listes de liens Internet cliquables vers des articles publiés par d’autres sites Internet dont celui du journal Göteborgs-Posten.

Les journalistes assignent Retriever Sverige devant le Stockholms tingsrätt (tribunal local de Stockholm) en vue d’obtenir une indemnisation au motif que cette société aurait exploité, sans leur autorisation, certains de leurs articles, en les mettant à la disposition de ses clients.

  • Les juridictions suédoises sont saisies par les journalistes

11 juin 2010, le Stockholms tingsrätt rejette leur demande.

Appel devant le Svea hovrätt qui interroge la Cour de Justice et dont les questions doivent être indiquées car c’est tout le fonctionnement de l’Internet dans sa dimension grand public qui est en jeu.

«1) Le fait pour toute personne autre que le titulaire [du droit] d’auteur sur une œuvre de fournir un lien cliquable vers cette œuvre sur son site Internet constitue-t-il une communication de l’œuvre au public selon l’article 3, paragraphe 1, de la directive [2001/29]?


2) L’examen de la première question est-il influencé par le fait que l’œuvre vers laquelle renvoie le lien se trouve sur un site Internet auquel chacun peut accéder sans restriction, ou que l’accès à ce site est, au contraire, limité d’une façon ou d’une autre?


3) Convient-il, dans l’examen de la première question, de faire une distinction selon que l’œuvre, après que l’utilisateur a cliqué sur le lien, apparaît sur un autre site Internet ou, au contraire, en donnant l’impression qu’elle se trouve montrée sur le même site [Internet]?


4) Un État membre peut-il protéger plus amplement le droit exclusif d’un auteur en prévoyant que la notion de communication au public comprend davantage d’opérations que celles qui découlent de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29?»

  • L’arrêt du 13 février 2014 de la Cour de Justice répond de manière particulièrement détaillée et très complète à la question de la communication au public au sens de la Directive 2001/ 29.
  • Il y a une communication au public

18 En l’occurrence, il convient de relever que le fait de fournir, sur un site Internet, des liens cliquables vers des œuvres protégées publiées sans aucune restriction d’accès sur un autre site, offre aux utilisateurs du premier site un accès direct auxdites œuvres.


19 Or, ainsi qu’il ressort de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, pour qu’il y ait «acte de communication», il suffit, notamment, qu’une œuvre soit mise à la disposition d’un public de sorte que les personnes qui le composent puissent y avoir accès sans qu’il soit déterminant qu’elles utilisent ou non cette possibilité (voir, par analogie, arrêt du 7 décembre 2006, SGAE, C 306/05, Rec. p. I 11519, point 43).


20 Il s’ensuit que, dans des circonstances telles que celles de l’affaire au principal, le fait de fournir des liens cliquables vers des œuvres protégées doit être qualifié de «mise à disposition» et, par conséquent, d’«acte de communication», au sens de ladite disposition.


21 En ce qui concerne le second des éléments susmentionnés, à savoir que l’œuvre protégée doit être effectivement communiquée à un «public», il découle de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 que, par «public», cette disposition vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et implique, par ailleurs, un nombre de personnes assez important .


22 Or, un acte de communication, tel que celui effectué par le gérant d’un site Internet au moyen de liens cliquables, vise l’ensemble des utilisateurs potentiels du site que cette personne gère, soit un nombre indéterminé et assez important de destinataires.


23 Dans ces conditions, il doit être considéré que ledit gérant effectue une communication à un public.

  • Mais cette communication n’est pas la communication au public de la Directive 2001/29

Cela étant, ainsi qu’il ressort d’une jurisprudence constante, pour relever de la notion de «communication au public», au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29, encore faut-il qu’une communication, telle que celle en cause dans l’affaire au principal, visant les mêmes œuvres que la communication initiale et ayant été effectuée sur Internet à l’instar de la communication initiale, donc selon le même mode technique, soit adressée à un public nouveau, c’est-à-dire à un public n’ayant pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur, lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale au public .


25 En l’occurrence, il doit être constaté que la mise à disposition des œuvres concernées au moyen d’un lien cliquable, telle celle au principal, ne conduit pas à communiquer les œuvres en question à un public nouveau.


26 En effet, le public ciblé par la communication initiale était l’ensemble des visiteurs potentiels du site concerné, car, sachant que l’accès aux œuvres sur ce site n’était soumis à aucune mesure restrictive, tous les internautes pouvaient donc y avoir accès librement.


