L’arrêt du 3 mai 2012 de la Cour de Cassation relance de nombreux débats sur les marques et Internet

L’arrêt du 3 mai 2012 de la Cour de Cassation relance de nombreux débats ……..

  • Un bref rappel des faits

Attendu, selon l’arrêt attaqué, que les sociétés Parfums Christian Dior, Kenzo Parfums, Parfums Givenchy et Guerlain (les sociétés DKGG), qui commercialisent leurs produits dans le cadre de réseaux de distribution sélective, ayant fait constater que, par l’intermédiaire des sites d’enchères en ligne des sociétés eBay Inc et eBay AG, des annonceurs offraient à la vente des produits Dior, Guerlain, Givenchy et Kenzo, ont assigné ces deux sociétés devant le tribunal de commerce de Paris aux fins de les voir condamnées au paiement de dommages-intérêts et de voir prononcer des mesures d’interdiction ; que les sociétés eBay Inc et eBay AG ( les sociétés eBay) ont soulevé l’incompétence de la juridiction française et la nullité des « constats » dressés par les agents de l’Agence pour la protection des programmes ;

Nous avions déjà eu quelques commentaires en 2008 sur ce jugement


  • Les constats sur Internet autre que ceux des huissiers

Sur le premier moyen :

Attendu que les sociétés eBay font grief à l’arrêt d’avoir rejeté leur demande tendant à l’annulation de ces constats et leur rejet des débats, alors, selon le moyen, que les constats établis par les agents de l’Agence pour la protection des programmes relatifs à la constatation de faits qui ne relèvent pas de leur champ de compétence, s’étendant aux infractions liées au droit d’auteur, à ses droits voisins et aux droits des producteurs de données, sont nuls ; qu’un acte nul ne saurait produire aucun effet juridique ; qu’en jugeant néanmoins que les constats établis par les agents de l’APP à la demande de la société Louis Vuitton Malletier, concernant des faits qui seraient constitutifs d’une atteinte au droit des marques, constituaient des éléments de preuve et en se fondant sur eux pour retenir sa compétence puis la responsabilité des sociétés eBay, la cour d’appel a violé l’article L. 331-2 du Code de la propriété intellectuelle ;

Mais attendu que la preuve de faits juridiques pouvant être rapportée par tous moyens, la cour d’appel a pu retenir que les constatations de l’Agence pour la protection des programmes valaient à titre de simple renseignement ; que le moyen n’est pas fondé ;

  • Quel juge est compétent ?

Sur le troisième moyen :

Attendu que les sociétés eBay font grief à l’arrêt d’avoir dit la société eBay International AG mal fondée en son exception d’incompétence, alors, selon le moyen :

1°/ qu’en matière délictuelle, sont compétentes les juridictions de l’Etat sur le territoire duquel le site internet incriminé est accessible, si son activité est dirigée vers les internautes de cet Etat ; que c’est au regard de l’activité du site incriminé lui-même, et non d’un autre site, que la notion d’activité «dirigée» doit être appréciée ; qu’en retenant sa compétence pour connaître de l’activité du site anglais ebay.uk aux seuls motifs que le site ebay.fr avait incité les internautes français à le consulter, quand il lui appartenait d’apprécier l’activité du site ebay.uk et non celle d’un autre site pour déterminer si celui-ci visait les internautes français et avait mis en oeuvre des mesures pour les attirer, la cour d’appel a violé l’article 5-3 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988, ensemble l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le principe de sécurité juridique et celui de prévisibilité des règles de compétence ;

2°/ qu’en toute hypothèse, en retenant sa compétence pour connaître de l’activité du site anglais ebay.uk aux motifs que les procès-verbaux de constats fournis établissaient que le site ebay.fr avait incité les internautes français à consulter le site voisin ebay.uk, quand aucune des parties n’avait invoqué l’existence d’un procès-verbal duquel il résulterait que le site ebay.fr aurait incité les internautes français à consulter le site anglais et que les sociétés DKGG s’étaient bornées à invoquer, à ce titre, un communiqué de presse d’eBay du 5 mars 2009, visant une campagne commerciale s’étant déroulée en 2009, la cour d’appel a dénaturé les termes du litige et a ainsi violé l’article 4 du code de procédure civile ;

