Comment invoquer des droits nationaux pour les opposer à une marque communautaire et en demander la nullité ?

Différentes situations peuvent conduire à l’annulation d’une marque communautaire.

S’agissant des droits nationaux antérieurs susceptibles d’être opposés à une marque communautaire pour en demander l’annulation, – antériorités prévues à l’article 8 du règlement (CE) no 207/2009 à combiner avec la règle n° 37 du règlement (CE) n° 2868/95 -, qui de l’Office ou du demandeur ( son avocat) doit apporter la preuve de leur contenu et de leur reconnaissance dans tel ou tel pays ?

C’est l’ordonnance du 31 janvier 2016 de la Cour de Justice, l’affaire C‑485/16 P, qui répond sur un pourvoi formé contre un arrêt du Tribunal. La décision

Notons la célérité, le pourvoi est du 7 septembre 2016 !

L’affaire est assez simple, la demande en nullité a été rejetée par la division d’annulation de l’EUIPO, par la Chambre de recours puis par le Tribunal car le demandeur à l’annulation de la marque communautaire s’est contenté d’indiquer  qu’il disposait dans différents pays d’une marque d’usage et s’est référé de manière générale aux législations nationales énumérées à titre purement informatif dans le tableau compris dans des directives de l’EUIPO.

 Cette référence générale n’est pas suffisante, il est donc nécessaire pour le requérant à l’annulation de déterminer et d’expliciter les législations nationales qu’il invoque même si celles-ci à priori pouvaient être connues de l’office. (Et bien entendu de montrer que sa situation lui permet d’en bénéficier).

La motivation de la Cour pour rejeter ce pourvoi

19      Par son premier moyen, la requérante fait valoir que le Tribunal a méconnu l’article 8, paragraphe 4, du règlement no 207/2009 et la règle 37, sous b), ii), du règlement no 2868/95, dans la mesure où il a considéré qu’Universal Protein Supplements n’avait identifié ni les États membres pertinents dont elle invoquait le droit national, ni de manière suffisamment détaillée le contenu des dispositions nationales pertinentes, ni, enfin, le régime de celles-ci conduisant à l’interdiction des marques de l’Union postérieures à la marque non enregistrée de la requérante. Plus particulièrement, Universal Protein Supplements reproche au Tribunal d’avoir jugé à tort, aux points 30 et 31 de l’arrêt attaqué, que les détails contenus dans le tableau intitulé « Droits nationaux constituant des “droits antérieurs” en vertu de l’article 8, paragraphe 4, du [règlement no 207/2009] » annexé aux directives de l’EUIPO n’étaient pas suffisants et que ce tableau ne contenait pas de citations des dispositions des réglementations nationales s’y trouvant mentionnées.

20      Par son troisième moyen, la partie requérante soutient que le Tribunal a commis une erreur de droit en conditionnant, au point 48 de l’arrêt attaqué, le devoir de vérification incombant à l’EUIPO à la fourniture préalable par le demandeur en nullité des précisions nécessaires relatives aux droits nationaux applicables.

….

22      En l’occurrence, il convient de constater que le Tribunal a considéré que la requérante n’avait satisfait à aucune des deux exigences cumulatives posées à la règle 37, sous b), ii), du règlement no 2868/95. Il a ainsi exposé, aux points 30 à 34 de l’arrêt attaqué, que la requérante n’avait pas apporté d’éléments établissant le contenu des législations nationales qu’elle avait invoquées. De manière déterminante, il a également estimé, aux points 35 à 38 de cet arrêt, que la requérante n’avait pas fourni d’éléments démontrant qu’elle remplissait les conditions requises, conformément à ces législations nationales, afin de pouvoir faire interdire l’usage d’une marque de l’Union européenne en vertu d’un droit antérieur.

23      Dans ces circonstances, même à supposer que le Tribunal ait considéré de manière erronée que la requérante n’avait pas apporté d’éléments établissant le contenu des droits nationaux invoqués, ou que le devoir, incombant à l’EUIPO, de vérifier la pertinence des éléments de preuve produits par l’auteur d’une demande en nullité ne trouve à s’appliquer que si ce dernier a fourni les précisions nécessaires concernant les droits nationaux applicables, de telles erreurs sont sans incidence sur le dispositif de l’arrêt attaqué, dès lors que l’appréciation figurant aux points 35 à 38 dudit arrêt suffit à le justifier.

24      Dès lors, quand bien même les présents moyens s’avéraient fondés, ils ne seraient pas de nature à entraîner l’annulation de l’arrêt attaqué.

25      Par voie de conséquence, il y a lieu d’écarter les premier et troisième moyens comme étant inopérants.

Opposition à une demande de marque et transfert du droit sur la marque antérieure

Celui qui engage une procédure d’opposition sur la base d’une marque communautaire antérieure doit en être titulaire, et cette propriété doit être connue par l’Office.