27 Dans ces conditions, il y a lieu de constater que, lorsque l’ensemble des utilisateurs d’un autre site auxquels les œuvres en cause ont été communiquées au moyen d’un lien cliquable pouvaient directement accéder à ces œuvres sur le site sur lequel celles-ci ont été communiquées initialement, sans intervention du gérant de cet autre site, les utilisateurs du site géré par ce dernier doivent être considérés comme des destinataires potentiels de la communication initiale et donc comme faisant partie du public pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsque ces derniers ont autorisé la communication initiale.


28 Dès lors, faute de public nouveau, l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ne s’impose pas à une communication au public telle que celle au principal.

  • Le 13 février 2014, la Cour a sauvé tout l’Internet grand public y compris l’encapsulage

29 Une telle constatation ne saurait être remise en cause si la juridiction de renvoi devait constater, ce qui ne ressort pas clairement du dossier, que, lorsque les internautes cliquent sur le lien en cause, l’œuvre apparaît en donnant l’impression qu’elle est montrée depuis le site où se trouve ce lien, alors que cette œuvre provient en réalité d’un autre site.


30 En effet, cette circonstance supplémentaire ne modifie en rien la conclusion selon laquelle la fourniture sur un site d’un lien cliquable vers une œuvre protégée publiée et librement accessible sur un autre site a pour effet de mettre à la disposition des utilisateurs du premier site ladite œuvre et constitue donc une communication au public. Cependant, étant donné qu’il n’y a pas de public nouveau, en tout état de cause l’autorisation des titulaires du droit d’auteur ne s’impose pas à une telle communication au public.

  • La seule restriction est celle des sites à accès réservés par des mesures techniques

31 En revanche, dans l’hypothèse où un lien cliquable permet aux utilisateurs du site sur lequel ce lien se trouve de contourner des mesures de restriction prises par le site où se trouve l’œuvre protégée afin d’en restreindre l’accès par le public à ses seuls abonnés et, ainsi, constitue une intervention sans laquelle lesdits utilisateurs ne pourraient pas bénéficier des œuvres diffusées, il y a lieu de considérer l’ensemble de ces utilisateurs comme un public nouveau, qui n’a pas été pris en compte par les titulaires du droit d’auteur lorsqu’ils ont autorisé la communication initiale de sorte que l’autorisation des titulaires s’impose à une telle communication au public. Tel est le cas, notamment, lorsque l’œuvre n’est plus à disposition du public sur le site sur lequel elle a été communiquée initialement ou qu’elle l’est désormais sur ce site uniquement pour un public restreint, alors qu’elle est accessible sur un autre site Internet sans l’autorisation des titulaires du droit d’auteur.

  • Le 13 février 2014, c’est tout l’internet accessible depuis n’importe quel Etat de l’Union qui est protégé

33 Par sa quatrième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre puisse protéger plus amplement les titulaires d’un droit d’auteur en prévoyant que la notion de communication au public comprend davantage d’opérations que celles visées à cette disposition.


34 À cet égard, il découle, notamment, des considérants 1, 6 et 7 de la directive 2001/29 que cette dernière a notamment pour objectifs de remédier aux disparités législatives et à l’insécurité juridique qui entourent la protection des droits d’auteur. Or, admettre qu’un État membre puisse protéger plus amplement les titulaires d’un droit d’auteur en prévoyant que la notion de communication au public comprend également des opérations autres que celles visées à l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 aurait pour effet de créer des disparités législatives et donc, pour les tiers, de l’insécurité juridique.


35 En conséquence, l’objectif poursuivi par la directive 2001/29 serait inévitablement compromis si la notion de communication au public pouvait être entendue par différents États membres comme comprenant davantage d’opérations que celles visées à l’article 3, paragraphe 1, de cette directive.


36 Certes, le considérant 7 de ladite directive fait état de ce que cette dernière n’a pas pour objectif de supprimer ou de prévenir les disparités qui ne portent pas atteinte au fonctionnement du marché intérieur. Néanmoins, il doit être constaté que, si les États membres devaient se voir reconnaître la faculté de prévoir que la notion de communication au public comprend davantage d’opérations que celles visées à l’article 3, paragraphe 1, de la même directive, il en résulterait nécessairement une atteinte au fonctionnement du marché intérieur.


