Action en nullité d’une marque communautaire : l’application des règles nationales pour la détermination du droit antérieur invoqué et de la preuve de son contenu

2 octobre 2007 : National Lottery Commission obtient pour des produits et services des classes 9, 16, 25, 28 et 41, l’enregistrement à titre de marque communautaire du signe :

 

20 novembre 2007 : Mediatek Italia Srl et M. Giuseppe de Gregorio demandent la nullité de cette marque sur le fondement de l’article 52, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 40/94  en invoquant un  droit d’auteur :

Ce signe est désigné à l’arrêt la « mano portafortuna ».

16 juillet 2009 : la division d’annulation de l’OHMI fait droit à la demande en nullité de la marque.

1er septembre 2009 :  National Lottery Commission forme  un recours auprès de l’OHMI.

9 juin 2010 : la Première Chambre de Recours rejette le recours en se reportant selon la critique qu’en fait la  National Lottery Commission « à la photocopie d’un contrat en date du 16 septembre 1986, par lequel un tiers se présentant comme l’auteur de la mano portafortuna cède, à l’un des demandeurs en nullité, ses droits de reproduction et d’utilisation sur cette œuvre ainsi que sur d’autres dessins figurant en annexe à ce contrat (ci-après le « contrat de 1986 ») » , [qui ] suffisait a attester de l’existence d’un droit d’auteur ».

Le Tribunal saisi par la  National Lottery Commission annule par son arrêt du 13 septembre 2012 la décision de la Chambre de recours de l’OHMI.

Les points cités ci-dessous se rapportent à l’appréciation par la Chambre de recours selon le droit italien de la force probante du contrat daté de 1986 . Problématique essentielle au litige : ce contrat doit-il être réputé valable jusqu’à l’introduction d’une procédure d’inscription en faux ? A noter quelques détails, – « la date du cachet de la poste (le 21 septembre 1986) correspond à un jour de fermeture des bureaux de poste  et la durée de protection des droits d’auteur de 70 ans, inscrite dans le contrat correspond à celle applicable postérieurement à 1996, alors qu’elle n’était que de 50 ans à la date de rédaction alléguée du contrat de 1986 » -, pour lesquels le Tribunal considère que la Chambre n’a pas appliqué correctement le droit italien.

23      En application de la jurisprudence …….dans la mesure où la question que devait trancher la chambre de recours concerne le point de savoir si, en application du droit italien, les demandeurs en nullité sont effectivement titulaires d’un droit d’auteur, c’est à juste titre que la chambre de recours s’est fondée sur les règles de droit italien déterminant la force probante du contrat de 1986.

24      Il incombe cependant au Tribunal de vérifier, en second lieu, si la chambre de recours a suivi une correcte interprétation du droit italien pertinent, en concluant que, en application des articles 2702 et 2703 du code civil italien, le contrat de 1986 faisait pleinement foi de la provenance des déclarations de ceux qui les avaient souscrites jusqu’à l’introduction d’une procédure d’inscription en faux.

25      Selon l’article 2702 du code civil italien, l’acte sous seing privé vaut preuve, jusqu’à inscription en faux, de la provenance des déclarations qu’il contient de la personne qui l’a signé, si soit la personne contre laquelle il est invoqué reconnaît sa signature soit ladite signature est considérée comme légalement reconnue.

26      L’article 2703 de ce même code dispose qu’une signature qui a été authentifiée par un notaire ou par un autre officier public autorisé est traitée comme ayant été reconnue. L’authentification est définie comme consistant en la certification par l’officier public que la signature a été écrite en sa présence. Il est également souligné que l’officier public doit au préalable vérifier l’identité du signataire.

27      L’article 2704 du code civil italien précise que la date de l’acte sous seing privé pour lequel la signature n’a pas été authentifiée n’est pas certaine et n’est pas opposable aux tiers, à l’exception du jour qui suit l’enregistrement de l’acte sous seing privé ou la mort ou l’incapacité physique du ou des signataires ou du jour où le contenu de l’acte est reproduit dans des actes publics, ou, enfin, du jour où est vérifié un autre fait qui établit d’une manière également certaine l’antériorité de l’établissement de l’acte.

