Commerce International : signe banal pour un titre de magazine et pour une marque déposée pour des revues

Un arrêt du 13 décembre 2011 de la Cour de Cassation, [ ici ]  illustre la difficulté de protection des titres et des marques déposées pour les revues et magazines.

Les marques et le titres en cause

Tout d’abord, la marque et le titre opposés :

Cette marque a été déposée le 2 décembre 1999 pour « Revues. Édition de revues »

Selon l’arrêt, cette marque est concédée à une société « qui édite un magazine dénommé «Commerce International, l’actualité des chambres de commerce et d’industrie dans le monde»,

L’arrêt précise que cette société pour ce titre  « a abandonné le fond bleu de la marque pour un fond rouge » .

Le titre contesté

Une autre société, la société S… édite des revues dont « le MOCI, Moniteur du Commerce International »

Ce titre a également fait l’objet d’un dépôt à titre de marque.

Ce dépôt remonte d’ailleurs  à 1985 c’est à dire qu’il est antérieur à la marque cité ci-dessus.

Mais en 2007, la société a modifié la présentation de son magazine, l’arrêt décrit ce changement « les termes « le Moniteur du Commerce International » étant inscrits en lettres blanches sur cartouche rouge et « Le MOCI »en vertical en caractère gris »

La Cour d’appel a rejeté les demandes en contrefaçon et en concurrence déloyale fondées sur la marque et le titre, cités ci-dessus, en retenant l’absence de caractère distinctif de la dénomination « Commerce International » et qu’il n’y avait donc pas de risque de confusion.

Le pourvoi en cassation est également rejeté.

Pour la Cour de Cassation, la  cour d’appel a bien examiné non seulement les titres mais également les marques en cause :

Mais attendu qu’après avoir relevé que les marques « Le MOCI Moniteur du Commerce International » et « Commerce International, l’actualité du commerce et de l’Industrie dans le monde » comportent toutes deux les termes « commerce international » , l’arrêt retient que ces termes ne sont pas distinctifs mais banals et ne peuvent être protégés indépendamment des autres éléments de la marque, qu’il retient encore qu’ils sont aussi des éléments essentiels et dominants de la marque déposée par la société S….alors que ni le terme « MOCI » ni le terme « moniteur » n’ont de sens en eux-mêmes ni d’utilité pour cette société qui utilise les termes  » Commerce International » depuis de nombreuses années ; qu’il retient enfin que la société S……utilise depuis 1972 les lettres bâton blanches dans un cartouche rouge, ce qui n’est que partiellement le cas pour le magazine édité par la société A…..qui comporte le mot commerce en noir et la mention nettement visible en français et en anglais « l’actualité des chambres de commerce et d’industrie dans le monde » ;

Procès en contrefaçon de marque : le caractère générique du signe déposé peut-il être invoqué par l’avocat pour apprécier la contrefaçon ?

L’arrêt de la Cour de Cassation du 13 décembre 2011 [ ici ] se prononce sur le caractère générique du signe lors de l’action en contrefaçon et non lors de son dépôt à titre de marque.

A se reporter à cet arrêt, la marque Liberfree Troussepinette déposée pour « des produits de la classe 33 correspondant aux boissons alcooliques (à l’exception des bières), cidres, digestifs (alcools et liqueurs), vins, spiritueux, extraits ou essences alcooliques » a été enregistrée le 29 janvier 1988.

Début 2008, une société utilise pour son apéritif le terme La Troussepinette.

Le titulaire de la marque engage une action en contrefaçon,  « pour reproduction à l’identique » , nous précise l’arrêt.

La Cour d’appel condamne pour contrefaçon de marque.

Pourvoi en cassation de la société condamnée.

La Cour de Cassation casse la décision de la Cour d’appel.

Voyons le motif de la cassation.

Devant la Cour d’appel, la société poursuivie a prétendu que le terme Troussepinette était générique. Mais la Cour d’appel n’a pas tenu compte des éléments de preuve aux motifs « qu’ils seraient postérieurs au dépôt de la marque « Liberfree Troussepinette«  » ;

D’où la cassation : « Attendu qu’en statuant ainsi, alors que le caractère générique d’un signe s’apprécie lorsqu’il est opposé à une action en contrefaçon à la date à laquelle a commencé l’usage prétendument contrefaisant, la cour d’appel a violé les textes susvisés« .