37 Il s’ensuit que l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 ne saurait être entendu comme permettant aux États membres de protéger plus amplement les titulaires d’un droit d’auteur en prévoyant que la notion de communication au public comprend davantage d’opérations que celles visées à cette disposition


La décision


Par ces motifs, la Cour (quatrième chambre) dit pour droit:


1) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être interprété en ce sens que ne constitue pas un acte de communication au public, tel que visé à cette disposition, la fourniture sur un site Internet de liens cliquables vers des œuvres librement disponibles sur un autre site Internet.


2) L’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29 doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un État membre puisse protéger plus amplement les titulaires d’un droit d’auteur en prévoyant que la notion de communication au public comprend davantage d’opérations que celles visées à cette disposition.

 

Transmission par Internet des émissions de TV, une autorisation spécifique est requise des titulaires des droits d’auteur

Un arrêt très important vient d’être rendu par la Cour de Justice, le 7 mars 2013,  à propos de la diffusion sur Internet des émissions de télévision.

Cet arrêt du 7 mars 2013 intervient sur une question préjudicielle de la High Court of Justice (England & Wales) du 17 novembre 2011, dans la procédure qui oppose ITV Broadcasting Ltd, ITV 2 Ltd, ITV Digital Channels Ltd, Channel 4 Television Corporation, 4 Ventures Ltd, Channel 5 Broadcasting Ltd, ITV Studios Ltd contre TVCatchup Ltd, affaire C-607/11.

  • Brièvement les faits

Ils méritent d’être rappelés en particulier ceux du point 10 de l’arrêt. Le point 11 indique le financement par la publicité des services diffusés sur Internet.

9        TVC offre sur Internet des services de diffusion d’émissions télévisées. Ces services permettent aux utilisateurs de recevoir «en direct» au moyen d’Internet des flux d’émissions télévisées gratuites, y compris les émissions télévisées diffusées par les requérantes au principal [ les sept radiodiffuseurs terrestres cf. point 39, indiqués ci-dessus].

10      TVC s’assure du fait que les utilisateurs de ses services n’obtiennent l’accès qu’à un contenu qu’ils sont déjà légalement en droit de regarder au Royaume-Uni au moyen de leur licence de télévision. Les conditions sur lesquelles les utilisateurs doivent marquer leur accord comprennent ainsi la possession d’une licence de télévision valable et la restriction de l’utilisation des services de TVC au Royaume-Uni. Le site Internet de TVC dispose d’équipements lui permettant d’authentifier le lieu où se trouve l’utilisateur et refuse l’accès lorsque les conditions imposées aux utilisateurs ne sont pas remplies.

11      Les services offerts par TVC sont financés par la publicité. Il s’agit d’une publicité audiovisuelle présentée avant que puisse être vu le flux de vidéo de l’émission concernée. Les publicités déjà contenues dans les émissions d’origine sont conservées sans modification et envoyées à l’utilisateur comme un élément du flux. Des publicités «en insert» («in‑skin») apparaissent également sur l’ordinateur ou un autre appareil de l’utilisateur.

  • L’analyse de la Cour

– La qualification juridique de communication au public

23 Or, il découle, en particulier, du considérant 23 de la directive 2001/29 que le droit d’auteur de communication au public couvre toute transmission ou retransmission d’une œuvre au public non présent au lieu d’origine de la communication, par fil ou sans fil, y compris la radiodiffusion. En outre, il résulte de l’article 3, paragraphe 3, de cette directive que l’autorisation de l’inclusion des œuvres protégées dans une communication au public n’épuise pas le droit d’autoriser ou d’interdire d’autres communications au public de ces œuvres.

24 Il s’ensuit que le législateur de l’Union, en régissant les situations dans lesquelles une œuvre donnée fait l’objet d’utilisations multiples, a entendu que chaque transmission ou retransmission d’une œuvre qui utilise un mode technique spécifique doit être, en principe, individuellement autorisée par l’auteur de l’œuvre en cause.

25 Ces constatations sont d’ailleurs corroborées par les articles 2 et 8 de la directive 93/83 qui exigent une nouvelle autorisation pour une retransmission simultanée, inchangée et intégrale, par satellite ou par câble, d’une transmission initiale d’émissions de télévision ou de radio qui contiennent des œuvres protégées, bien que ces émissions puissent être déjà reçues dans leur zone de couverture par d’autres modes techniques, tels que par ondes radioélectriques des réseaux terrestres.