28      Au point 30 de la décision attaquée, la chambre de recours a considéré que le contrat de 1986 « [était] un acte sous seing privé et [faisait] donc pleinement foi de la provenance des déclarations de ceux qui les [avaient] souscrites jusqu’à inscription de faux conformément à l’article 2702 du code civil ».

29      Toutefois, force est de constater qu’il ressort de la lecture des articles 2702 à 2704 du code civil italien, qu’une telle affirmation ne sera exacte, dans les circonstances de l’espèce, que si la signature des parties au contrat peut être considérée comme légalement reconnue en ce qu’elle aurait été authentifiée en application de l’article 2703 du code civil italien, ou à la condition que l’une des exceptions envisagées par l’article 2704 de ce même code trouve à s’appliquer.

30      Or, il ne saurait valablement être considéré que la circonstance alléguée au point 5 de la décision attaquée, c’est-à-dire la signature devant un notaire le 4 août 2008 d’un « contrat confirmatif de cession » qui confirmerait les dispositions stipulées dans le contrat de 1986 est de nature à authentifier la signature des parties au contrat de 1986 au sens de l’article 2703 du code civil italien. En effet, une telle hypothèse, qui aboutirait à rendre opposable aux tiers un contrat signé en 1986, par l’intervention d’un notaire près de 22 ans après cette date, apparaît en directe contradiction avec les termes mêmes dudit article 2703 selon lequel l’authentification consiste en la certification par l’officier public que la signature a été écrite en sa présence.

31      En outre, en ce qui concerne l’application de l’article 2704 du code civil italien, il y a lieu de souligner que celui-ci permet de rendre opposable aux tiers un acte sous seing privé dont la signature n’a pas été authentifiée, à compter du jour suivant son enregistrement ou la survenance d’un fait qui établit d’une manière également certaine l’antériorité de l’établissement de l’acte.

32      En application de la jurisprudence de la Corte suprema di cassazione (Cour de cassation italienne), l’apposition sur un acte sous seing privé d’un cachet postal constitue un fait établissant la date certaine de cet acte au sens de l’article 2704 du code civil, dès lors que le cachet postal figure sur le corps du document lui-même (arrêt du 14 juin 2007, n° 13912). Il ressort également de cette jurisprudence que la preuve contraire de la véracité de la date d’un cachet postal peut être offerte sans qu’il soit besoin d’entamer la procédure d’inscription en faux.

33      En l’espèce, il convient de souligner que, si aucune référence n’est effectuée dans la décision attaquée à l’article 2704 du code civil italien, il y est mentionné la présence d’un cachet postal en date du 21 septembre 1986. Il ressort de l’examen du dossier de procédure devant l’OHMI que ledit cachet postal apparaît sur la première page du contrat, ainsi que sur l’annexe où figure le dessin de la mano portafortuna. Partant, il peut en être déduit que l’apposition dudit cachet postal répond aux conditions énoncées par la jurisprudence de la Cour de cassation italienne.

34      Ainsi, la présence de ce cachet postal est un élément permettant d’établir que le contrat de 1986 a date certaine à compter du 21 septembre 1986 et que, partant, en application de la lecture combinée des articles 2702 à 2704 du code civil, il fait foi de la provenance des déclarations qu’il contient, y compris à l’égard des tiers, depuis le 22 septembre 1986.

35      Toutefois, en application de la jurisprudence citée au point 32 ci-dessus, il était loisible à la requérante d’apporter la preuve que le contrat de 1986 avait été, en réalité, rédigé à une autre date que celle figurant sur le cachet postal, sans qu’il soit nécessaire qu’elle introduise une procédure d’inscription en faux.

36      Ainsi, la chambre de recours, en concluant au point 30 de la décision attaquée que le contrat de 1986 « [était] un acte sous seing privé et [faisait] donc pleinement foi de la provenance des déclarations de ceux qui les [avaient] souscrites jusqu’à inscription en faux conformément à l’article 2702 du code civil », alors que le déclenchement d’une telle procédure n’était pas nécessaire dans les circonstances de l’espèce, a suivi une interprétation erronée du droit national applicable en application de l’article 53, paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 et, partant, a mal apprécié l’étendue exacte de ses compétences.