Le caractère générique du signe s’il est établi à la date du dépôt conduit à son annulation. Cet arrêt enseigne que le caractère générique du signe est également à apprécier au moment de l’action en contrefaçon.

A noter que cet arrêt du 13 décembre s’est prononcé au regard des seuls articles relatifs à la contrefaçon, L. 713-2 et L. 713-3 du code de la propriété intellectuelle, et non de ceux qui prévoient la dégénérescence du signe déposé à titre de marque.

Contrefaçon de marque : quels documents l’avocat peut-il demander en cours de procès avant que le tribunal ne se prononce effectivement sur la demande en contrefaçon de marque ?

Le procès en contrefaçon de marque aboutit à une décision qui se prononce sur l’atteinte à la marque invoquée le plus souvent par son propriétaire.

L’avocat du titulaire de la marque peut être tenté de demander la communication de différentes informations.

L’article L716-7-1 du Code de la propriété intellectuelle prévoit  différentes dispositions en ce sens.

Si la demande lui en est faite, la juridiction saisie d’une procédure civile prévue au présent titre peut ordonner, au besoin sous astreinte, afin de déterminer l’origine et les réseaux de distribution des produits contrefaisants qui portent atteinte aux droits du demandeur, la production de tous documents ou informations détenus par le défendeur ou par toute personne qui a été trouvée en possession de produits contrefaisants ou qui fournit des services utilisés dans des activités de contrefaçon ou encore qui a été signalée comme intervenant dans la production, la fabrication ou la distribution de ces produits ou la fourniture de ces services.

La production de documents ou d’informations peut être ordonnée s’il n’existe pas d’empêchement légitime.

Les documents ou informations recherchés portent sur :

a) Les nom et adresse des producteurs, fabricants, distributeurs, fournisseurs et autres détenteurs antérieurs des produits ou services, ainsi que des grossistes destinataires et des détaillants ;

b) Les quantités produites, commercialisées, livrées, reçues ou commandées, ainsi que sur le prix obtenu pour les produits ou services en cause.

Mais cet article s’applique aux produits contrefaisants ou aux activités de contrefaçon.

Tant que le Tribunal ne s’est pas prononcé sur la contrefaçon,  y- a-t-il oui ou non contrefaçon de la marque invoquée -,  la partie en  défense  à l’action en contrefaçon peut-elle se voir ordonner la communication de toutes ces informations ?

C’est la question soumise à la Cour de Cassation qui par son arrêt du  13 décembre 2011,[ ici ]  a répondu par l’affirmative : « les dispositions de l’article L. 716-7-1 du code de la propriété intellectuelle permettent au juge de la mise en état d’ordonner les mesures qu’il prévoit , avant toute décision sur la matérialité de la contrefaçon ; »

 

Contrefaçon de marque communautaire : la portée territoriale de l’interdiction

La marque communautaire étant valable sur l’ensemble de l’union européenne, le juge quand il condamne pour contrefaçon, ordonne des mesures d’interdiction. Cette interdiction porte-t-elle sur l’ensemble des pays membres de l’union ou peut-elle  retenir comme critères des considérations propres à chaque État  ?

Portée de l'interdiction territoriale de la marque et limite étatique

Cette problématique avait fait l’objet d’une question préjudicielle auprès de la CJUE à l’initiative de la Cour de Cassation dans une affaire opposant Chronopost à DHL International à propos de la marque Webshipping.

Après l’arrêt de la CJUE du 12 avril 2011 (C-235/09), [ ici ],  la Cour de Cassation par son arrêt du 29 novembre 2011, [ ici ] a cassé partiellement l’arrêt de la Cour de Paris.

Tout d’abord, la Cour de cassation rappelle l’arrêt de la CJUE : le principe d’une interdiction sur l’ensemble de l’Union et sans rechercher si des mesures propres à chaque Etat la prévoit.

