Nullité de la marque : faut-il tenir compte du comportement du demandeur ou seulement des qualités intrinsèques du signe ?

La Cour de justice le 19 juin 2025 apporte des éléments de réponse. La décision 

Deux dispositions du règlement 207/2009 sont en cause telles que citées à l’arrêt de la Cour de justice du 19 juin 2025 sur des questions préjudicielles de la Cour de cassation

–  L’article 7 « Motifs absolus de refus », paragraphe 1, sous e), ii) :

 – L’article 52  « Causes de nullité absolue », prévoyait, à son paragraphe 1 a)   » lorsque la marque [de l’Union européenne] a été enregistrée contrairement aux dispositions de l’article 7 » et b) : « lorsque le demandeur était de mauvaise foi lors du dépôt de la demande de marque ».

Comme la condition de mauvaise foi n’était prévue que pour b), cette condition ne serait-elle pas à prendre compte pour le motif absolu de refus fondé sur l’article 7 ?

Plusieurs marques de couleur étaient en cause, la date la plus ancienne remontant à une priorité allemande du 21 juillet 2011.

Cette date est essentielle, le titulaire de ces marques détenait aussi un brevet européen, désignant la France et portant sur un matériau composite céramique. Ce brevet a expiré le 5 août 2011.

Les trois marques de l’Union déposées le 23 août 2011 et ultérieurement enregistrées sont contestées en France.

Ces marques visent : « Pièces céramiques pour implants pour l’ostéosynthèse, substituts aux surfaces d’articulations, écarteurs pour les os ; billes pour articulations de la hanche, coquilles/plaques pour articulations de la hanche et pièces d’articulation du genou ; tous les produits précités pour vente aux fabricants d’implants » 

Le signe déposé selon les marques  en une ou plusieurs vues.

 

La Cour d’appel de Paris avait annulé ces marques.

« ..Par un arrêt rendu le 25 juin 2021, la cour d’appel de Paris (France) a annulé les marques contestées, pour mauvaise foi de CeramTec lors du dépôt des demandes de marques.

15      Cette juridiction a relevé que, à la date du dépôt des demandes d’enregistrement des marques contestées, CeramTec était convaincue de l’effet technique de l’oxyde de chrome pour garantir la dureté et la résistance des billes de céramique entrant dans la constitution des prothèses médicales et qu’elle avait recherché à protéger la couleur rose des billes, qui résultait de la présence d’oxyde de chrome dans la céramique. Elle en a déduit que CeramTec avait eu l’intention de prolonger le monopole qu’elle détenait sur la solution technique protégée auparavant par le brevet mentionné au point 10 du présent arrêt, qui était venu à échéance avant la date de dépôt de ces demandes d’enregistrement.

16      Selon ladite juridiction, la mauvaise foi était caractérisée par une volonté non pas d’empêcher les concurrents de poursuivre l’utilisation de la couleur rose, mais de prolonger un monopole et d’empêcher les concurrents de pénétrer le marché dominé par CeramTec grâce au matériau composant ses produits, à savoir l’oxyde de chrome dans une proportion ayant pour effet de colorer en rose la céramique. La même juridiction a retenu que CeramTec avait, dès lors, eu l’intention d’obtenir un droit exclusif à des fins autres que celles relevant de la fonction d’une marque, à savoir l’indication d’origine de ses produits.

Les questions préjudicielles de la Cour de cassation le 10 janvier 2024

20      Dans ces conditions, la Cour de cassation a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1)      L’article 52 du règlement [no 207/2009] doit-il être interprété en ce sens que les causes de nullité de l’article 7, visées en son paragraphe 1, sous a), sont autonomes et exclusives de la mauvaise foi visée en son paragraphe 1, sous b) ?

2)      Si la réponse à la première question est négative, la mauvaise foi du déposant peut-elle être appréciée au regard du seul motif absolu de refus d’enregistrement visé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement no 207/2009 sans qu’il […] soit constaté que le signe déposé à titre de marque soit constitué exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ?