37      En outre, il y a lieu de constater que la requérante a mis en exergue au cours de la procédure devant la chambre de recours certains éléments, qu’elle qualifie d’ « anomalies », et qui seraient de nature à démontrer le caractère improbable de la rédaction du contrat de 1986 à la date alléguée. Ces éléments sont notamment constitués par les circonstances que la date du cachet de la poste (le 21 septembre 1986) correspond à un jour de fermeture des bureaux de poste et que la durée de protection des droits d’auteur de 70 ans, inscrite dans le contrat correspond à celle applicable postérieurement à 1996, alors qu’elle n’était que de 50 ans à la date de rédaction alléguée du contrat de 1986.

38      Aux points 26 et 27 de la décision attaquée, la chambre de recours a expliqué ces anomalies par d’éventuelles erreurs du préposé ayant apposé le cachet postal et du juriste ayant rédigé le contrat de 1986.

39      Sans qu’il soit nécessaire d’examiner le bien-fondé de ces appréciations de la chambre de recours, il suffit de souligner qu’elles ont pu être affectées par l’interprétation erronée du droit italien, soulignée au point 36 ci-dessus. Il peut, en effet, être considéré que la chambre de recours aurait accordé d’avantage d’importance à ces éléments dans l’éventualité où elle aurait estimé qu’il était loisible à la requérante de contester devant elle le caractère certain de la date figurant sur le cachet postal et que, dès lors, le contrat de 1986 ne faisait pas forcément foi de la provenance des déclarations qu’il contient.

40      Au vu de ce qui précède, il convient de conclure que la chambre de recours a estimé que les demandeurs en nullité avaient démontré l’existence d’un droit antérieur sur la base d’une interprétation erronée du droit national régissant sa protection et que cette erreur a pu avoir une incidence sur le contenu de la décision attaquée.

41      Par conséquent, il convient d’accueillir le moyen tiré de la violation de l’article 53, paragraphe 2, sous c), du règlement n° 207/2009 et d’annuler la décision attaquée, sans qu’il y ait lieu d’examiner le deuxième moyen.

 

Attention cet arrêt a été annulé par un arrêt du 27 mars 2014 de la Cour de Justice. Ici

Du caractère usuel de la marque, à propos de sa validité, de sa dégénérescence, et de sa contrefaçon : l’arrêt du 2 février 2012 de la Cour de Lyon LA PIERRADE

Le caractère usuel d’un signe peut conduire au rejet de la demande d’enregistrement à titre de marque. Postérieurement à l’enregistrement, le signe devenu usuel amène le juge à prononcer la déchéance du titre.  Enfin, lors du procès en contrefaçon, les circonstances des emplois litigieux peuvent infléchir la décision du juge quand le caractère usuel de l’emploi en question se trouve invoqué.

Ces différentes situations avec des intérêts divers se retrouvent à l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Lyon du 2 février 2010

La marque en question : « La Pierrade » pour désigner « appareils d’éclairage, de chauffage, de production de vapeur, de cuisson, de séchage, de ventilation ; ustensiles et récipients pour le ménage ou la cuisine ; hôtellerie et restauration ».

  1. Le caractère usuel  de la marque lors de son dépôt, s’il a été invoqué, n’a pas été soutenu

Ces développements sont regroupés à l’arrêt sous l’intitulé « validité originelle de la marque »

Le dépôt étant intervenu en 1986, l’examen doit être mené au regard de la loi du 31 décembre 1964 qui disposait que ne peuvent être considérées comme marques celles qui sont constituées exclusivement de la désignation nécessaire et générique du produit et du service et celles qui sont constituées exclusivement de termes indiquant la qualité essentielle du produit ou du service, ou la composition du produit

Pour soutenir ‘qu’au jour du dépôt précité, il était usuel d’utiliser le terme pierrade pour désigner un appareil et/ou un mode de cuisson sur pierre chauffante’, la société Consumer Finance ‘fait sienne l’argumentation développée par la société La Redoute’.

