Titularité des droits d’auteur et exploitation antérieure, l’arrêt de la Cour de cassation du 4 mai

La titularité des droits d’auteur offre l’occasion à de nombreux débats judiciaires, l’arrêt rendu le 4 mai par la Cour de cassation précise cette problématique au regard d’une exploitation antérieure.

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que M. X… déclare avoir créé des modèles de sandales qu’il a fait fabriquer en Thaïlande et qu’il commercialise en France avec la SARL La Marine, dans des braderies et sur les marchés ; qu’ayant constaté le 23 juin 2004, que des modèles de sandales reprenant, selon lui, les caractéristiques de ses modèles étaient offerts à la vente, lors de la braderie de Rennes, sur le stand tenu par Mme Y…et M. Z…, il a fait assigner ces derniers en contrefaçon de ses droits d’auteur et en concurrence déloyale, que la SARL La Marine est intervenue volontairement à l’instance ;

Sur le second moyen :

Attendu qu’il est fait grief à l’arrêt d’avoir débouté M. X… et la société La Marine de leur action en concurrence déloyale, alors, selon le moyen, qu’est constitutive d’une telle concurrence la commercialisation d’un produit sous une présentation de nature à générer un risque de confusion dans l’esprit de la clientèle sur l’origine des produits ; qu’en se bornant à relever que le nom commercial  » La Tresse  » ne prêterait pas à confusion avec la dénomination  » La Marine « , sans rechercher, comme elle y était pourtant invitée, si ce terme ne rappelait pas le slogan utilisé par M. X… depuis nombreuses années, et si la reprise de cet élément de communication pour commercialiser des copies serviles des produits exploités par M. X… et la société La Marine n’était pas de nature à entraîner un risque de confusion dans l’esprit du public, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1382 du code civil ;

Mais attendu que la cour d’appel qui a procédé à un examen précis des conditions dans lesquelles les sandales étaient présentées sur le stand tenu par la société La Marine et sur celui tenu par Mme Y…et M. Z…, et qui a pris en considération les dénominations utilisées par les parties pour accompagner la vente de leurs produits, a souverainement estimé que la clientèle n’était pas exposée à un risque de confusion ; qu’elle a ainsi légalement justifié sa décision ; que le moyen n’est pas fondé ;

Mais sur le premier moyen :

Vu l’article L. 113-5 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que l’exploitation non équivoque d’une oeuvre par une personne physique ou morale sous son nom et en l’absence de revendication du ou des auteurs, fait présumer à l’égard du tiers recherché pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l’oeuvre du droit de propriété incorporelle ;

Attendu que pour débouter M. X… de son action en contrefaçon, l’arrêt constate que celui-ci n’apportait aucun élément de nature à justifier de sa qualité d’auteur et retient qu’il n’était pas présumé titulaire des droits d’exploitation des modèles en cause qui avaient été vendus par des tiers à La Réunion et sur le marché de Chatuchak à Bangkok, avant qu’il ne commençât à les commercialiser ;

Qu’en statuant ainsi alors qu’il résultait de ses propres constatations, que M. X… justifiait d’actes non équivoques d’exploitation en France métropolitaine depuis juin 2001, la cour d’appel a violé, par fausse application, le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu’il a rejeté les demandes formées au titre de la concurrence déloyale, l’arrêt rendu le 2 décembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel d’Angers ;

Condamne M. Z…et Mme Y…aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Action en nullité d’une marque communautaire : à propos de CHICKEN ON THE GRILL, la mauvaise foi du déposant n’a pas été prouvée

L’arrêt en date du 1er février 2012 rendu par le Tribunal se prononce sur la question de la mauvaise foi du déposant.

Affaire T‑291/09, Carrols Corp., contre Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI).

La marque communautaire qui a été enregistrée, et qui est attaquée en nullité

22 novembre 2002 : dépôt au nom de M. Giulio Gambettola de la demande de marque communautaire :

–        classe 25 : « Vêtements confectionnés » ;

–        classe 41 : « Discothèques » ;

–        classe 43 : « Services de restauration (alimentation) ».

21 avril 2004 : la marque est enregistrée.