– Des techniques différentes

39      En revanche, la présente affaire au principal concerne la transmission des œuvres incluses dans une radiodiffusion terrestre et la mise à disposition des mêmes œuvres sur Internet. Ainsi qu’il découle des points 24 à 26 du présent arrêt, chacune de ces deux transmissions doit être autorisée individuellement et séparément par les auteurs concernés étant donné que chacune d’elles est effectuée dans des conditions techniques spécifiques, suivant un mode différent de transmission des œuvres protégées et chacune destinée à un public. Dans ces conditions, il n’y a plus lieu d’examiner, en aval, la condition du public nouveau qui n’est pertinente que dans les situations sur lesquelles la Cour a été amenée à se prononcer dans les affaires ayant donné lieu aux arrêts précités….

  • La décision

1)      La notion de «communication au public», au sens de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2001, sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information, doit être interprétée en ce sens qu’elle couvre une retransmission des œuvres incluses dans une radiodiffusion télévisuelle terrestre

–        qui est effectuée par un organisme autre que le radiodiffuseur original,

–        au moyen d’un flux Internet mis à disposition des abonnés de cet organisme qui peuvent recevoir cette retransmission en se connectant au serveur de celui-ci,

–        bien que ces abonnés se trouvent dans la zone de réception de ladite radiodiffusion télévisuelle terrestre et puissent recevoir légalement celle-ci sur un récepteur de télévision.

2)      La réponse à la première question n’est pas influencée par le fait qu’une retransmission, telle que celle en cause au principal, est financée par la publicité et revêt ainsi un caractère lucratif.

3)      La réponse à la première question n’est pas influencée par le fait qu’une retransmission, telle que celle en cause au principal, est effectuée par un organisme qui se trouve en concurrence directe avec le radiodiffuseur original.

 

L’arrêt du 3 mai 2012 de la Cour de Cassation relance de nombreux débats sur les marques et Internet

L’arrêt du 3 mai 2012 de la Cour de Cassation relance de nombreux débats ……..

  • Un bref rappel des faits

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les sociétés Parfums Christian Dior, Kenzo Parfums, Parfums Givenchy et Guerlain (les sociétés DKGG), qui commercialisent leurs produits dans le cadre de réseaux de distribution sélective, ayant fait constater que, par l’intermédiaire des sites d’enchères en ligne des sociétés eBay Inc et eBay AG, des annonceurs offraient à la vente des produits Dior, Guerlain, Givenchy et Kenzo, ont assigné ces deux sociétés devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de les voir condamnées au paiement de dommages-intérêts et de voir prononcer des mesures d’interdiction ; que les sociétés eBay Inc et eBay AG ( les sociétés eBay) ont soulevé l’incompétence de la juridiction française et la nullité des « constats » dressés par les agents de l’Agence pour la protection des programmes ;

Nous avions déjà eu quelques commentaires en 2008 sur ce jugement


  • Les constats sur Internet autre que ceux des huissiers

Sur le premier moyen :

Attendu que les sociétés eBay font grief à l’arrêt d’avoir rejeté leur demande tendant à l’annulation de ces constats et leur rejet des débats, alors, selon le moyen, que les constats établis par les agents de l’Agence pour la protection des programmes relatifs à la constatation de faits qui ne relèvent pas de leur champ de compétence, s’étendant aux infractions liées au droit d’auteur, à ses droits voisins et aux droits des producteurs de données, sont nuls ; qu’un acte nul ne saurait produire aucun effet juridique ; qu’en jugeant néanmoins que les constats établis par les agents de l’APP à la demande de la société Louis Vuitton Malletier, concernant des faits qui seraient constitutifs d’une atteinte au droit des marques, constituaient des éléments de preuve et en se fondant sur eux pour retenir sa compétence puis la responsabilité des sociétés eBay, la cour d’appel a violé l’article L. 331-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que la preuve de faits juridiques pouvant être rapportée par tous moyens, la cour d’appel a pu retenir que les constatations de l’Agence pour la protection des programmes valaient à titre de simple renseignement ; que le moyen n’est pas fondé ;

  • Quel juge est compétent ?