Mais cette dernière ne soutient rien de tel : elle fait valoir que ‘pour apprécier la validité de la marque, il convient de se placer à la date de la présente demande en nullité’, se réclamant ainsi des principes commandant d’ailleurs, non pas la validité du dépôt, mais l’appréciation du risque de confusion au regard d’une notoriété ultérieurement acquise par la marque.

Dès lors, à supposer même que les règles de procédure autorisent la société Consumer Finance à se référer à des conclusions dont elle ne reprend pas les termes, il n’existe dans les écritures de la société La Redoute aucune argumentation susceptible de soutenir sa propre thèse.

Faute d’aucun moyen en ce sens, la demande de nullité de la marque pour défaut originaire de caractère distinctif ne peut donc prospérer.

2. Postérieurement au dépôt, le caractère usuel de la marque enregistrée doit – il être examiné au regard des seuls consommateurs concernés ou aussi en tenant compte des professionnels qui s’adressent à ces consommateurs ?

  • La Cour de Lyon dit que la marque est usuelle pour les consommateurs concernés

Du point de vue du grand public, la démonstration est amplement faite que ce mot est quotidiennement, massivement et couramment utilisé pour désigner un appareil de cuisson caractérisé par le recours à une pierre chauffée.

De nombreuses recettes de cuisine, des annonces de revente sur internet et même une entrée de dictionnaire en font usage, et il n’est aucune trace que le public ait conscience d’employer ainsi un mot protégé en tant que marque.

  • Mais la Cour de Lyon ajoute un second périmètre d’appréciation du caractère usuel de la marque : les professionnels qui s’adressent à ces consommateurs

Mais cela ne suffit pas à en conclure que la marque est devenue usuelle ; ces circonstances manifestent seulement que les produits et services considérés ont eu un grand succès, qu’ils présentaient une originalité et qu’il n’existait pas de mot pour les nommer auparavant, de sorte que le public les identifie par le vocable sous lequel ils ont été initialement offerts à la vente.

Il ne s’en déduit pas que les autres opérateurs économiques du secteur sont dans la même situation, ni qu’ils s’en trouveraient autorisés à profiter des investissements à l’origine de ce succès pour concurrencer le premier intervenant en recourant à ce signe pour désigner des produits et services identiques ou similaires.
…..
Or, il n’est pas même prétendu que, du point de vue des professionnels du secteur de la fabrication et de la commercialisation des appareils de cuisson et autres produits et services désignés dans l’enregistrement, le signe serait devenu usuel

  • Pour la Cour de Lyon la compréhension du signe doit être examinée auprès de ces deux publics

Dès lors, la première condition de la dégénérescence, si même elle est remplie à l’égard du grand public, ne l’est nullement au regard de l’ensemble des professionnels du secteur et, à leur égard, la marque demeure propre à distinguer les produits ou les services d’une entreprise de ceux d’autres entreprises.

Cette condition n’est pas remplie.

Certes la Cour de Lyon à la suite de ce premier examen, va montrer que la dégénérescence du signe pour les seuls consommateurs n’est pas du fait de son titulaire :

Même à admettre que le mot pierrade est devenue la désignation usuelle dans le commerce du produit ou du service, ce ne serait pas du fait de son titulaire et, faute que cette seconde exigence soit remplie, il n’y aurait pas plus lieu de constater sa dégénérescence.

Ainsi pour la Cour de Lyon, postérieurement à l’enregistrement, l’examen du caractère usuel de la marque doit être conduit au regard :
–    des consommateurs concernés,
–    et des professionnels  qui s’adressent à ces consommateurs.

3° Puis vient le débat sur la contrefaçon : « Réalité de la contrefaçon »

  • Voyons tout d’abord ce que dit la Cour :

Dans cette seconde phrase, la marque est reproduite en tous ses éléments ; le signe est utilisé pour désigner des produits identiques à ceux figurant dans l’enregistrement sous le terme ‘appareils de cuisson’ ; le risque de confusion va de soi et la contrefaçon est caractérisée.

Dans la première, la marque est imitée, puisque l’article ‘la’ ne figure pas dans l’annonce incriminée.

