Marchandises sous douane et atteinte à la marque

Sans entrer dans le détail des mécanismes sous douane ( en suspension de droits), par exemple, le régime du transit externe qui permet la circulation d’un point à un autre du territoire douanier de la Communauté de marchandises non communautaires sans que ces marchandises soient soumises aux droits à l’importation et aux autres impositions ni aux mesures de politique commerciale, de telles marchandises échappent-elles pour autant au droit des marques ?

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Réponse avec l’arrêt du 16 juillet 2015 de la Cour de justice que retient dans de tels cas « l’usage du signe dans la vie des affaires».

  • Les faits, tels que rapportés à l’arrêt

Bacardi produit et commercialise des boissons alcooliques. Elle est titulaire de diverses marques pour ces produits.

18 Au cours de l’année 2006, à la demande de Van Caem, plusieurs lots produits par Bacardi, transportés vers les Pays-Bas à partir d’un État tiers, ont été entreposés chez Mevi dans le port de Rotterdam (Pays Bas).

19 Ces marchandises étaient placées sous le régime douanier suspensif de transit externe ou d’entrepôt douanier, de telles marchandises étant dénommées «marchandises T1».

20 Certaines desdites marchandises ont été, par la suite, mises en libre pratique et placées sous le régime de suspension des droits d’accise. Ces marchandises ont ainsi quitté les régimes douaniers suspensifs réglementés aux articles 91, 92 et 98 du code des douanes et se sont trouvées en entrepôt fiscal.

21 N’ayant pas consenti à l’introduction des marchandises en cause dans l’EEE et ayant, en outre, appris que les codes de produit avaient été retirés des bouteilles faisant partie des lots concernés, Bacardi les a fait saisir et a sollicité plusieurs mesures auprès du Rechtbank Rotterdam. Elle a invoqué, à cette fin, une atteinte à ses marques Benelux.

  • La procédure aux Pays-Bas

22 Par jugement du 19 novembre 2008, le Rechtbank Rotterdam (tribunal de Rotterdam) a constaté que l’introduction dans l’EEE des marchandises en cause portait atteinte aux marques Benelux de Bacardi et a pris certaines des mesures sollicitées.

23 TOP Logistics a fait appel devant le Gerechtshof Den Haag (cour d’appel de La Haye). Dans le cadre de cette procédure d’appel, Van Caem a été autorisée à intervenir.

24 Par arrêt interlocutoire du 30 octobre 2012, cette juridiction a jugé que, aussi longtemps que les marchandises en cause ont eu le statut de marchandises T1, il n’y a pas eu d’atteinte aux marques Benelux de Bacardi.

25 Quant à la question de savoir s’il y a eu atteinte auxdites marques une fois que les marchandises en cause ont été placées sous le régime de suspension des droits d’accise, ladite juridiction a annoncé, dans son arrêt interlocutoire, son intention de présenter une demande de décision préjudicielle.

  • La motivation de la Cour de Justice

37 Les doutes que nourrit néanmoins la juridiction de renvoi sur la question de savoir si le titulaire de la marque peut s’opposer à ce que les marchandises ainsi mises en libre pratique sans son consentement soient placées sous le régime de suspension des droits d’accise sont, en premier lieu, liés au fait que, en vertu des règles énoncées par la directive 92/12, pendant cet entreposage fiscal, les droits d’accise ne sont pas acquittés et que, en conséquence, les marchandises concernées ne peuvent pas encore être mises à la consommation.

38 Or, ainsi que Bacardi et le gouvernement français l’ont observé, il résulte du libellé de l’article 5, paragraphe 3, de la directive 89/104, de même que de la jurisprudence citée au point 32 du présent arrêt, que le titulaire de la marque n’est nullement obligé d’attendre la mise à la consommation des marchandises revêtues de sa marque pour exercer son droit exclusif. Il peut, en effet, également s’opposer à certains actes qui sont commis, sans son consentement, avant cette mise à la consommation. Parmi ces actes figurent, notamment, l’importation des marchandises concernées et la détention de celles-ci aux fins de leur mise dans le commerce.

39 Sur le fondement d’une lecture conjointe de cet article 5, paragraphe 3, et du paragraphe 1 du même article, il y a lieu de constater que des actes d’un opérateur économique tel que, en l’occurrence, Van Caem, consistant à faire importer dans l’Union des produits sans le consentement du titulaire de la marque et à faire placer ces marchandises sous le régime de suspension des droits d’accise, les détenant ainsi en entrepôt fiscal dans l’attente de l’acquittement des droits d’accise et de la mise à la consommation, doivent être qualifiés d’«usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique à la marque pour des produits […] identiques à ceux pour lesquels celle-ci est enregistrée», au sens de l’article 5, paragraphe 1, de la directive 89/104.