Les marques invoquées à l’appui de la demande en nullité de la marque enregistrée le 21 avril 2004

22 janvier 2007 : action en nullité auprès de l’OHMI déposée par Carrols Corp en invoquant :

1°) d’une part, l’existence d’un risque de confusion au Royaume-Uni, où elle possède deux enregistrements de marque prioritaires, pour des services de restauration :

  • l’une figurative déposée le 30 juin 1999 :

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  • l’autre verbale du 19 juin 2000,  POLLO TROPICAL,

2°) et, d’autre part, le fait que l’enregistrement a été demandé de mauvaise foi au regard d’un enregistrement américain.

Un précédent litige devant l’Office espagnol des marques

20 juin 1994 : dépôt par M. Giulio Gambettola, d’une demande d’enregistrement de la marque espagnole figurative qui a été enregistrée le 20 décembre 1995 :

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et cette marque espagnole a été opposée aux dépôts, le 21 octobre 1994, de Pollo Tropical, Inc., société aux droits de laquelle vient Carrols Corp., des deux demandes d’enregistrement :

  • l’une pour la marque verbale POLLO TROPICAL,
  • l’autre concernant la marque figurative en invoquant la marque US demandée le 25 avril 1994 et enregistrée le 19 août 1997 :

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Ces deux demandes de marques espagnoles ont été rejetées.

Les décisions de l’OHMI (sans entrer ici dans leur détail)

17 mars 2008 : la division d’annulation rejette la demande en nullité.

7 mai 2009 : la première chambre de recours de l’OHMI rejette le recours.

La décision du Tribunal : le recours est rejeté.

Différents motifs sont examinés, n’est reprise ci-dessous que l’argumentation principale sur la mauvaise foi.

  • La date à laquelle le comportement du déposant doit être apprécié :

« l’existence de la mauvaise foi du déposant devait être démontrée lors du dépôt, soit le 22 novembre 2002.

Toutefois, les faits de la présente espèce ont amené la chambre de recours à examiner des circonstances antérieures à cette date, puisque la demande de marque communautaire introduite par l’intervenant est consécutive à l’enregistrement d’une marque nationale antérieure identique.

58 Ainsi que l’avait relevé, à juste titre, la division d’annulation, il existe une continuité ou une « trajectoire commerciale » unissant les marques de l’intervenant, raison pour laquelle la date de présentation de la marque espagnole doit également être prise en considération.

59 Certes, la chambre de recours a semblé exclure la prise en considération de la date de présentation de la demande de marque nationale antérieure, au point 26 de la décision attaquée, en considérant que « la chambre de recours ne procédera pas à l’appréciation de la mauvaise foi ou de la bonne foi de [l’intervenant] lors du dépôt des demandes d’enregistrement en Espagne, dans la mesure où non seulement celles-ci ont eu lieu il y a huit ans, mais également où il s’agit d’une question dont la compétence relève exclusivement de la juridiction nationale, en particulier la juridiction espagnole ».

60 Toutefois, en constatant, au point 27 de la décision attaquée, « que le dépôt de la demande de marque communautaire en 2002 par [le déposant] n’était que le développement commercial normal et prévisible de son activité de restauration », la chambre de recours a nécessairement procédé à l’examen des circonstances antérieures à la demande de ladite marque.

  • A cette époque, quelle connaissance le déposant avait-il de la marque américaine ?

Or, il ne ressort d’aucun élément du dossier que la connaissance par [le déposant ] de la marque américaine pourrait être présumée, dans la mesure où, d’une part, cette dernière marque bénéficiait d’un enregistrement, non pas dans un État membre, mais dans un pays tiers, et, d’autre part, entre la demande de marque espagnole, soit le 20 juin 1994, et la demande de marque américaine, soit le 25 avril 1994, une période de deux mois seulement s’est écoulée. Même si la date du premier usage de la marque américaine devait être prise en considération, à savoir le 13 septembre 1991, une période de trois ans et demi se serait écoulée, mais ce seul fait serait, en tout état de cause, insuffisant, eu égard à la localisation géographique de la marque, pour permettre de présumer que [ le déposant ] en avait connaissance au moment du dépôt de la demande de marque espagnole. Ainsi, la seule ouverture d’un ou de plusieurs restaurants en Floride (États-Unis) ou dans d’autres pays situés en Amérique du Sud ne saurait être considérée comme étant de nature à établir la connaissance, par [le déposant ], de l’usage antérieur de la marque américaine.

62 La requérante n’a donc versé aux débats aucun commencement de preuve qui permettrait de présumer que [ le déposant ] ne pouvait ignorer l’existence de ladite marque.