Pour autant, ce simple article produit un effet distinctif négligeable, de sorte que de façon visuelle, conceptuelle et phonétique, l’imitation du seul mot propre à retenir concrètement l’attention et à demeurer présent à l’esprit lorsqu’il n’a pas les deux signes en même temps sous les yeux expose le consommateur raisonnablement informé, qui est d’ici d’attention très moyenne puisqu’il s’agit en l’occurrence de produits de grande consommation, offerts en cadeau qui plus est, à un risque de confusion en raison de cette ressemblance très marquée.

Or, c’est bien au regard de ce consommateur que doit s’évaluer le risque de confusion puisque lui seul, à l’exclusion des professionnels du secteur, y est exposé et que les annonces litigieuses lui étaient destinées.

L’identité des produits désignés achève de créer l’évidence de ce risque ; la contrefaçon est caractérisée.

  • Le malaise est palpable :

– Lors de l’examen du caractère usuel après enregistrement, la Cour dit que pour le consommateur concerné le signe est devenu usuel . la Cour a même dit que  il n’est aucune trace que le public ait conscience d’employer ainsi un mot protégé en tant que marque.

– Pour l’examen de la contrefaçon, la Cour retient le risque de confusion.

4°) Comment sortir de ce paradoxe

Un signe n’est plus apte à exercer son caractère distinctif mais les conditions exigées pour voir prononcer sa dégénérescence ne sont pas remplies.

Faut-il retenir un acte de contrefaçon quand le signe est utilisé en rapport avec les produits visés à enregistrement ?

Non a déjà dit la Cour de Cassation dans son arrêt du 2 novembre 2011, une telle solution n’aurait-elle pas pu s’appliquer ici ?

Demande en nullité d’une marque communautaire. Pour l’appréciation de l’absence de la mauvaise foi du déposant, il n’y a pas de liste limitative des critères à prendre en compte. A propos de l’arrêt du 14 février 2012 BIGAB

L’arrêt du 14 février 2012,T‑33/11, Peeters Landbouwmachines BV, contre Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), se prononce sur l’absence de mauvaise foi du déposant.

Au regard d’une marque communautaire enregistrée BIGAB, un tiers exploitant le signe BIGA, engage une action en nullité devant l’OHMI.

Successivement la division d’annulation et la première chambre de recours de l’OHMI ont rejeté cette demande en annulation.

L’arrêt du Tribunal revient ainsi sur l’interprétation de la mauvaise foi visée à l’article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009.

 

  • Tout d’abord , les trois critères fixés antérieurement par la Cour sont rappelés:

 

–       le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire, prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé ;

–        l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ;

–        le degré de protection dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé.

 

  • L’intérêt de cet arrêt est ici : ces critères « ne sont que des illustrations parmi un ensemble d’éléments susceptibles d’être pris en compte afin de se prononcer sur l’éventuelle mauvaise foi d’un demandeur de marque au moment du dépôt de la demande »

..il peut également être tenu compte de l’origine du signe contesté et de son usage depuis sa création ainsi que de la logique commerciale dans laquelle s’est inscrit le dépôt de la demande d’enregistrement de ce signe en tant que marque communautaire.

22 En l’espèce, il est constant que la marque  contestée a été utilisée à partir de 1991, dans un premier temps par Blidsberg Investment Group BIG AB, dont la marqueBIGAB représente les initiales, et ensuite, à partir de 1999, par l’intervenante, à la suite de l’acquisition de l’ensemble des droits afférents à cette marque. Or, la requérante n’a, pour sa part, commencé à utiliser la marque BIGA qu’en 1996. Cette dernière n’avait en outre fait l’objet d’aucun enregistrement à la date du dépôt de la demande d’enregistrement de la marque contestée, ni au niveau européen, ni au niveau du Benelux, ni à l’échelon national. Ces circonstances établissent que le signe contesté n’a été ni créé ni utilisé par l’intervenante dans le but délibéré de générer une confusion avec un signe existant et, de cette façon, de concurrencer le titulaire de ce dernier de manière déloyale.

23 Ensuite, contrairement à ce qu’affirme la requérante, il est compréhensible, d’un point de vue commercial, que l’intervenante ait souhaité étendre la protection de la marque contestée en la faisant enregistrer en tant que marque communautaire. En effet, durant la période qui a précédé le dépôt de la demande d’enregistrement, l’intervenante a réalisé son chiffre d’affaires relatif aux produits de la marque BIGAB dans un nombre croissant d’États membres. Comme l’a relevé à juste titre la chambre de recours, au point 32 de la décision attaquée, ce contexte constituait un mobile plausible justifiant le dépôt d’une demande d’enregistrement de marque communautaire.