Sur le troisième moyen :

Attendu que les sociétés eBay font grief à l’arrêt d’avoir dit la société eBay International AG mal fondée en son exception d’incompétence, alors, selon le moyen :

1°/ qu’en matière délictuelle, sont compétentes les juridictions de l’Etat sur le territoire duquel le site internet incriminé est accessible, si son activité est dirigée vers les internautes de cet Etat ; que c’est au regard de l’activité du site incriminé lui-même, et non d’un autre site, que la notion d’activité «dirigée» doit être appréciée ; qu’en retenant sa compétence pour connaître de l’activité du site anglais ebay.uk aux seuls motifs que le site ebay.fr avait incité les internautes français à le consulter, quand il lui appartenait d’apprécier l’activité du site ebay.uk et non celle d’un autre site pour déterminer si celui-ci visait les internautes français et avait mis en oeuvre des mesures pour les attirer, la cour d’appel a violé l’article 5-3 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988, ensemble l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le principe de sécurité juridique et celui de prévisibilité des règles de compétence ;

2°/ qu’en toute hypothèse, en retenant sa compétence pour connaître de l’activité du site anglais ebay.uk aux motifs que les procès-verbaux de constats fournis établissaient que le site ebay.fr avait incité les internautes français à consulter le site voisin ebay.uk, quand aucune des parties n’avait invoqué l’existence d’un procès-verbal duquel il résulterait que le site ebay.fr aurait incité les internautes français à consulter le site anglais et que les sociétés DKGG s’étaient bornées à invoquer, à ce titre, un communiqué de presse d’eBay du 5 mars 2009, visant une campagne commerciale s’étant déroulée en 2009, la cour d’appel a dénaturé les termes du litige et a ainsi violé l’article 4 du code de procédure civile ;

3°/ qu’en toute hypothèse, en matière délictuelle, la compétence des juridictions de l’Etat sur le territoire duquel le site internet incriminé est accessible doit être appréciée en fonction de l’orientation de ce site à la date à laquelle les faits dénoncés auraient été commis ; qu’en retenant sa compétence pour connaître de l’activité du site anglais ebay.uk aux motifs que les procès-verbaux de constats fournis établissaient que le site ebay.fr avait incité les internautes à consulter le site voisin ebay.uk, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les pièces fournies par les sociétés DKGG n’étaient pas relatives à une campagne commerciale menée en 2009, soit postérieurement à la période litigieuse, qui allait de 2001 à 2006, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 5-3 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;

Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt relève que le site ebay.fr a incité à plusieurs reprises les internautes français à consulter le site ebay.uk pour élargir leur recherche ou profiter d’opérations commerciales pour réaliser des achats et qu’il existe une complémentarité entre ces deux sites ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui a fait ressortir, sans méconnaître les termes du litige, que le site ebay.uk s’adressait directement aux internautes français, a légalement justifié sa décision de retenir la compétence des juridictions françaises pour connaître de l’activité de ce site ;

Attendu, en second lieu, que les sociétés eBay n’ayant pas soutenu que les pièces produites par les sociétés DKGG faisaient référence à des faits se situant en dehors de la période litigieuse, la cour d’appel n’avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

  • L‘inévitable débat de la qualité d’hébergeur

Sur le quatrième moyen :

Attendu que les sociétés eBay font grief à l’arrêt d’avoir dit qu’elles n’avaient pas la seule qualité d’hébergeur et ne pouvaient en conséquence bénéficier, au titre de leur statut de courtier, des dispositions de l’article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004 portant sur la confiance dans l’économie numérique, d’avoir constaté qu’elles avaient commis des fautes graves en manquant à leur obligation de s’assurer que leur activité ne générait pas des actes illicites portant atteinte aux réseaux de distribution sélective mis en place par les sociétés DKGG, d’avoir dit que ces manquements et les atteintes portées aux réseaux de distribution sélective avaient été préjudiciables aux sociétés DKGG et nécessitaient réparation et de les avoir condamnées in solidum au paiement de diverses sommes, alors, selon le moyen :

1°/ que l’exercice d’une activité d’hébergement, au sens de l’article 14 de la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000, n’est pas exclue par l’exercice d’une activité de courtage, dès lors que le prestataire exerce une activité de stockage des annonces sans contrôler le contenu éditorial de celles-ci ; qu’en jugeant néanmoins que les sociétés eBay ne pouvaient exercer une activité d’hébergement parce qu’elles fournissaient une prestation de courtage en assurant la promotion de la vente des objets mis en vente sur leurs sites, la cour d’appel a violé l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, ensemble l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive communautaire 2000/31, et les articles 14 et 15 de cette directive ;