3°/ qu’en toute hypothèse, en matière délictuelle, la compétence des juridictions de l’Etat sur le territoire duquel le site internet incriminé est accessible doit être appréciée en fonction de l’orientation de ce site à la date à laquelle les faits dénoncés auraient été commis ; qu’en retenant sa compétence pour connaître de l’activité du site anglais ebay.uk aux motifs que les procès-verbaux de constats fournis établissaient que le site ebay.fr avait incité les internautes à consulter le site voisin ebay.uk, sans rechercher, ainsi qu’elle y était invitée, si les pièces fournies par les sociétés DKGG n’étaient pas relatives à une campagne commerciale menée en 2009, soit postérieurement à la période litigieuse, qui allait de 2001 à 2006, la cour d’appel n’a pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 5-3 de la Convention de Lugano du 16 septembre 1988 ;

Mais attendu, en premier lieu, que l’arrêt relève que le site ebay.fr a incité à plusieurs reprises les internautes français à consulter le site ebay.uk pour élargir leur recherche ou profiter d’opérations commerciales pour réaliser des achats et qu’il existe une complémentarité entre ces deux sites ; qu’en l’état de ces constatations et appréciations, la cour d’appel, qui a fait ressortir, sans méconnaître les termes du litige, que le site ebay.uk s’adressait directement aux internautes français, a légalement justifié sa décision de retenir la compétence des juridictions françaises pour connaître de l’activité de ce site ;

Attendu, en second lieu, que les sociétés eBay n’ayant pas soutenu que les pièces produites par les sociétés DKGG faisaient référence à des faits se situant en dehors de la période litigieuse, la cour d’appel n’avait pas à procéder à une recherche qui ne lui était pas demandée ;

D’où il suit que le moyen n’est fondé en aucune de ses branches ;

  • L‘inévitable débat de la qualité d’hébergeur

Sur le quatrième moyen :

Attendu que les sociétés eBay font grief à l’arrêt d’avoir dit qu’elles n’avaient pas la seule qualité d’hébergeur et ne pouvaient en conséquence bénéficier, au titre de leur statut de courtier, des dispositions de l’article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004 portant sur la confiance dans l’économie numérique, d’avoir constaté qu’elles avaient commis des fautes graves en manquant à leur obligation de s’assurer que leur activité ne générait pas des actes illicites portant atteinte aux réseaux de distribution sélective mis en place par les sociétés DKGG, d’avoir dit que ces manquements et les atteintes portées aux réseaux de distribution sélective avaient été préjudiciables aux sociétés DKGG et nécessitaient réparation et de les avoir condamnées in solidum au paiement de diverses sommes, alors, selon le moyen :

1°/ que l’exercice d’une activité d’hébergement, au sens de l’article 14 de la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000, n’est pas exclue par l’exercice d’une activité de courtage, dès lors que le prestataire exerce une activité de stockage des annonces sans contrôler le contenu éditorial de celles-ci ; qu’en jugeant néanmoins que les sociétés eBay ne pouvaient exercer une activité d’hébergement parce qu’elles fournissaient une prestation de courtage en assurant la promotion de la vente des objets mis en vente sur leurs sites, la cour d’appel a violé l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, ensemble l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive communautaire 2000/31, et les articles 14 et 15 de cette directive ;

2°/ qu’exerce une activité d’hébergement, au sens de l’article 14 de la Directive 2000/31/CE du 8 juin 2000, le prestataire qui exerce une activité de stockage, pour mise à disposition du public, de signaux, d’écrits, de messages de toute nature, sans opérer un contrôle de nature à lui confier une connaissance ou une maîtrise des données stockées ; que ce rôle doit être apprécié au regard du contrôle réellement réalisé par le prestataire et non en fonction de celui que ses moyens techniques lui permettraient éventuellement d’exercer ; qu’en jugeant néanmoins que l’appréciation du rôle des sociétés eBay ne devait pas se faire au regard du contrôle que ce prestataire exerçait réellement et en retenant, pour exclure l’exercice d’une activité d’hébergement, qu’elles auraient à leur disposition les moyens de connaître les annonces diffusées par les vendeurs et d’exercer un contrôle éditorial, la cour d’appel a violé l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, ensemble l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive communautaire 2000/31, et les articles 14 et 15 de cette directive ;

