Produits de soin : l’interdiction absolue de vente sur Internet est-elle illicite ou bien le risque de l’augmentation de la contrefaçon pourrait-il la justifier ?

L’avocat général près de la CJCE vient de rendre ses conclusions, le 2 mars 2011,  à propos de l’interdiction absolue de vendre sur Internet les produits cosmétiques qu’impose le laboratoire Perre Fabre à ses distributeurs.

L’historique de cette affaire soumise au droit de la concurrence est suffisamment compliqué et détaillé à l’arrêt  pour s’y reporter.

Les biens en cause sont « des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle qui sont distribués dans le cadre de systèmes de distribution sélective et sont proposés à la vente avec l’avis d’un pharmacien ».

Pierre Fabre entend justifier principalement sa position :

«La conception de ces produits nécessite le conseil d’un spécialiste pharmacien du fait de l’activité de ces produits développés dans une optique de soin. (….) Nos produits répondent à des problématiques de eau particulières, comme des peaux intolérantes, avec un risque de réaction allergique. Nous considérons de ce fait que la vente sur Internet ne répondrait pas aux attentes des consommateurs et des professionnels de santé sur nos produits et par conséquent aux exigences que nous fixons dans nos conditions générales de vente. Ces produits sont aussi recommandés par le corps médical …»

L’avocat général retient que de tels ;

« produits n’étant pas répertoriés comme des médicaments et ne relevant pas, par conséquent, du monopole des pharmaciens, rien ne s’oppose à ce qu’ils soient librement commercialisés en dehors du circuit officinal« .

et de considérer :

qu’une interdiction générale et absolue de vendre sur Internet des biens aux utilisateurs finals, imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d’un réseau de distribution sélective, qui prévient ou restreint le commerce parallèle de façon plus extensive que les restrictions inhérentes à tout accord de distribution sélective et qui va au-delà de ce qui est objectivement nécessaire pour distribuer ces produits d’une manière appropriée au regard non seulement de leurs qualités matérielles mais aussi de leur aura ou image, a pour objet de restreindre la concurrence aux fins de l’article 81, paragraphe 1, CE

L’avocat général va aussi écarter successivement l’exemption au titre de l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999 en refusant d’assimiler l’interdiction de la vente sur Internet à « une interdiction  de déplacer ses locaux/point de vente sans l’autorisation préalable du fabricant » et l’exemption individuelle.

Mais tout n’est pas dit.  Pierre Fabre Santé invoque aussi « le risque accru de contrefaçons de produits en cas de vente sur Internet« .

Certes, l’avocat général indique ne pas être « persuadé que la distribution via Internet de produits contractuels d’un fabricant par un distributeur sélectionné puisse à elle seule aboutir à accroître la contrefaçon, ni que les effets négatifs de telles ventes ne puissent pas être contrecarrés par des mesures appropriées »

Mais il laisse à la Cour l’appréciation factuelle de cette question .

La question reste ainsi ouverte devant la Cour.

Preuve de l’usage de la marque, une analyse des documents qui remontent à plus de 10 ans

L’arrêt de la CJCE du 18 janvier 2011, T 382/08, invite l’OHMI à examiner document par document les pièces invoquées par l’opposant au dépôt de la marque communautaire

Disons- le tout de suite, les preuves d’usage seront jugées insuffisantes par la Cour qui annulera la décision de l’Office.

Notons aussi que la demande de marque remonte au …..1er avril 1996, les péripéties et autres recours qui se sont accumulés depuis justifieraient à eux seuls un long article…Cette demande n’aurait donc pas encore été enregistrée qu’elle aurait dû être renouvelée.

Limitons-nous à la question des preuves d’usage de la marque qui était opposée, et qui se rapportaient à son emploi pour désigner des chaussures.

