Cadran de montre et œuvre d’art antérieure. Un expert peut-il intervenir devant l’OHMI ?

L’intervention d’un expert dans les contentieux de propriété industrielle est souvent envisagée, est-elle toujours possible, en particulier lors d’une procédure de nullité d’un modèle communautaire devant l’OHMI ? L’arrêt du 6 juin 2013 du Tribunal examine une demande d’expertise à propos d’une requête en nullité d’un modèle de cadran de montre au regard de différentes œuvres d’art de l’artiste allemand Paul Heimbach.

28 septembre 2006 : Qwatchme A/S demande l’enregistrement à titre de modèle communautaire , en noir et blanc, :

La demande est enregistrée pour « Cadrans de montres, partie de cadrans de montres, aiguilles de cadrans ».

25 juin 2008 : M. Erich Kastenholz engage une action en nullité pour absence de nouveauté et pour un usage abusif d’un cadran protégé par la législation allemande sur les droits d’auteur.

Sont invoqués les cadrans utilisant la superposition de disques colorés  de l’artiste allemand, Paul Heimbach entre 2000 et 2005 « Farbfolge II, 12 Stunden im 5-Minuten Takt » (Séquence de couleurs II, 12 heures avec une cadence de 5 minutes), qui est représenté, respectivement en couleurs et en noir et blanc :

 

Sont également présentées deux pièces originales des œuvres de Paul Heimbach, à savoir « Farbfolge (5/17) » [Séquence de couleurs (5/17)], signée et datée de février 2000, et « Farbfolge II (89/100) » [Séquence de couleurs II (89/100)], signée et datée de septembre 2003 :

 

  • 16 juillet 2009 : la division d’annulation rejette la demande en nullité.
  • 25 octobre 2009 : recours par M. Erich Kastenholz.
  • 2 novembre 2010 : la troisième chambre de recours rejette le recours.
  • 6 juin 2013 : le Tribunal rejette le recours.

Parmi les différentes demandes de M. Erich Kastenholz, sa demande d’expertise.

16      Le requérant demande au Tribunal d’autlloriser la participation à la procédure d’un professeur d’art, en qualité d’expert, afin d’établir que l’idée originale sous-jacente aux œuvres d’art antérieures, à savoir la représentation du temps par des couleurs et des dégradés différents, bénéficie de la protection du droit d’auteur et de donner à cet expert, le cas échéant, la possibilité d’apporter lors de l’audience des explications complémentaires au rapport d’expertise ayant été présenté lors de la procédure administrative.

17      L’OHMI considère qu’il n’y a pas lieu d’admettre la participation d’un professeur d’art en tant qu’expert à la procédure devant le Tribunal, car les observations figurant dans le rapport d’expertise ne seraient pas pertinentes afin d’établir que lesdites œuvres d’art doivent être protégées contre l’enregistrement du dessin ou modèle contesté.

18      L’intervenante considère que la demande tendant à la mise en œuvre d’une expertise, telle qu’elle est sollicitée par le requérant, est dénuée de pertinence.

19      À cet égard, il convient de relever que son règlement de procédure confère au Tribunal un pouvoir discrétionnaire afin de décider s’il y a lieu ou non d’ordonner une mesure telle qu’une expertise. En effet, aux termes de l’article 65 de ce règlement, le Tribunal peut ordonner une expertise, soit d’office, soit à la demande d’une des parties. Lorsqu’une demande d’expertise, formulée dans la requête, indique avec précision les motifs de nature à justifier une telle mesure, il appartient au Tribunal d’apprécier la pertinence de cette demande par rapport à l’objet du litige et à la nécessité de procéder à une telle mesure.

20      En l’espèce, l’activité d’un professeur d’art en qualité d’expert se limiterait à examiner les circonstances factuelles du litige et à donner une opinion qualifiée sur celles-ci, sur la base de ses compétences professionnelles.

21      Or, la question de l’établissement de l’existence d’une protection du droit d’auteur pour l’idée originale sous-jacente à une œuvre d’art est une appréciation de nature juridique qui, dans le cadre de la présente procédure, ne relève pas de la compétence d’un expert en matière d’art.