 

Le Tribunal va rejeter le recours

Procès en annulation d’une marque communautaire devant l’OHMI, comment apprécier les éléments figuratifs ? Faut-il les réduire à leur stricte expression verbale : éléphant et éléphants ? A propos de l’arrêt du TPI du 7 février 2012

L’arrêt du 7 févier 2012 dans l’affaire T‑424/10, Dosenbach-Ochsner AG Schuhe und Sport, contre Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI), intervient à propos d’une marque figurative communautaire qui a fait l’objet d’une demande en nullité au regard de différents dépôts qui portent tous sur le même signe figuratif.


Les marques en causes

 

  • Le signe de la marque communautaire enregistrée :

En 2006, cette marque a été enregistrée pour  :

–        classe 24 : « Tissus ; tissus élastiques ; tissus adhésifs collables à chaud ; tissus imitant la peau d’animaux ; tissus de laine ; couvertures ; couvertures de voyage ; nappes ; articles textiles ; tapisserie en tissu ; mouchoirs de poche (en matières textiles) ; drapeaux ; lingettes en tissus et en tissus non tissés ; serviettes de table en tissu ; serviettes de table en matières textiles ; toiles synthétiques pour changer les bébés » ;

–        classe 25 : « Vêtements pour hommes, femmes et jeunes en général, y compris les vêtements en peau ; chemises ; chemisiers ; jupes ; tailleurs ; vestes ; pantalons ; shorts ; jerseys ; T-shirts ; pyjamas ; bas ; maillots de corps ; corsets ; fixe-chaussettes ; caleçons ; soutiens-gorges ; dessous (sous-vêtements) ; chapeaux ; foulards ; cravates ; imperméables ; pardessus ; manteaux ; maillots de bain ; survêtements ; anoraks ; pantalons de ski ; ceintures ; pelisses ; écharpes ; gants ; robes de chambre ; chaussures en général, y compris pantoufles, chaussures, chaussures de sport, bottes et sandales ; couches en matières textiles ; bavoirs pour nouveau-nés ».

 

  • Le signe opposé:

Ce signe fait l’objet de différentes marques antérieures au dépôt de la marque communautaire.

– une marque internationale visant notamment la République tchèque, désignant les produits relevant de la classe 25 « Chaussures et articles chaussants »,

– une marque allemande désignant notamment les « couvertures pour enfants, draps de lit pour enfants, serviettes de toilette pour enfants, sacs de couchage pour enfants ; sacs en tissu et sacs de transport en tissu pour enfants » relevant de la classe 24 et les « vêtements pour enfants, chapeaux pour enfants ; ceintures pour enfants » relevant de la classe 25 :

 

  • Une marque verbale est également invoquée à cette demande en nullité de la marque communautaire : la marque allemande verbale elefanten, désignant : « Chaussures » ;

 

Les décisions de l’OHMI

 

9 septembre 2008 : la division d’annulation rejette la demande en nullité,

15 juillet 2010 : la quatrième chambre de recours de l’OHMI a rejeté le recours.

 

La décision du Tribunal : l’annulation de la décision de la chambre de recours

 

  • En matière de marque figurative, une comparaison phonétique n’est pas pertinente

46…une marque figurative dépourvue d’éléments verbaux ne peut pas être prononcée en tant que telle. Tout au plus, son contenu visuel ou conceptuel peut être décrit oralement. Or, une telle description coïncide nécessairement soit avec la perception visuelle soit avec la perception conceptuelle de la marque concernée. Par conséquent, il n’y a pas lieu d’examiner, de manière autonome, la perception phonétique d’une marque figurative dépourvue d’éléments verbaux et de la comparer avec la perception phonétique d’autres marques.

47 Dans ces circonstances, et compte tenu de ce que la marque contestée est une marque figurative dépourvue d’éléments verbaux, il n’y a lieu de conclure ni à une similitude ni à une dissimilitude phonétique entre cette dernière marque et les marques antérieures.