1°/ que l’article 98, paragraphe 1, du règlement n°40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire doit être interprété en ce sens que la portée de l’interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire prononcée par un tribunal des marques communautaires, dont la compétence est fondée sur les articles 93, paragraphes 1 à 4, et 94, paragraphe 1, de ce règlement, s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union européenne ;

2°/ que l’article 98, paragraphe 1, seconde phrase, doit être interprété en ce sens qu’une mesure coercitive, telle une astreinte, ordonnée par un tribunal des marques communautaires en application de son droit national en vue de garantir le respect d’une interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon qu’il a prononcée, produit effet dans les Etats membres autres que celui dont relève ce tribunal, auxquels s’étend la portée territoriale d’une telle interdiction, dans les conditions prévues au chapitre III du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, en ce qui concerne la reconnaissance et l’exécution des décisions de justice ; que lorsque le droit national de l’un de ces autres Etats membres ne contient aucune mesure coercitive analogue à celle prononcée par ledit tribunal, l’objectif auquel tend cette dernière devra être poursuivi par le tribunal compétent de cet Etat membre en recourant aux dispositions pertinentes du droit interne de ce dernier de nature à garantir de manière équivalente le respect de ladite interdiction ;

 

Puis, c’est l’application de ce principe à l’arrêt de la Cour de Paris

Attendu que pour limiter la demande d’interdiction d’usage, sous astreinte, de la marque communautaire Webshipping au seul territoire français, la cour d’appel retient que le prononcé d’une mesure d’interdiction sous astreinte, à l’échelle communautaire, suppose que le tribunal des marques communautaires ait communication des lois nationales prévoyant une mesure comparable et que l’existence d’un risque de confusion entre les signes en présence n’a été appréciée qu’au regard de la perception que pouvaient en avoir les consommateurs français ou parlant français ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, par des motifs desquels il ne résulte pas que l’existence d’un risque de confusion était limitée au seul territoire français, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

La Cour de cassation renvoie l’affaire devant l’autre formation de la Cour d’appel de Paris

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a interdit, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard passé un délai d’un mois, à compter de sa signification, sur le seul territoire français, la poursuite des actes d’usage des dénominations Webshipping et Web shipping, l’arrêt rendu le 9 novembre 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Contrefaçon de marque, de dessin et modèle, de brevet : la preuve du lieu de destination des marchandises en transit pour l’intervention des douanes

A propos des marchandises en transit suspectées de contrefaçon et de la possibilité d’intervenir pour les douanes, la CJUE a rendu un arrêt le 1er décembre 2011 [ ici ], affaires C-446/09 et C-495/09,  qui souligne l’importance du lieu de destination de telles marchandises en Europe ou ailleurs, et toutes les conséquences à tirer de l’absence de cette indication ou de l’incertitude sur ce lieu :

 

Le règlement (CE)n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant certaines mesures concernant l’introduction dans la Communauté et l’exportation et la réexportation hors de la Communauté de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, tel que modifié par le règlement (CE) n° 241/1999 du Conseil, du 25 janvier 1999, et le règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, doivent être interprétés en ce sens que:

–        des marchandises provenant d’un État tiers et constituant une imitation d’un produit protégé dans l’Union européenne par un droit de marque ou une copie d’un produit protégé dans l’Union par un droit d’auteur, un droit voisin, un modèle ou un dessin ne sauraient être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» au sens desdits règlements en raison du seul fait qu’elles sont introduites sur le territoire douanier de l’Union sous un régime suspensif;

–        ces marchandises peuvent, en revanche, porter atteinte audit droit et donc être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» lorsqu’il est prouvé qu’elles sont destinées à une mise en vente dans l’Union européenne, une telle preuve étant fournie, notamment, lorsqu’il s’avère que lesdites marchandises ont fait l’objet d’une vente à un client dans l’Union ou d’une offre à la vente ou d’une publicité adressée à des consommateurs dans l’Union, ou lorsqu’il ressort de documents ou d’une correspondance concernant ces marchandises qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union est envisagé;

–        pour que l’autorité compétente pour statuer sur le fond puisse utilement examiner l’existence d’une telle preuve et des autres éléments constitutifs d’une atteinte au droit de propriété intellectuelle invoqué, l’autorité douanière saisie d’une demande d’intervention doit, dès qu’elle dispose d’indices permettant de soupçonner l’existence de ladite atteinte, suspendre la mainlevée ou procéder à la retenue desdites marchandises, et que

–        parmi ces indices peuvent figurer, notamment, le fait que la destination des marchandises n’est pas déclarée alors que le régime suspensif sollicité exige une telle déclaration, l’absence d’informations précises ou fiables sur l’identité ou l’adresse du fabricant ou de l’expéditeur des marchandises, un manque de coopération avec les autorités douanières ou encore la découverte de documents ou d’une correspondance concernant les marchandises en cause de nature à laisser supposer qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union européenne est susceptible de se produire.