Les Républicains, le rappel du droit des marques par le jugement du 26 mai 2015

Le jugement du 26 mai 2015 intervenu en état de référé dans le litige relatif à la possibilité pour un parti politique, l’UMP,  de choisir comme nom le terme « Les Républicains » se prononce également sur le droit des marques. Pour rejeter  » .. le trouble manifestement illicite résultant de l’application du droit des marques « , c’est à un véritable rappel du droit des marques que se livre le Tribunal de grande instance de Paris.

Différentes marques étaient en cause, dont celle portant sur ce signe :

 

  • Les faits

La SAS Aubert Storch Associés Partenaires a déposé le 10 novembre 2014 devant l’institut national de la propriété industrielle (INPI) trois marques françaises semi-figuratives.

La SAS Aubert Storch Associés Partenaires a également déposé le 17 mars 2015 une marque nominative LES RÉPUBLICAINS sous le n° 4165417.

Les requérants exposent que ces marques sont illicites, qu’elles ont été déposées de manière frauduleuse et qu’il y a détournement de la finalité du droit des marques et atteinte à la liberté d’expression et à la propriété intellectuelle.

  • Des marques non encore enregistrées

Il convient de préciser que la marque semi-figurative, en couleur, déposée le 10 novembre 2014 sous le n° 4132643 et la marque nominative LES RÉPUBLICAINS déposée le 17 mars 2015 sous le n°4165417 n’ont pas été délivrées par l’\NPI, de sorte que toute demande relative à ces marques est irrecevable.

  • Des marques enregistrées dont la demande de nullité ne peut pas être examinée par le juge des référés

La marque semi-figurative, en couleur, enregistrée le 6 mars 2015 sous le n° 4132642, et la marque semi-figurative, en couleur, enregistrée le 6 mars 2015, sous le n° 4132642, ont été déposées pour les produits et services suivants:

( le jugement indique la liste des produits et des services avec l’indication des classes 14, 16, 25, 35, 38, et 41, énumération non reproduite ici )

Les demandeurs font valoir un certain nombre de moyens relatifs à la nullité de la marque qui établiraient le trouble manifestement illicite ou le dommage imminent et fonderaient la mesure d’interdiction demandée.

Or s’ils ont saisi le juge des référés, ils n’ont à aucun moment utilisé la voie de l’opposition ni saisi le tribunal au fond d’une demande de nullité fondée sur les mêmes moyens, alors qu’il est constant que le juge des référés n’a pas le pouvoir de prononcer la nullité d’une marque.

  • Les marques s’adressent aux consommateurs et non aux citoyens. Des marques non déposées pour désigner un parti politique

L’article 2 de la Directive repris dans les arrêts de la CJUE notamment depuis l’arrêt ARSENAL du 12 novembre 2002 précise:

« La marque constitue une élément essentiel du système de concurrence non faussé que le traité entend établir et maintenir. Dans un tel système les entreprises doivent être en mesure de s’attacher la clientèle par la qualité de leurs produits et leurs services, ce qui n’est possible que gr6ce à l’existence de signes distinctifs permettant de les identifier. Dans cette perspective, la fonction essentielle de la marque est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine du produit ou du service de ceux qui ont une autre provenance…. elle doit constituer la garantie que tous les produits qu’elle désigne ont été fabriqués ou fournis sous le contrôle d’une entreprise unique à laquelle peut être attribuée la responsabilité de leur qualité …

En conséquence, toute personne peut déposer une marque dans le but de protéger un signe en vue de son exploitation dans la vie des affaires et dans le but d’identifier les produits et services qu’elle entend exploiter.

Une association peut également déposer une marque lorsqu’elle développe une activité dans la vie des affaires.

L’article L.7Il-3 du code de la propriété intellectuelle dispose que « ne peut être adopté comme marque ou élément de marque un signe :

a)exclu par l’article 6 de la Convention de Paris en date du 20 mars 1883 révisée, pour la protection de la propriété industrielle ou par le paragraphe 2 de l’article 23 de l’annexe 1 C à l’Accord instituant 1’Organisation mondiale du commerce;

b) contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs ou dont l’utilisation est légalement interdite.. . ,

c)de nature à tromper le public notamment sur la nature, la qualité ou la provenance géographique du produit ou du service ».

Pour remplir sa fonction essentielle d’identification, une marque doit être distinctive, ce qui suppose que les éléments entrant dans sa composition soient arbitraires par rapport aux produits ou services qu’elle désigne et soient perçus par le Consommateur comme pouvant identifier l’origine du produit en le rattachant à une entreprise spécifique.

Il convient de préciser que la personne de référence qui doit être à même de percevoir le signe comme identifiant l’origine des produits et service est le consommateur de ces produits, c’est-à-dire le consommateur ct non le citoyen.

En l’espèce, il s’agit de deux marques semi-figuratives ct en couleurs combinant un R illustré de 3 bandes aux couleurs de la République et du terme « les républicains » ; elles visent dans leur dépôt les mêmes produits et services des classes 14, 16, 25, 35, 38 et 41 et ont été déposées par la SAS Aubert Storch Associés Partenaires.

Ainsi le terme « les républicains » même s’il est composé de deux mots courants, le mot « républicains » précédé de l’article défini pluriel « les », et d’un logo représentant un R aux trois couleurs de la République, est suffisamment arbitraire au regard des produits et services visés au dépôt de la marque pour être perçu par le consommateur moyen comme un signe permettant d’identifier l’origine du produit ou du service. le terme n’ayant pas été déposé pour désigner l’activité politique d’un parti.

