Le journal d’Anne Frank peut-il constituer une marque communautaire ?

Le site IP Kat indique que « Le journal d’Anne Frank » est suffisamment distinctif pour être déposé à tire de marque. C’est là.

Mais la décision de la Chambre de recours de l’OHMI ne dit pas que l’enregistrement à titre de marque communautaire de « Le journal d’Anne Frank » est acquis.

  • Brève chronologie de la procédure OHMI.

20 décembre 2013 :  Anne Frank Fonds demande la désignation de l’Union européenne pour la protection de sa marque internationale :

Le journal d’Anne Frank

Pour :
Classe 9 – Supports de donnés optiques, magnétiques ou électroniques enregistrés contenant des sons et/ou images, notamment disques compacts ; disques DVD ; disques acoustiques ; cassettes vidéo ; bandes magnétiques audio ; films impressionnés, films cinématographiques impressionnés, publications électroniques.
Classe 16 – Produits de l’imprimerie ; périodiques ; magazines ; journaux et livres.
Classe 41 – Représentations théâtrales ; projection de films ; organisation de visites guidées à buts culturels ou éducatifs.

1er août 2014 : l’examinatrice de l’OHMI refuse cette demande d’enregistrement.

Recours du demandeur Anne Frank Fonds.

31 août 2015 : la Chambre de recours annule la décision de l’examinatrice.

Précisons que cette annulation ne vaut nullement déclaration de validité de cette marque. La procédure d’examen de la demande d’enregistrement va simplement reprendre.

Que dit cette décision du 31 août 2015 pour annuler le rejet du 1er août 2014 ?

  • Tout d’abord, le résumé de l’argumentation de l’examinatrice.

3 Le motif principal invoqué au titre de l’article 7 du RMC était que les marques constituées exclusivement du titre d’un livre ou d’une histoire célèbre peuvent ne pas être distinctives au sens de l’article 7, paragraphe 1, point b), du RMC par rapport aux produits et services qui pourraient avoir cette histoire comme sujet.
La raison invoquée était que certaines histoires (ou leur titre) sont si anciennes et si connues qu’elles sont « entrées dans le langage » et ne peuvent avoir d’autre signification que celle d’une histoire particulière. L’examinatrice a cité les dispositions des nouvelles directives relatives à l’examen pratiqué à l’Office, entrées en vigueur le 1er février 2014.

  • L’analyse de la Chambre de recours.

Le Journal d’Anne Frank une expression qui n’a pas de sens !

26 L’expression « Anne Frank » ne décrit rien et n’a aucune signification à proprement parlé dans la mesure où il s’agit d’un prénom et d’un nom de famille. Il n’est pas raisonnable de prétendre que cette expression soit entrée dans le vocabulaire français et soit doté d’un sens, d’une signification qui n’échappera pas au public. A tout le moins l’examinatrice ne l’a pas été démontré. Le terme « journal » a été correctement défini par l’examinatrice.
Ainsi, prise dans son ensemble, l’expression « Le journal d’Anne Frank » ne décrit ni les produits et services en cause ni leurs caractéristiques.

30 La question du contenu, du sujet des CDs, des DVDs, des produits de l’imprimerie, des représentations théâtrales et des autres produits et services en cause, n’est pas soulevée. En effet, la Chambre souligne que le titre unique et distinctif « Le journal d’Anne Frank » ne signifie rien par rapport aux produits et services désignés.

Le journal d’Anne Frank n’est pas qu’une expression !

31 Enfin, la décision attaquée est aussi et surtout fondée sur le postulat que la notoriété de l’expression «Le journal d’Anne Frank» constitue dans le cas d’espèce un obstacle à son enregistrement comme marque.

32 Il n’est pas raisonnable de soutenir que la renommée d’un nom puisse constituer un obstacle au caractère enregistrable d’un signe. Comment justifier en effet que pour la simple raison que « tout le monde connaît l’histoire d’Anne Frank », le signe « Le journal d’Anne Frank » est dépourvu de caractère distinctif alors même qu’il se réfère à une oeuvre unique ? Les titres d’oeuvres ont pour nature et pour fonction de distinguer le nom d’un livre des autres oeuvres. Il convient de rappeler que le caractère distinctif d’une marque au sens de cet article signifie que cette marque permet d’identifier le produit pour lequel l’enregistrement est demandé comme provenant d’une entreprise déterminée et donc de distinguer ce produit de ceux d’autres entreprises (12/07/2012, C-311/11 P, « Wir machen das Besondere einfach », EU:C:2012:460, § 23).

33 Attaché aux produits et services en cause, ce nom n’est pas dépourvu de caractère distinctif dans la mesure où il identifie leur provenance. En effet, le consommateur pourra identifier l’origine des « supports de donnés optiques, magnétiques ou électroniques enregistrés contenant des sons et/ou images, notamment disques compacts ; disques DVD ; disques acoustiques ; cassettes vidéo ; bandes magnétiques audio ; films impressionnés, films cinématographiques impressionnés, publications électroniques ; Produits de l’imprimerie ; périodiques ; magazines ; journaux et livres ; représentations théâtrales ; projection de films ; organisation de visites guidées à buts culturels ou éducatifs » comme provenant de la titulaire et les distinguer de ces concurrents.

L’enregistrement de cette marque reposerait sur l’identité du déposant de cette marque et du titulaire légitime de l’œuvre d’Anne Frank et de ce qu’elle représente.

34 L’examinatrice n’a pas expliqué les raisons pour lesquelles il existerait un impératif de disponibilité. En effet, et dans la mesure où il est question de la protection d’une marque, rien ne justifie les raisons pour lesquelles un tiers pourrait légitimement gagner de l’argent en relation avec le travail d’Anne Frank, son histoire et son destin tragique alors que la titulaire développe l’usage commercial de ce titre. En tout état de cause, l’impératif de disponibilité n’existe pas en droit des marques communautaires. Ainsi, nul n’est besoin d’examiner si l’enregistrement comme marque serait incompatible avec une protection par le droit d’auteur. En effet, un droit d’auteur attaché à une oeuvre littéraire (identifiée par son titre) n’est pas affecté par l’enregistrement d’une marque communautaire (voir l’article 53, paragraphe 2, point c) du RMC) ou l’enregistrement international désignant l’Union Européenne.

Précisions : ce post n’aborde pas la question de la durée de la protection du titre par le droit d’auteur, que les différentes éditions ont pu prolonger au delà de l’année 2016.