  • La proximité conceptuelle : éléphant et éléphants !

52 S’agissant de la comparaison conceptuelle entre la marque contestée et les marques figuratives antérieures, il n’est pas contesté que ces dernières seront perçues comme renvoyant à la notion d’« éléphant ». Or, étant donné la proximité entre la notion d’« éléphant » et celle d’« éléphants », il y a lieu de conclure, à l’instar de la chambre de recours, à une similitude conceptuelle entre la marque contestée et les marques figuratives antérieures.

Étonnante affirmation de la part d’une juridiction qui vient juste de dire que les marques figuratives ne se prononcent pas, et qui ne tient pas compte dans ce raccourci verbal des graphismes et postures particulières de ces signes.

 

  • D’où le constat du Tribunal

53 Au final, il y a lieu de constater que la décision attaquée est viciée par des erreurs relatives à l’appréciation de la similitude phonétique et de la similitude conceptuelle.

  • Mais le Tribunal ne s’arrête pas là !

Toutefois, l’impact de ces erreurs sur le bien‑fondé du constat de la chambre de recours relatif à l’absence de risque de confusion et, partant, sur le bien‑fondé du dispositif de la décision attaquée ne peut être apprécié qu’au stade de l’examen global de l’ensemble des facteurs pertinents. Aux fins de cet examen, il y a lieu de considérer que les marques concernées sont différentes sur le plan visuel, que leur comparaison phonétique est dépourvue de pertinence et que, sur le plan conceptuel, la marque contestée est identique à la marque verbale antérieure et similaire aux marques figuratives antérieures.

Et d’ajouter :

…. il ressort d’une lecture contextuelle du passage cité au point 57 ci‑dessus que la requérante a renvoyé, afin d’étayer la revendication du caractère distinctif accru des marques antérieures, à l’ensemble des éléments présentés par elle afin de prouver l’usage sérieux de ces dernières.

68 Par ailleurs, ces éléments, à savoir des matériaux publicitaires dans lesquels figuraient les marques antérieures et des déclarations sur l’honneur relatives aux volumes de vente des produits qui en étaient revêtus, étaient pertinents, de prime abord, non seulement s’agissant de l’usage sérieux des marques antérieures, mais également s’agissant de leur éventuel caractère distinctif acquis par l’usage.

..

70 Au vu de tout ce qui précède, il y a lieu de conclure que c’est à tort que la chambre de recours a constaté que la requérante n’avait pas expressément revendiqué un caractère distinctif accru des marques antérieures dû à leur usage. C’est donc également à tort qu’elle n’a pas examiné le bien‑fondé des revendications de la requérante sur ce point.

71 Cette erreur implique que la chambre de recours a omis d’examiner un facteur potentiellement pertinent dans l’appréciation globale de l’existence du risque de confusion entre la marque contestée et les marques antérieures.

 

 

Action en nullité d’une marque communautaire : à propos de CHICKEN ON THE GRILL, la mauvaise foi du déposant n’a pas été prouvée

L’arrêt en date du 1er février 2012 rendu par le Tribunal se prononce sur la question de la mauvaise foi du déposant.

Affaire T‑291/09, Carrols Corp., contre Office de l’harmonisation dans le marché intérieur (marques, dessins et modèles) (OHMI).

La marque communautaire qui a été enregistrée, et qui est attaquée en nullité

22 novembre 2002 : dépôt au nom de M. Giulio Gambettola de la demande de marque communautaire :

–        classe 25 : « Vêtements confectionnés » ;

–        classe 41 : « Discothèques » ;

–        classe 43 : « Services de restauration (alimentation) ».

21 avril 2004 : la marque est enregistrée.

Les marques invoquées à l’appui de la demande en nullité de la marque enregistrée le 21 avril 2004

22 janvier 2007 : action en nullité auprès de l’OHMI déposée par Carrols Corp en invoquant :

1°) d’une part, l’existence d’un risque de confusion au Royaume-Uni, où elle possède deux enregistrements de marque prioritaires, pour des services de restauration :

  • l’une figurative déposée le 30 juin 1999 :

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  • l’autre verbale du 19 juin 2000,  POLLO TROPICAL,

2°) et, d’autre part, le fait que l’enregistrement a été demandé de mauvaise foi au regard d’un enregistrement américain.