La partie figurative de la marque constituée d’un « R » stylisé aux trois couleurs de la République Française ne reproduit pas le drapeau mais seulement les couleurs attachées à celui-ci et les symboles officiels de la République ne sont à aucun moment repris, de sorte que le moyen tiré dc l’article L 711-3 a) est sans pertinence.

De surcroit, seul l’Etat pourrait demander sur ce fondement la nullité de la marque et les demandeurs sont irrecevables à soulever ce moyen.

Enfin le risque de confusion allégué par les demandeurs doit faire 1’objct d’une appréciation abstraite par référence au dépôt d’une part, en considération d’un public pertinent correspondant au consommateur des produits et services concernés normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, et d’autre part, par comparaison entre le signe litigieux utilisé et la marque protégée par référence à son enregistrement indépendamment de ses conditions d’exploitation mais également par comparaison des services et produits visés dans l’enregistrement et des produits et services commercialisés sous le signe litigieux. Le risque de confusion est en outre analysé globalement : tous les facteurs pertinents, dont la notoriété de la marque et l’importance de sa distinctivité, doivent être pris en considération, l’appréciation globale de la similitude de la marque du signe litigieux devant être fondée sur l’impression d’ensemble qu’ils produisent au regard de leurs éléments distinctifs et dominants.

En l’espèce, les demandeurs ne font à aucun moment l’analyse du signe au regard des produits et services désignés au dépôt en prenant en compte produits par produits le consommateur de référence de sorte que leur demande tendant à dire sur le fondement de l’article 711-3 c) que le signe serait décéptif c’ est-à-dire trompeur pour le consommateur au regard des produits et services désignés, est sans aucun fondement.

Les demandeurs font encore valoir sur le fondement de l’article L 711.3 b) du code de la propriété intellectuelle que le signe serait contraire à l’ordre public ou aux bonnes mœurs.

Mais il n’est pas démontré le moindre trouble aux bonnes mœurs, ni à l’ordre publie, dont l’appréciation relèverait de toute manière du seul juge du fond.

Enfin, les demandeurs n’expliquent pas en quoi le fait de déposer deux marques semi-figuratives et en couleurs « les R Républicains » pour les produits ct services visés au dépôt serait contraire à J’ordre public puisqu’il ne  s’agit d’aucun appel à transgresser la loi ou d’aucun éloge d’un acte délictueux.

  • Pas dépôt frauduleux au sens du droit des marques

Les demandeurs reprochent encore aux défenderesses un dépôt frauduleux des marques.

L’article L 712.6 du code de la propriété intellectuelle dispose que: « Si un enregistrement a été demandé soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut en revendiquer sa propriété en justice « .

Par ailleurs, en application du principe fraus omnia corrumpit, un dépôt de marque est frauduleux lorsqu’il est effectué dans l’intention de priver autrui d’un signe nécessaire à son activité présente ou ultérieure. La fraude est caractérisée dès lors que le dépôt a été opéré pour détourner le droit des marques de sa finalité, non pour distinguer des produits et services en identifiant leur origine mais pour priver des concurrents du déposant ou tous les opérateurs d’un même secteur d’un signe nécessaire à leur activité.  Le caractère frauduleux du dépôt s’apprécie au jour du dépôt et ne se présume pas, la charge de la preuve de la fraude pesant sur celui qui l’allègue.

Ainsi il importe peu que le dépôt des deux marques ait été effectué par la SAS Aubert Storch Associés Partenaires pour le compte de l’UMP, car il est de pratique courante que les dépôts de marque soient effectués par tes agences de publicité pour le compte de leurs clients; cette pratique n’a aucunement pour but de priver un concurrent de l’usage du signe.

De plus et comme il l’a été rappelé plus haut, le signe ainsi réservé n’est protégé que pour l’usage du signe dans la vie des affaires pour l’exploitation des produits et services visés au dépôt.

Les demandeurs ne prétendent pas exploiter ce signe ni en être privés dans la vie des affaires; ils prétendent seulement que l’UMP tente de s’approprier un symbole de la République dans la vie politique et non au regard d’une activité commerciale limitée aux produits et services visés au dépôt.

Ce dépôt n’ayant pas été fait dans le but de nuire à un concurrent dans la vie des affaires ni à détourner le droit des marques au regard des produits visés, ce moyen est également sans fondement.

  • Pas d’atteinte au nom patronymique

Les demandeurs font encore grief aux défenderesses une atteinte au patronyme Républicain.

L’article L 711-4 du Code de la propriété intellectuelle dispose :

« Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte a des droits antérieurs et notamment :

g) au droit de la personnalité d’un tiers, notamment à son nom patronymique ou  à son image. « 

Le patronyme et la marque ne remplissent pas la même fonction et de ce fait ne disposent pas de la même protection.

Comme il l’a déjà été dit plus haut, outre que le signe déposé est un signe semi-figuratif et en couleurs, que la partie nominale contient un article défini et que les deux mots sont au pluriel, aucune confusion ne peut intervenir entre le patronyme  Républicain, dont il n’est pas prétendu qu’il est également utilisé par l’une des parties à titre de marque dans son activité, et les deux marques enregistrées, de sorte que la demande des consorts Républicain est également mal fondée.

Pour tous ces motifs, le trouble manifestement illicite et le dommage imminent, tels qu’ils résultent du code de la propriété intellectuelle, ne sont pas établis.