22      Dès lors, il convient de rejeter la demande du requérant.

 

 

 

Boitier de montre : aspect décoratif et absence de caractère distinctif

L’aspect décoratif peut -il donner un caractère distinctif à un signe qui en est par ailleurs dépourvu ?

Voyons la solution donnée par l’arrêt du TPICE du 6 juillet 2011 T-235/10

Timehouse GmbH demande pour « Joaillerie, bijouterie ; horlogerie et instruments chronométriques » la marque communautaire :


L’examinateur rejette la demande de marque pour défaut de caractère distinctif.

La Chambre de recours confirme le rejet : »un cadran circulaire, des aiguilles, un verre de montre légèrement saillant, un bouton de réglage et un boîtier rectangulaire » étant « habituels de la configuration des montres en général. En ce qui concerne le bord dentelé de la face supérieure carrée, celui-ci constituerait uniquement un élément décoratif dans l’esprit du public concerné, » dont le niveau d’attention est élevé.

Pour la Chambre :

« les différents éléments de la marque ne produisaient pas, dans leur ensemble, une impression divergeant de manière significative de celle de la configuration usuelle d’une montre, de sorte que le consommateur ne percevrait pas cette configuration comme une indication de l’origine des produits en cause »

L’affaire vient finalement devant le Tribunal qui va à nouveau rejeter le recours de la déposante ;

Pour le Tribunal, tout d’abord, le signe déposé contient des éléments qui ne divergent pas de manière significative de ce qui est habituel pour de tels produits :

  • à propos de la forme du boîtier dont la requérante disait qu’il présentait un aspect de pyramide tronquée, le tribunal relève en se reportant aux pièces produites par l’Office au dossier, que « les boîtiers de montre revêtent une abondance de configuration différente. En outre, plusieurs exemples de montres carrées figurant dans le dossier disposent de boîtiers dont les surfaces ne sont pas à angle droit ».
  • En ce qui concerne le cadran rond posé sur une surface rectangulaire, le tribunal l’a aussi en se reportant au dossier, relève que cet élément n’est pas spécifique à la marque demandée, plusieurs autres exemples comportent un cadran dont la forme de base diverge de celle de leur boîtier.
  • Reste la question du bord dentelé qui pour la requérante présenterait un caractère ornemental et qui « en raison de sa taille de son aspect par rapport au reste du signe », serait capable de remplir la fonction essentielle de la marque « consistant à renvoyer à l’origine du produit ou du service ».

Le tribunal relève que l’éventuelle fonction décorative reconnue au bord dentelé par la requérante est sans incidence sur son caractère distinctif.

Bien que la requérante ait souligné sur les montres rectangulaires habituelles, l’absence d’un quelconque élément décoratif sur le rebord et surtout pas un rebord dentelé ce qui donnerait au produit la forme d’un objet entièrement différent à savoir celle « d’un timbre-poste » le tribunal rejette cet argument :

  • qu’un signe remplisse différentes fonctions simultanément est sans incidence sur son caractère distinctif,
  • il faut également que celui-ci soit perçu par le public pertinent comme une indication de l’origine commerciale du produit,
  • compte tenu de l’abondance des formes de décoration utilisées dans le secteur de la joaillerie, de la bijouterie, et de l’horlogerie, la face supérieure du boîtier au bord dentelé n’est pas non plus susceptible d’indiquer l’origine du produit au public pertinent,
  • c’est donc inutilement que la requérante contestait la décision de la chambre de recours au motif qu’elle n’aurait pas fourni des indications sur les éléments qui agrémentent habituellement le bord des montres, le tribunal rappelant que l’originalité n’est pas un critère pertinent pour l’appréciation du caractère distinctif d’une marque, .la chambre de recours n’avait pas à examiner cette question de la prétendue originalité de ce bord.

A noter dans cette affaire,  la requérante invoquait une décision judiciaire déjà intervenue en Allemagne qui avait apprécié la caractéristique concurrentielle résultant de « la dentelure de la surface de la montre rappelant un timbre-poste avec le verre de montre bombé placé  au-dessus des aiguilles ainsi que des côtés étroits aplatis de la surface inférieure du corps de la montre ».

Argument également écarté par le Tribunal :

  • cette décision allemande est intervenu en droit de la concurrence et non en droit des marques,
  • le juge de la marque communautaire n’est pas tenu par une décision nationale intervenue sur une marque nationale.