3°/ qu’en toute hypothèse l’existence d’une activité d’hébergement doit être appréciée au regard de chacune des activités déployées par le prestataire ; qu’en jugeant que les sociétés eBay n’exerçaient pas une activité d’hébergement aux motifs que leur activité devait être appréciée globalement, puis en refusant en conséquence de tenir compte de ce qu’il résultait de ses propres constatations que les sociétés eBay auraient des rôles différents selon les options choisies par les vendeurs, de sorte que ce n’était que pour les annonces éditées par ceux d’entre eux qui avaient opté pour des prestations complémentaires telle que l’aide à la rédaction des annonces ou la promotion de leur vente qu’elles pouvaient avoir connaissance des annonces, la cour d’appel a violé l’article 43-8 de la loi du 30 septembre 1986, ensemble l’article 6-I-2 de la loi du 21 juin 2004 sur la confiance dans l’économie numérique, transposant la directive communautaire 2000/31, et les articles 14 et 15 de cette directive ;

Mais attendu que l’arrêt relève que les sociétés eBay fournissent à l’ensemble des vendeurs des informations pour leur permettre d’optimiser leurs ventes et les assistent dans la définition et la description des objets mis en vente en leur proposant notamment de créer un espace personnalisé de mise en vente ou de bénéficier « d’assistants vendeurs » ; qu’il relève encore que les sociétés eBay envoient des messages spontanés à l’attention des acheteurs pour les inciter à acquérir et invitent l’enchérisseur qui n’a pu remporter une enchère à se reporter sur d’autres objets similaires sélectionnés par elles ; que de ces constatations et appréciations, la cour d’appel a pu déduire que les sociétés eBay n’avaient pas exercé une simple activité d’hébergement mais qu’elles avaient, indépendamment de toute option choisie par les vendeurs, joué un rôle actif de nature à leur conférer la connaissance ou le contrôle des données qu’elles stockaient et à les priver du régime exonératoire de responsabilité prévu par l’article 6.1.2 de la loi du 21 juin 2004 et l’article 14 §1 de la Directive 2000/31 ; que le moyen n’est pas fondé ;

  • Faut-il distinguer selon le  .com et .fr ?

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche :

Vu l’article 46 du code de procédure civile ;

Attendu que pour retenir sa compétence à l’égard de la société de droit américain, eBay Inc, l’arrêt relève que la désinence « com » constitue un « TLD » générique qui a vocation à s’adresser à tout public et que les utilisateurs français peuvent consulter les annonces mises en ligne sur ce site à partir du site ebay.fr et y sont même incités ;

Attendu qu’en se déterminant par des motifs impropres à établir que le site ebay.com s’adressait directement au public de France, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

  • La vente sur Internet et les réseaux de distribution sélective : deux points importants

Sur le cinquième moyen, pris en sa cinquième branche :

Vu l’article 455 du code de procédure ;

Attendu que pour dire que les sociétés DKGG justifient de l’existence de réseaux de distribution sélective licites en France et que les sociétés eBay avaient participé indirectement à la violation de l’interdiction de revente hors réseaux de distribution sélective mis en place par ces sociétés et engagé leur responsabilité, l’arrêt retient que ces réseaux n’ont pas d’effet sensible sur la concurrence puisque les parts de marché détenues par chacune de ces sociétés sont inférieures à 15 % et que le total des parts de marché détenues est inférieur à 25 % ; qu’il retient encore que ces sociétés n’ont nullement interdit à leurs distributeurs agréés qui disposent de points de vente physiques de recourir au réseau internet pour vendre et promouvoir les parfums ;

Attendu qu’en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions par lesquelles les sociétés Ebay soutenaient que les sociétés DKGG ne pouvaient se prévaloir du bénéfice de l’exemption dès lors que les accords conclus avec les distributeurs de parfums avaient pour objet de fixer les prix de vente, la cour d’appel n’a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;

Et sur ce moyen, pris en ses huitième et neuvième branches :

Vu l’article L. 442-6-I 6° du code de commerce ;

Attendu que pour dire que les sociétés eBay avaient participé à la violation de l’ interdiction de revente hors des réseaux de distribution sélective mis en place par les sociétés DKGG et avaient engagé leur responsabilité, et pour les condamner à réparation et prononcer des mesures d’interdiction, l’arrêt retient qu’il importe peu que cette violation soit commise par un professionnel du commerce ou par un particulier et relève que ces sociétés ont laissé perdurer, sans prendre de mesures effectives, l’organisation de ventes importantes hors réseaux sur lesquelles elles ont perçu des commissions ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que les ventes accomplies par de simples particuliers ne sont pas susceptibles de constituer une violation d’une interdiction de revente hors réseau de distribution sélective, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