Un précédent litige devant l’Office espagnol des marques

20 juin 1994 : dépôt par M. Giulio Gambettola, d’une demande d’enregistrement de la marque espagnole figurative qui a été enregistrée le 20 décembre 1995 :

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et cette marque espagnole a été opposée aux dépôts, le 21 octobre 1994, de Pollo Tropical, Inc., société aux droits de laquelle vient Carrols Corp., des deux demandes d’enregistrement :

  • l’une pour la marque verbale POLLO TROPICAL,
  • l’autre concernant la marque figurative en invoquant la marque US demandée le 25 avril 1994 et enregistrée le 19 août 1997 :

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Ces deux demandes de marques espagnoles ont été rejetées.

Les décisions de l’OHMI (sans entrer ici dans leur détail)

17 mars 2008 : la division d’annulation rejette la demande en nullité.

7 mai 2009 : la première chambre de recours de l’OHMI rejette le recours.

La décision du Tribunal : le recours est rejeté.

Différents motifs sont examinés, n’est reprise ci-dessous que l’argumentation principale sur la mauvaise foi.

  • La date à laquelle le comportement du déposant doit être apprécié :

« l’existence de la mauvaise foi du déposant devait être démontrée lors du dépôt, soit le 22 novembre 2002.

Toutefois, les faits de la présente espèce ont amené la chambre de recours à examiner des circonstances antérieures à cette date, puisque la demande de marque communautaire introduite par l’intervenant est consécutive à l’enregistrement d’une marque nationale antérieure identique.

58 Ainsi que l’avait relevé, à juste titre, la division d’annulation, il existe une continuité ou une « trajectoire commerciale » unissant les marques de l’intervenant, raison pour laquelle la date de présentation de la marque espagnole doit également être prise en considération.

59 Certes, la chambre de recours a semblé exclure la prise en considération de la date de présentation de la demande de marque nationale antérieure, au point 26 de la décision attaquée, en considérant que « la chambre de recours ne procédera pas à l’appréciation de la mauvaise foi ou de la bonne foi de [l’intervenant] lors du dépôt des demandes d’enregistrement en Espagne, dans la mesure où non seulement celles-ci ont eu lieu il y a huit ans, mais également où il s’agit d’une question dont la compétence relève exclusivement de la juridiction nationale, en particulier la juridiction espagnole ».

60 Toutefois, en constatant, au point 27 de la décision attaquée, « que le dépôt de la demande de marque communautaire en 2002 par [le déposant] n’était que le développement commercial normal et prévisible de son activité de restauration », la chambre de recours a nécessairement procédé à l’examen des circonstances antérieures à la demande de ladite marque.

  • A cette époque, quelle connaissance le déposant avait-il de la marque américaine ?

Or, il ne ressort d’aucun élément du dossier que la connaissance par [le déposant ] de la marque américaine pourrait être présumée, dans la mesure où, d’une part, cette dernière marque bénéficiait d’un enregistrement, non pas dans un État membre, mais dans un pays tiers, et, d’autre part, entre la demande de marque espagnole, soit le 20 juin 1994, et la demande de marque américaine, soit le 25 avril 1994, une période de deux mois seulement s’est écoulée. Même si la date du premier usage de la marque américaine devait être prise en considération, à savoir le 13 septembre 1991, une période de trois ans et demi se serait écoulée, mais ce seul fait serait, en tout état de cause, insuffisant, eu égard à la localisation géographique de la marque, pour permettre de présumer que [ le déposant ] en avait connaissance au moment du dépôt de la demande de marque espagnole. Ainsi, la seule ouverture d’un ou de plusieurs restaurants en Floride (États-Unis) ou dans d’autres pays situés en Amérique du Sud ne saurait être considérée comme étant de nature à établir la connaissance, par [le déposant ], de l’usage antérieur de la marque américaine.

62 La requérante n’a donc versé aux débats aucun commencement de preuve qui permettrait de présumer que [ le déposant ] ne pouvait ignorer l’existence de ladite marque.