La Cour rappelle la règle de droit :

« En vertu de la règle 22, paragraphe 3, du règlement n° 2868/95, tel que modifié, la preuve de l’usage doit porter sur le lieu, la durée, l’importance et la nature de l’usage qui a été fait de la marque antérieure. »

Puis l’interprétation de cette règle :

« Une marque fait l’objet d’un usage sérieux lorsqu’elle est utilisée, conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée, aux fins de créer ou de conserver un débouché pour ces produits et services, à l’exclusion d’usages de caractère symbolique ayant pour seul objet le maintien des droits conférés par la marque …. De plus, la condition relative à l’usage sérieux de la marque exige que celle-ci, telle que protégée sur le territoire pertinent, soit utilisée publiquement et vers l’extérieur »

La période sur laquelle l’opposant devait fournir ses preuves : du 13 septembre 1994 au 12 septembre 1999, car autre source d’étonnement la publication de cette demande de 1996 n’est intervenue que le 13 septembre 1999.

Différentes preuves étaient produites : des déclarations provenant de quinze fabricants de chaussures, une déclaration du « managing partner » de l’opposante datée du 12 septembre 2001, des copies de quelque 670 factures adressées à l’opposante par des fabricants de chaussures, 35 photographies de modèles de chaussures portant la marque VOGUE, 12 semelles intérieures de chaussures portant la marque VOGUE, des photographies de magasins portant le nom commercial VOGUE, des copies de répertoires téléphoniques couvrant la période 1999-2000, mentionnant deux magasins situés à Porto (Portugal) avec indication de l’expression « sapataria vogue ».

A propos des attestations.

« il y a lieu de relever que ni les déclarations des quinze fabricants de chaussures ni celle du « managing partner » ne font mention d’indications relatives à l’importance de l’usage. Dans ces conditions, ces déclarations ne sauraient constituer, à elles seules, une preuve suffisante de l’usage sérieux de la marque antérieure. »

Pour les photographies des chaussures :

« Des photographies de modèles de chaussures portant la marque VOGUE et des semelles de chaussures portant la marque VOGUE. Même si ces éléments peuvent avoir pour effet de corroborer la « nature » (chaussures) de l’usage de la marque antérieure, ils n’apportent en revanche aucun élément permettant de corroborer le lieu, la durée ou l’importance de l’usage »,

Quant aux photographies de magasins de chaussures portant le nom VOGUE et des copies de répertoires téléphoniques couvrant la période 1999-2000, lesquelles mentionnent deux magasins situés à Porto avec indication de l’expression « sapataria vogue »:

« ces éléments ne corroborent ni la nature, ni la durée, ni l’importance, ni même le lieu de l’usage de la marque. En effet, il ne résulte d’aucun de ces éléments avancés par l’opposante en vue de prouver l’usage sérieux de la marque antérieure que lesdits magasins commercialisaient des chaussures portant la marque antérieure. Les photographies de magasins portant le nom VOGUE ne font pas apparaître que les chaussures exposées en vitrine sont des chaussures portant la marque antérieure ».

Avec ses factures, l’opposant saura-t-il convaincre la Cour ?

« Quant aux copies des quelque 670 factures adressées à l’opposante par des fabricants de chaussures et couvrant l’ensemble de la période pertinente, il y a lieu de constater, comme l’a relevé la division d’opposition, qu’aucune d’entre elles ne fait mention de chaussures de marque VOGUE et qu’elles sont dès lors impuissantes à prouver que l’opposante vendait effectivement des chaussures portant la marque antérieure. Lorsque le mot « vogue » apparaît sur lesdites factures, il est généralement accolé au nom de l’opposante pour désigner le nom commercial VOGUE-SAPATARIA. »

Et à propos de ces factures, la Cour précise encore :

« à supposer même que les quelque 670 factures adressées à l’opposante par les fabricants de chaussures concernent des chaussures portant la marque VOGUE, force est de constater que lesdites factures sont relatives à la vente de chaussures à l’opposante, non à la vente, aux consommateurs finaux, de chaussures portant la marque VOGUE.