3)      L’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement [no 207/2009] doit-il être interprété en ce sens qu’il exclut la mauvaise foi d’un déposant ayant introduit une demande d’enregistrement de marque avec l’intention de protéger une solution technique lorsqu’il a été découvert, postérieurement à cette demande, qu’il n’existait pas de lien entre la solution technique en cause et les signes constituant la marque déposée ? »

Le droit dit par la Cour de justice le 19 juin 2025

1)      L’article 52, paragraphe 1, du règlement (CE) no 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque [de l’Union européenne],

doit être interprété en ce sens que :

la cause de nullité absolue prévue à l’article 52, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, lu en combinaison avec l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), dudit règlement, et la cause de nullité absolue prévue à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du même règlement sont autonomes, mais non exclusives l’une de l’autre.

2)      L’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009

doit être interprété en ce sens que :

la mauvaise foi du demandeur de l’enregistrement d’un signe en tant que marque peut, si cet enregistrement a été sollicité à la suite de l’expiration d’un brevet, être étayée en se fondant notamment sur l’opinion de ce demandeur quant à l’aptitude de ce signe à exprimer, intégralement ou partiellement, la solution technique protégée par ce brevet, et cela indépendamment du point de savoir si ledit signe est constitué exclusivement par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique, au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), de ce règlement. Parmi les circonstances pertinentes pour évaluer l’éventuelle existence d’une mauvaise foi du demandeur figurent également la nature de la marque contestée, l’origine du signe en cause et son utilisation depuis sa création, la portée du brevet expiré, la logique commerciale dans laquelle s’inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée et la chronologie des événements ayant caractérisé ce dépôt.

3)      L’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement no 207/2009

doit être interprété en ce sens que :

la mauvaise foi du demandeur ne peut pas être appréciée sur le fondement de circonstances survenues postérieurement au dépôt de la demande d’enregistrement de la marque en cause.

Risque de confusion ou risque d’association

Contrefaçon, concurrence déloyale et parasitisme sont fréquemment employés par les titulaires de marque pour défendre leur titre de propriété industrielle ou l’activité économique qu’ils développent sous ce signe.

Toutefois, l’emploi de ces notions reposent sur des conditions de mise en œuvre différentes qui souvent se trouvent amalgamées.

Le Tribunal de l’Union , par sa décision du 5 mars 2025, nous rappelle le sens utile du risque d’association.

« À cet égard, il y a lieu de relever que, selon la jurisprudence, d’une part, le risque d’association n’est pas une notion de substitutionà la notion de risque de confusion, mais sert à en préciser l’étendue et, d’autre part, les termes de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement 2017/1001 excluent qu’il puisse être appliqué s’il n’existe pas, dans l’esprit du public pertinent, un risque de confusion ».

L’arrêt du Tribunal de l’Union

Contrefaçon de marque : où agir quand la carte du monde s’affiche sur votre écran ?

De plus en plus souvent, les consommateurs recherchent des produits sur Internet, dont les signes peuvent entrer en conflit avec des marques d’autres titulaires (sans parler des contrefaçons qui régulièrement portent atteinte aux marques les plus connues).

Quand les résultats d’un moteur de recherche indiquent un lien publicitaire et que le texte en anglais dit que l’usage de ces produits est dans le monde entier avec l’affichage d’une carte du monde, devant quel juge engager une action en contrefaçon ?

Une réponse est donnée par la Cour de justice le 27 avril 2023 sur une question préjudicielle relative à l’application de l’article 125, paragraphe 5, du règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil, du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne. L’arrêt du 27 avril 2023

La compétence pourrait être celle du Tribunal des marques communautaire d’un Etat si cet affichage en ligne était effectivement destiné à des consommateurs ou à des professionnels situés dans cet Etat à la condition que la présentation des produits litigieux soit « faite par un référencement payant sur le site Internet d’un moteur de recherche qui utilise un nom de domaine national de premier niveau de cet Etat membre ».