  • D’où un arrêt de cassation partielle

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a retenu sa compétence à l’égard de la société eBay Inc, exploitant le site ebay.com, dit que les sociétés eBay avaient engagé leur responsabilité sur le fondement de l’article L. 442-6-I 6° du code de commerce et condamné les sociétés eBay in solidum à payer diverses sommes aux sociétés Parfums Christian Dior, Kenzo Parfums aujourd’hui dénommée LVMH Fragrance Brands, Parfums Givenchy aujourd’hui dénommée LVMH Fragrance Brands et à la société Guerlain, l’arrêt rendu le 3 septembre 2010, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Condamne les sociétés Parfums Christian Dior, Kenzo Parfums, Parfums Givenchy ces deux dernières aujourd’hui dénommées LVMH Fragrance Brands et la société Guerlain aux dépens ;

Vu l’article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l’arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du trois mai deux mille douze.

 

Documents sociaux, avis de convocation aux Assemblées Générales, Brochures de présentation des sociétés, documents de référence, existe-il des droits d’auteur ou un savoir-faire spécifique sur ceux-ci ?

Les circonstances de l’arrêt du 12 janvier 2012 de la Cour de Cassation sont assez rares pour y consacrer cet article.

T et G confient à L la réalisation des avis de convocation aux assemblées générales, des brochures de présentation de ces assemblées, et la réalisation des documents de référence.

Puis pour l’exercice suivant, T et G choisissent R.

L engage contre R une action en contrefaçon de droit d’auteur en invoquant le régime de l’œuvre collective et en concurrence déloyale.

La Cour d’appel rejette ces demandes, d’où  le pourvoi en cassation de L qui est également rejeté par l’arrêt du 12 janvier de la Cour de cassation.

 

  • Pour la Cour d’appel comme pour la Cour de Cassation, L ne détient aucun droit d’auteur sur ces documents d’informations

 

L invoquait la présomption de titularité des droits d’auteur de L113-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, dont le principe est rappelé par la Cour de cassation « en l’absence de revendication du ou des auteurs, l’exploitation d’une œuvre par une personne morale fait présumer, à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l’œuvre, qu’elle soit collective ou non, du droit de propriété incorporelle de l’auteur« 

Cette présomption est écartée parce que T et G avaient divulgué les documents en cause sous leur propre nom. N’est-ce  pas le propre des documents sociaux ?

Cette difficulté, L semblait bien en avoir connaissance, puisqu’elle invoquait « les devis et factures produits » pour prétendre avoir « exploité et commercialisé les documents litigieux auprès des sociétés T  et G avant que ces dernières ne les diffusent, et qu’elles ne revendiquent pas de droit d’auteur »

Le moyen est rejeté car :

– L n’a pas démontré « que les oeuvres collectives alléguées aient été créées à son initiative et sous sa direction »

– et, les documents financiers en cause ont été diffusés et exploités par T et G sous leur propre nom,

 

  • Le rejet des demandes de L en concurrence déloyale

 

Que restait-il à L  pour alimenter ce motif ?

A la lecture de l’arrêt du 12 janvier, L, semble-t-il,  a eu quelques difficultés à identifier et à individualiser sa contribution puisque celle-ci a été limitée par la cour d’appel à « la réalisation des mises en page« .

Pour la réalisation des mises en page,   » la mise en œuvre d’un savoir-faire » a été écartée, car L n’a pas rapporté « la preuve ni la notoriété du savoir-faire invoqué, ni des investissements réalisés pour conférer à celui-ci une valeur économique, ni de son appropriation délibérée par la société R « .

 

Contrefaçon de marque communautaire : la portée territoriale de l’interdiction

La marque communautaire étant valable sur l’ensemble de l’union européenne, le juge quand il condamne pour contrefaçon, ordonne des mesures d’interdiction. Cette interdiction porte-t-elle sur l’ensemble des pays membres de l’union ou peut-elle  retenir comme critères des considérations propres à chaque État  ?

Portée de l'interdiction territoriale de la marque et limite étatique

Cette problématique avait fait l’objet d’une question préjudicielle auprès de la CJUE à l’initiative de la Cour de Cassation dans une affaire opposant Chronopost à DHL International à propos de la marque Webshipping.

Après l’arrêt de la CJUE du 12 avril 2011 (C-235/09), [ ici ],  la Cour de Cassation par son arrêt du 29 novembre 2011, [ ici ] a cassé partiellement l’arrêt de la Cour de Paris.