  • Mais l’activité d’entreposage échapperait à la sanction

45 S’agissant, en revanche, de l’entrepositaire tel que, en l’occurrence, TOP Logistics, il y a lieu de constater que la fourniture par celui-ci du service d’entreposage des marchandises revêtues de la marque d’autrui ne constitue pas un usage du signe identique à cette marque pour des produits ou des services identiques ou similaires à ceux pour lesquels ladite marque est enregistrée. Dans la mesure où ce prestataire permet à son client de faire un tel usage, son rôle ne saurait être apprécié au regard des dispositions de la directive 89/104, mais doit, le cas échéant, être examiné sous l’angle d’autres règles de droit (voir, par analogie, arrêt Frisdranken Industrie Winters, C 119/10, EU:C:2011:837, points 28 à 35).

A noter

49 Cette analyse n’est pas infirmée par le fait que des marchandises importées et placées sous le régime de suspension des droits d’accise peuvent, par la suite, être exportées vers un État tiers et ainsi ne jamais être mises à la consommation dans un État membre. À cet égard, il suffit de relever que toute marchandise en libre pratique est susceptible d’être exportée. Cette éventualité ne saurait faire obstacle à l’application des règles en matière de marques aux marchandises importées dans l’Union. En outre, l’exportation est elle-même également un acte visé à l’article 5, paragraphe 3, de la directive 89/104.

  • La décision de la Cour de Justice

L’article 5 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens que le titulaire d’une marque enregistrée dans un ou plusieurs États membres peut s’opposer à ce qu’un tiers fasse placer sous le régime de suspension des droits d’accise des marchandises revêtues de cette marque après les avoir, sans le consentement de ce titulaire, fait introduire dans l’Espace économique européen et mettre en libre pratique.

Contrefaçon de marque : quelle responsabilité pour le prestataire de service qui, sur commande et sur les instructions d’un tiers, remplit des conditionnements qui lui ont été fournis par ce tiers, lequel y a fait apposer préalablement un signe identique ou similaire à une marque

Quelques fois en matière de contrefaçon de marque différentes entreprises interviennent dans la fabrication du produit qui porte la marque contrefaisante, quelle responsabilité ont ces entreprises ? L’arrêt rendu le 15 décembre 2011, C‑119/10,  par la CJCE apporte une réponse où il est à nouveau question de l’usage dans le vie des affaires et de l’arrêt Google.

Brièvement les faits pour comprendre la portée de cet arrêt

Leur présentation est donnée par la Cour :

  • Winters a rempli des canettes de boisson rafraîchissante pour le compte de Smart Drinks.
  • À cet effet, Smart Drinks a livré à Winters des canettes vides et leurs capsules, lesquelles étaient revêtues de divers signes, ornements et textes. Ces canettes portaient notamment les signes «BULLFIGHTER», «PITTBULL», «RED HORN» (devenu par la suite «LONG HORN») et «LIVE WIRE».
  • Smart Drinks a également livré à Winters le sirop de base de la boisson rafraîchissante.
  • Winters a rempli les canettes d’une quantité définie de sirop de base additionné d’eau et au besoin de gaz carbonique et fermé les canettes, le tout en suivant les indications et recettes de Smart Drinks.
  • Winters a ensuite restitué les canettes remplies à Smart Drinks qui les a exportées en dehors du Benelux.

Pour la Cour :  » Winters s’est limité à accomplir ces services de remplissage pour Smart Drinks, sans expédier les canettes remplies à cette dernière société. Elle n’a, en outre, ni livré ni vendu ces canettes à des tiers ».

La procédure

En 2006, Red Bull qui commercialise une boisson énergisante engage une procédure aux Pays-Bas contre Winters afin de voir ordonner à cette dernière de cesser immédiatement et à l’avenir tout usage de signes qui ressemblent ou s’associent à un certain nombre de ses marques.

Le juge hollandais estime que le remplissage des canettes doit être assimilé à un usage de ces signes, mais que seul le signe «BULLFIGHTER» en combinaison avec les canettes utilisées à cet égard ressemble aux marques de Red Bull.  Seul le remplissage des canettes BULLFIGHTER par Winters est interdit.

Appel de cette décision par Red Bull et par Winters.  L’interdiction est étendue aux canettes BULLFIGHTER, PITTBULL et LIVE WIRE.

Winters se pourvoie en cassation.

La Cour de Cassation des Pays-Bas, le Hoge Raad der Nederlanden, pose différentes questions préjudicielles à la Cour de Justice à propos de l’application de la Directive 89/104/CEE et plus particulièrement de son article 5, paragraphe 1, sous b.

Se référant à l’arrêt Google, la CJCE considère « qu’un prestataire de service tel que Winters [ s’il ] opère dans la vie des affaires lorsqu’il remplit sur commande d’un tiers de telles canettes, il n’en découle pas pour autant que ce prestataire fasse lui-même un «usage» de ces signes au sens de l’article 5 de la directive 89/104″

D’où la décision de la Cour :

L’article 5, paragraphe 1, sous b), de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens qu’un prestataire de service qui, sur commande et sur les instructions d’un tiers, remplit des conditionnements qui lui ont été fournis par ce tiers, lequel y a fait apposer préalablement un signe identique ou similaire à un signe protégé en tant que marque, ne fait pas lui-même un usage de ce signe susceptible d’être interdit en vertu de cette disposition.