Autant dire que la mise en œuvre de cet arrêt par le tribunal des affaires économiques de Finlande, – la juridiction qui avait interrogé la Cour de justice- , est attendue par les avocat avec impatience :

  • soit de nouvelles actions seront ouvertes aux titulaires des marques,
  • soit les multiples outils de référencement en limiteront considérablement l’intérêt pratique.

Ajoutons que la Cour de justice a exclu de cette désignation du juge compétent le cas où « le tiers concerné a procédé au référencement naturel des images de ses produits sur un service de partage en ligne de photos relevant d’un domaine de premier niveau générique, en ayant recours à des balises méta utilisant comme mot-clé la marque concernée ».

 

Marque et nom des villes : l’exercice difficile de la demande d’enregistrement

De nombreuses villes voient dans leur nom un actif, certaines tentent de le déposer à titre de marque pour protéger des activités économiques qui s’y exercent.

marque et ville
Source Wikipedia

Chacun se souvient de la loi Hamon, qui en 2014 a souhaité protéger les noms des villes des appropriations non dument autorisées, à la suite du déboulonnage médiatisé du panneau d’entrée de la commune de Laguiole, dont la défense de l’indication géographique protégée « Couteau Laguiole » s’est finalement vue attribuée à une association siégeant à Thiers. Ou encore cette ville du Loir-et-Cher dont le nom fut avec son accord déposé à titre de marque, mais dont l’enregistrement a été refusé par l’INPI le consommateur pertinent du domaine concerné comprenant sous ce nom celui d’une place parisienne !

Point d’excès de parisianisme cette fois, nous n’en parlerons pas bien qu’un an auparavant s’y achevaient 60 ans de carrière, 1.000 chansons, et 50 albums. Donc La Madeleine qui nous intéresse ici est une commune de taille moyenne située dans la région des Hauts- de-France qui a présenté en novembre 2018 à l’INPI une demande de marque « la MADEleinoise » pour désigner des bières.

Au motif que « ce signe sera perçu par le consommateur comme désignant une bière provenant de La Madeleine, et non comme une marque« , [l’article 711-2 exclut b) Les signes ou dénominations pouvant servir à désigner, …la provenance géographique] l’INPI refuse cette demande d’enregistrement.

Que nous dit la Cour de Douai le 22 septembre 2022 pour infirmer la décision de l’office ?

« ..la ville de La Madeleine ne bénéficie d’aucune réputation particulière en matière de fabrication de bière et le produit que désigne la marque n’est pas fabriqué sur le ressort de cette commune. Dans ses observations du 24 avril 2019, la commune explique ainsi que la bière est réalisée par une brasserie située à Querenaing et que son originalité consiste dans l’ajout dans la recette de fabrication d’un miel provenant de ruches installées au sein de l’hôtel de ville.

Le signe ne vient donc pas désigner la provenance géographique du produit, de sorte qu’il n’est pas descriptif. »

Illustration : source Wikipedia . Par Velvet — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=10113361

La marque dans l’économie de l’attention

Dans le monde d’avant, la marque magnifiait l’optimisation de la production des biens au regard de ressources limitées, et la marque de luxe cultivait le sens de la rareté. L’enregistrement de la marque portait sur les produits qu’elle commercialisait.

Dans l’économie de l’attention, où le consommateur doit faire face à des vagues incessantes d’informations et de visuels, la rareté est celle de son attention. Ici la marque de luxe n’est plus rare, au contraire elle gagne sa notoriété en occupant toujours le temps de cerveau disponible du consommateur, le signe est devenu marque rétinienne. Pour protéger la marque par l’action en contrefaçon, son enregistrement doit inclure ces nouveaux supports de construction et de distribution de son image dont le NFT incarne le point pivot entre l’objet matériel et la digitalisation de la marque. Son titulaire doit être prêts à réagir au plus tard dans l’heure qui suit à l’atteinte à son image de marque en combinant les outils des réseaux sociaux et le droit des marques qui, il y a peu, a étendu la contrefaçon à l’atteinte à la notoriété de la marque.

Plus spécifiquement sur les nouveaux produits et services à visés à l’enregistrement.