Tout d’abord, la Cour de cassation rappelle l’arrêt de la CJUE : le principe d’une interdiction sur l’ensemble de l’Union et sans rechercher si des mesures propres à chaque Etat la prévoit.

1°/ que l’article 98, paragraphe 1, du règlement n°40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire doit être interprété en ce sens que la portée de l’interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon d’une marque communautaire prononcée par un tribunal des marques communautaires, dont la compétence est fondée sur les articles 93, paragraphes 1 à 4, et 94, paragraphe 1, de ce règlement, s’étend, en principe, à l’ensemble du territoire de l’Union européenne ;

2°/ que l’article 98, paragraphe 1, seconde phrase, doit être interprété en ce sens qu’une mesure coercitive, telle une astreinte, ordonnée par un tribunal des marques communautaires en application de son droit national en vue de garantir le respect d’une interdiction de poursuivre des actes de contrefaçon ou de menace de contrefaçon qu’il a prononcée, produit effet dans les Etats membres autres que celui dont relève ce tribunal, auxquels s’étend la portée territoriale d’une telle interdiction, dans les conditions prévues au chapitre III du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil, du 22 décembre 2000, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, en ce qui concerne la reconnaissance et l’exécution des décisions de justice ; que lorsque le droit national de l’un de ces autres Etats membres ne contient aucune mesure coercitive analogue à celle prononcée par ledit tribunal, l’objectif auquel tend cette dernière devra être poursuivi par le tribunal compétent de cet Etat membre en recourant aux dispositions pertinentes du droit interne de ce dernier de nature à garantir de manière équivalente le respect de ladite interdiction ;

 

Puis, c’est l’application de ce principe à l’arrêt de la Cour de Paris

Attendu que pour limiter la demande d’interdiction d’usage, sous astreinte, de la marque communautaire Webshipping au seul territoire français, la cour d’appel retient que le prononcé d’une mesure d’interdiction sous astreinte, à l’échelle communautaire, suppose que le tribunal des marques communautaires ait communication des lois nationales prévoyant une mesure comparable et que l’existence d’un risque de confusion entre les signes en présence n’a été appréciée qu’au regard de la perception que pouvaient en avoir les consommateurs français ou parlant français ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, par des motifs desquels il ne résulte pas que l’existence d’un risque de confusion était limitée au seul territoire français, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

La Cour de cassation renvoie l’affaire devant l’autre formation de la Cour d’appel de Paris

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a interdit, sous astreinte de 1 500 euros par jour de retard passé un délai d’un mois, à compter de sa signification, sur le seul territoire français, la poursuite des actes d’usage des dénominations Webshipping et Web shipping, l’arrêt rendu le 9 novembre 2007, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Contrefaçon de marque enregistrée par une autre marque enregistrée, le rôle de la marque ombrelle, le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé

 

La société B détient la marque ci-après, qui remonte à un dépôt du 26 mai 2005 :

La société L est titulaire d’une marque française postérieure pour l’avoir déposée le 6 avril 2007, cette seconde marque  est également enregistrée :

Ces deux enregistrements visent des fromages.

Un litige est né entre les parties, qui portait sur différentes questions du droit des marques. Parmi celles-ci, la société B considérait que l’exploitation de la seconde marque constituait la contrefaçon de la sienne.

La Cour d’appel a condamné effectivement la société L pour contrefaçon de la première marque.

Cette seconde société a formé un pourvoi en cassation.

La seconde marque était utilisée en combinaison avec la marque ombrelle « Président », l’existence de celle-ci ne permettait-elle pas au consommateur d’éviter tout risque de confusion entre les deux marques en cause ?

La Cour de Cassation le 2 novembre 2011 [ ici ] rejette le pourvoi en relevant que la Cour d’appel a bien intégré à la motivation de sa décision la présence de la marque ombrelle et son impact sur le consommateur moyen normalement informé :

Mais attendu qu’ayant relevé que la dénomination Cloche Saveur figurait sur l’emballage en gros caractères noirs se détachant sur un fond blanc, au-dessus de la marque ombrelle Président de sorte qu’elle occupait une place prépondérante et distinguait le produit d’autres de la gamme Président, la cour d’appel a souverainement apprécié que la présence d’éléments figuratifs sur cet emballage n’affectait pas la parenté forte qui se dégageait des deux signes et engendrait, dans l’esprit du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, un risque de confusion quant à l’origine commune des deux dénominations, que renforçait l’identité des produits concernés