Appréciation du caractère choquant d’une marque au regard de l’article 7 du réglement, le public en cause et l’appréciation objective du mot au regard des bonnes moeurs et de l’ordre public

Par son arrêt du 9 mars 2012, le Tribunal a rejeté le recours contre une décision de l’OHMI qui avait refusé l’enregistrement d’une marque sur le fondement de l’article 7 du règlement à savoir une marque contraire à l’ordre public ou aux bonnes moeurs.

Affaire T‑417/10, Federico Cortés del Valle López contre Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI).

Voyons la motivation du Tribunal

  • Pour l’appréciation du caractère offensant du signe faut-il tenir compte du consommateur moyen au sens classique du droit des marques ou bien cette analyse doit-elle être menée sur un autre public ?

« En premier lieu, le requérant soutient que le terme en cause n’est pas perçu par le « public concerné » comme un terme péjoratif ou contraire aux bonnes mœurs, mais plutôt comme un terme amusant.

20 Sur ce point, la chambre de recours a certes reconnu que, dans des circonstances très particulières, dans un contexte dans lequel le caractère blessant de l’expression se serait banalisé ou transformé, la marque pourrait être considérée comme ayant une connotation amusante ou affectueuse lorsqu’elle est prononcée sur le ton de la plaisanterie (point 25 de la décision attaquée). La chambre de recours a toutefois immédiatement relevé, et à juste titre, que le contexte auquel le requérant fait allusion n’est pas représentatif de celui dans lequel évolue le consommateur moyen espagnol des produits et services visés par la demande, mais s’inscrit au contraire dans le cadre de l’utilisation d’un langage argotique par un cercle restreint de personnes probablement peu ou pas sensibles à ce genre d’expression.

21 Ainsi, contrairement à ce qu’allègue le requérant, le fait qu’une partie du public pertinent puisse juger acceptables les propos les plus offensants ne saurait suffire pour considérer qu’il s’agit là de la perception à prendre en considération. L’appréciation de l’existence du motif de refus visé par l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement n° 207/2009 ne saurait être fondée sur la perception de la partie du public pertinent que rien ne choque, ni d’ailleurs sur celle de la partie dudit public qui peut être très facilement offensée, mais doit être faite sur la base des critères d’une personne raisonnable ayant des seuils moyens de sensibilité et de tolérance [voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 5 octobre 2011, PAKI Logistics/OHMI (PAKI), T‑526/09, non encore publié au Recueil, point 12]. Or, ainsi qu’il ressort de la définition du terme en cause donnée par le Diccionario de la lengua española cité au point 23 de la décision attaquée, ce terme est clairement perçu comme une insulte dans le langage commun, ce qui emporte des conséquences pour la perception que pourra en avoir le consommateur moyen des produits et des services visés par la demande de marque (voir point 17 ci-dessus) »

  • S’agissant d’une marque semi-figurative, le caractère choquant doit-il être apprécié globalement ou uniquement sur la partie verbale du signe ?

« En deuxième lieu, le requérant allègue que le terme en cause est toujours accompagné de l’image du produit en cause de sorte que le « public concerné » ne sera jamais affecté dans sa sensibilité, mais serait plutôt amusé, ce qui serait en particulier attesté par le fait que la commercialisation de plus de deux cent mille bouteilles revêtues du signe demandé n’aurait jamais donné lieu à la moindre protestation de la part d’une association de défense des consommateurs. Ce terme devrait également être perçu au vu de tous les éléments composant le signe demandé, qui neutraliseraient la signification susceptible d’être donnée au terme en cause.

23 À cet égard, la chambre de recours a relevé que le fait que le terme « hijoputa » soit attaché à un produit comme élément d’une marque commerciale n’élimine pas, mais au contraire accentue, son caractère intrinsèquement injurieux et choquant. Dans un contexte commercial, ce terme apparaîtra généralement sous une forme écrite, sans ton ou geste particulier ni aucun élément d’accompagnement permettant de déceler une autre intention ou de la percevoir autrement que comme ce qu’elle désigne de manière évidente et habituelle. La chambre de recours a également souligné que la marque demandée doit être appréciée telle qu’elle figure dans la demande d’enregistrement et que, de ce point de vue, les éléments qui accompagnent le terme en cause au sein du signe ne suffisent pas, dans une perspective globale, pour supprimer le message injurieux que celle-ci véhicule (point 27 de la décision attaquée).

24 En principe, le contexte commercial dans lequel s’insère une marque ne fait pas obstacle à l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous f), du règlement n° 207/2009 s’il s’avère que ladite marque comporte un élément qui, d’une manière objective, se révèle être contraire aux bonnes mœurs. En l’espèce, force est de constater que les éléments invoqués par la chambre de recours sont fondés en ce sens, tout d’abord, qu’il est avéré que le terme « hijoputa » utilisé dans le signe demandé renvoie intrinsèquement à une expression injurieuse, ce que ne conteste pas le requérant, et ensuite, que la seule mention du contexte commercial dans lequel s’insère ce signe, qui vise des produits et des services qui font l’objet d’une commercialisation auprès du grand public, ne saurait suffire à remettre en cause la signification précitée. Il en est de même en ce qui concerne l’allégation selon laquelle l’expression « ¡que buenu ye! », certes élogieuse si sa signification peut être perçue par le public pertinent (voir point 26 de la décision attaquée), ou d’autres composantes du signe demandé seraient de nature à supprimer la signification du terme « hijoputa ». En l’espèce, l’impression globale produite par le signe demandé ne diffère pas de celle qui résulte de la prise en considération du seul terme « hijoputa ».

La marque dont l’enregistrement a été refusé

  • Les produits et services revendiqués à cette demande

–        classe 33 : « Marcs et eaux de vie » ;

–        classe 35 : « Services d’assistance pour l’exploitation d’une entreprise commerciale sous le régime de la franchise, services de publicité, marketing et promotion commerciale, services de diffusion de déclarations ou messages publicitaires pour tous les médias, services d’information et de diffusion publicitaire, services d’import-export, services de vente pour majeurs et mineurs dans le commerce, par des catalogues de vente, par correspondance ou par des moyens électroniques, par exemple par le biais de sites Internet ou d’émissions de télévente, tous ces services liés à la vente de marcs et d’eaux de vie » ;

–        classe 39 : « Services d’entreposage, de distribution, de transport, de livraison, d’emballage, d’empaquetage, tous pour des marcs et des eaux de vie ».

  • Le signe refusé