2°/ qu’exerce une activité d’hébergement, au sens de l’article 14 de la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000, le prestataire qui exerce une activité de stockage, pour mise à disposition du public, de signaux, d’écrits, de messages de toute nature, sans opérer un contrôle de nature à lui confier une connaissance ou une maîtrise des données stockées ; que ce rôle doit être apprécié au regard du contrôle réellement réalisé par le prestataire et non en fonction de celui que ses moyens techniques lui permettraient éventuellement d’exercer ; qu’en jugeant néanmoins que l’appréciation du rôle des sociétés eBay ne devait pas se faire au regard du contrôle que ce prestataire exerçait réellement et en retenant, pour exclure l’exercice d’une activité d’hébergement, qu’elles auraient à leur disposition les moyens de connaître les annonces diffusées par les vendeurs et d’exercer un contrôle éditorial, la cour d’appel a violé l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, ensemble l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive communautaire 2000/31, et les articles 14 et 15 de cette directive ;

3°/ qu’en toute hypothèse l’existence d’une activité d’hébergement doit être appréciée au regard de chacune des activités déployées par le prestataire ; qu’en jugeant que les sociétés eBay n’exerçaient pas une activité d’hébergement aux motifs que leur activité devait être appréciée globalement, puis en refusant en conséquence de tenir compte de ce qu’il résultait de ses propres constatations que les sociétés eBay auraient des rôles différents selon les options choisies par les vendeurs, de sorte que ce n’était que pour les annonces éditées par ceux d’entre eux qui avaient opté pour des prestations complémentaires telle que l’aide à la rédaction des annonces ou la promotion de leur vente qu’elles pouvaient avoir connaissance des annonces, la cour d’appel a violé l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, ensemble l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive communautaire 2000/31, et les articles 14 et 15 de cette directive ;

Mais attendu que l’arrêt relève que les sociétés eBay fournissent à l’ensemble des vendeurs des informations pour leur permettre d’optimiser leurs ventes et les assistent dans la définition et la description des objets mis en vente en leur proposant notamment de créer un espace personnalisé de mise en vente ou de bénéficier « d’assistants vendeurs » ; qu’il relève encore que les sociétés eBay envoient des messages spontanés à l’attention des acheteurs pour les inciter à acquérir et invitent l’enchérisseur qui n’a pu remporter une enchère à se reporter sur d’autres objets similaires sélectionnés par elles ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire que les sociétés eBay n’avaient pas exercé une simple activité d’hébergement mais qu’elles avaient, indépendamment de toute option choisie par les vendeurs, joué un rôle actif de nature à leur conférer la connaissance ou le contrôle des données qu’elles stockaient et à les priver du régime exonératoire de responsabilité prévu par l’article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004 et l’article 14 §1 de la Directive 2000/31 ; que le moyen n’est pas fondé ;

  • Faut-il distinguer selon le  .com et .fr ?

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 46 du code de procédure civile ;

Attendu que pour retenir sa compétence à l’égard de la société de droit américain, eBay Inc, l’arrêt relève que la désinence « com » constitue un « TLD » générique qui a vocation à s’adresser à tout public et que les utilisateurs français peuvent consulter les annonces mises en ligne sur ce site à partir du site ebay.fr et y sont même incités ;

Attendu qu’en se déterminant par des motifs impropres à établir que le site ebay.com s’adressait directement au public de France, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

  • La vente sur Internet et les réseaux de distribution sélective : deux points importants

Sur le cinquième moyen, pris en sa cinquième branche :

Vu l’article 455 du code de procédure ;

Attendu que pour dire que les sociétés DKGG justifient de l’existence de réseaux de distribution sélective licites en France et que les sociétés eBay avaient participé indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseaux de distribution sélective mis en place par ces sociétés et engagé leur responsabilité, l’arrêt retient que ces réseaux n’ont pas d’effet sensible sur la concurrence puisque les parts de marché détenues par chacune de ces sociétés sont inférieures à 15 % et que le total des parts de marché détenues est inférieur à 25 % ; qu’il retient encore que ces sociétés n’ont nullement interdit à leurs distributeurs agréés qui disposent de points de vente physiques de recourir au réseau internet pour vendre et promouvoir les parfums ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions par lesquelles les sociétés Ebay soutenaient que les sociétés DKGG ne pouvaient se prévaloir du bénéfice de l’exemption dès lors que les accords conclus avec les distributeurs de parfums avaient pour objet de fixer les prix de vente, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

Et sur ce moyen, pris en ses huitième et neuvième branches :

Vu l’article L. 442-6-I 6° du code de commerce ;

Attendu que pour dire que les sociétés eBay avaient participé à la violation de l’ interdiction de revente hors des réseaux de distribution sélective mis en place par les sociétés DKGG et avaient engagé leur responsabilité, et pour les condamner à réparation et prononcer des mesures d’interdiction, l’arrêt retient qu’il importe peu que cette violation soit commise par un professionnel du commerce ou par un particulier et relève que ces sociétés ont laissé perdurer, sans prendre de mesures effectives, l’organisation de ventes importantes hors réseaux sur lesquelles elles ont perçu des commissions ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que les ventes accomplies par de simples particuliers ne sont pas susceptibles de constituer une violation d’une interdiction de revente hors réseau de distribution sélective, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

  • D’où un arrêt de cassation partielle

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a retenu sa compétence à l’égard de la société eBay Inc, exploitant le site ebay.com, dit que les sociétés eBay avaient engagé leur responsabilité sur le fondement de l’article L. 442-6-I 6° du code de commerce et condamné les sociétés eBay in solidum à payer diverses sommes aux sociétés Parfums Christian Dior, Kenzo Parfums aujourd’hui dénommée LVMH Fragrance Brands, Parfums Givenchy aujourd’hui dénommée LVMH Fragrance Brands et à la société Guerlain, l’arrêt rendu le 3 septembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Condamne les sociétés Parfums Christian Dior, Kenzo Parfums, Parfums Givenchy ces deux dernières aujourd’hui dénommées LVMH Fragrance Brands et la société Guerlain aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trois mai deux mille douze.

 

Le 5 avril, la Cour de Cassation rappelle le point de départ sur Internet du délai de prescription en matière civile

Le 5 avril 2012, un troisième arrêt important est rendu par la Cour de Cassation : il rappelle le point de départ du délai de prescription en matière civile dans une affaire où l’article avait été mis en ligne sur Internet 13 ans auparavant.


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :

Sur le moyen unique :

Attendu, selon l’arrêt attaqué (Paris, 8 juin 2011), que la société Nouvelle du Journal de l’Humanité (la société) a mis en ligne, au courant du mois d’août 1996, sur son site Internet des articles concernant l’état de santé de M. X… ; que, considérant que ces informations étaient constitutives d’une atteinte à sa vie privée au regard des articles 9 du code civil et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, M. X… a fait assigner, par acte du 7 septembre 2009, la société devant un tribunal de grande instance en réparation du préjudice résultant de cette faute civile ;

Attendu que M. X… fait grief à l’arrêt de déclarer prescrite son action alors, selon le moyen, que le délai de prescription de l’action en responsabilité extracontractuelle court à compter du jour de la manifestation du dommage causé à la victime ou de la date à laquelle il a été révélé à cette dernière, si celle-ci n’en avait pas eu précédemment connaissance ; qu’en ayant décidé que le délai de prescription de l’action en responsabilité pour atteinte à la vie privée engagée par M. X… avait couru à compter de la mise en ligne sur l’Internet du texte litigieux au mois d’août 1996 et non à compter de la révélation du dommage à la victime au mois d’avril 2009, la cour d’appel a violé l’article 2270-1 ancien du code civil ;

Mais attendu que le délai de prescription de l’action en responsabilité civile extracontractuelle engagée à raison de la diffusion sur le réseau Internet d’un message, court à compter de sa première mise en ligne, date de la manifestation du dommage allégué ;

Et attendu que l’arrêt retient que le texte incriminé déjà publié sur le support papier le 14 janvier 1991 a été mis en ligne courant août 1996 ; qu’étant exclusif de toute confidentialité depuis cette époque, ce texte ne pouvait être considéré comme « étant clandestin » ; que c’est à partir de cette mise en ligne, équivalente à la mise à disposition du public, que le délai de prescription de dix ans devait être calculé et non à partir des seules constatations de M. X…, datant du 6 mai 2009, soit treize ans après la révélation au public du texte ;

Qu’en l’état de ces constatations et énonciations, la cour d’‘appel a exactement décidé que l’ action engagée par M. X… était prescrite ;

D’où il suit que le moyen n’est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. X… aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze avril deux mille douze.