Une opposition peut-elle être déposée  en même temps que l’indication à l’Office du transfert de la propriété de la marque antérieure à l’opposant ? N’y aurait-il qu’une question de bons formulaires à utiliser et à enregistrer par l’Office dans le bon ordre ?

Cette question qui a donné lieu à l’arrêt du Tribunal du 17 janvier 2017,  intéresse en premier lieu les conseils en propriété industrielle et les avocats.

 L’arrêt dans cette affaire, l’affaire T‑225/15, est .

  • Le rappel des dispositions du règlement sur la marque communautaires

      En application de la règle 20, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95, l’opposition est rejetée comme non fondée si l’opposant ne prouve pas, avant l’expiration de ce délai, son habilitation à former opposition.

22      La règle 31, paragraphes 1 à 2, du règlement n° 2868/95, prévoit les informations qu’une demande d’enregistrement de transfert au sens de l’article 17 du règlement n° 207/2009 doit contenir. À cet égard, le paragraphe 1 de cet article, énumère « a) le numéro d’enregistrement de la marque [de l’Union européenne] ; b) des renseignements détaillés sur le nouveau titulaire […] ; c) la liste des produits et services auxquels le transfert se rapporte, si celui-ci ne concerne pas tous les produits et services enregistrés ; d) les pièces établissant le transfert […]. »

23      Le paragraphe 5 de la règle 31 du règlement n° 2868/95 définit quels sont les éléments considérés comme des preuves suffisantes du transfert : « a) la signature, par le titulaire enregistré, ou son représentant, et par son ayant cause, ou le représentant de ce dernier, de la demande d’enregistrement du transfert ou b) le fait pour la demande, lorsqu’elle est présentée par l’ayant cause, d’être accompagnée d’une déclaration signée par le titulaire enregistré ou son représentant, aux termes de laquelle le titulaire donne son accord en vue de l’enregistrement de son ayant cause ou c) la demande accompagnée du formulaire de déclaration de transfert ou du document de transfert […] dûment remplis, et signée par le titulaire enregistré, ou son représentant, et par son ayant cause, ou le représentant de ce dernier ».

24      Aux termes du paragraphe 6, de la règle 31 du règlement n° 2868/95, lorsque les conditions d’enregistrement du transfert prévues à l’article 17, paragraphes 1 à 4, du règlement n° 207/2009, ainsi qu’aux paragraphes 1 à 4 de la même règle, ainsi que par d’autres règles applicables, ne sont pas remplies, l’EUIPO informe le demandeur des irrégularités constatées. S’il n’est pas remédié à ces irrégularités dans le délai imparti par l’EUIPO, celui-ci rejette la demande d’enregistrement du transfert.

  • L’explication par la Cour de Justice

 Premièrement, il ne résulte ni du règlement n° 207/2009, ni du règlement n° 2868/95 que l’utilisation du formulaire concernant une demande d’enregistrement d’un transfert ou une demande de changement de nom et d’adresse constitue une condition préalable indispensable à la validité des demandes. Au contraire, la règle 31, paragraphe 5, du règlement n° 2868/95 mentionne le formulaire de déclaration de transfert comme une preuve dont l’utilisation est alternative par rapport aux autres possibilités. La partie E, section 3, chapitre 1, point 3.5, des directives de l’EUIPO confirme cette constatation dans la mesure où il indique que, « d’autres moyens de preuves [que les formulaires] ne sont pas exclus ».

39      Deuxièmement, il convient de constater que, comme le font valoir à juste titre l’intervenante et l’EUIPO, la volonté de l’intervenante ressortait de la demande du 9 avril 2013 d’une manière claire et montrait une volonté de changement du titulaire de la marque antérieure en l’espèce.

40      Troisièmement, comme le font valoir à juste titre l’intervenante et l’EUIPO, le fait que la division d’opposition a enregistré les deux demandes, à savoir celle du 9 avril 2013 et celle du 14 juin 2013 (voir point 8 ci-dessus) sous deux numéros différents n’affecte en rien la conclusion selon laquelle l’EUIPO avait le droit de traiter la demande du 9 avril 2013, au vu de son contenu clair, comme une demande d’enregistrement de transfert.

41      Dès lors, l’EUIPO n’a pas commis d’erreur en interprétant la demande du 9 avril 2013 comme une demande d’enregistrement de transfert au sens de l’article 17, paragraphe 7, du règlement n° 207/2009.

La conclusion :

Par conséquent, c’est à bon droit que la chambre de recours a conclu, au point 21 de la décision attaquée, qu’il n’y avait pas de de violation de l’article 41, paragraphe 1, du règlement no 207/2009 dans le cas d’espèce, puisque l’intervenante était habilitée à former opposition le 9 avril 2013 et que son opposition avait été introduite dans le délai imparti.

Qui peut exploiter valablement la marque pour échapper à sa déchéance ?

La déchéance sanctionne le défaut d’exploitation par la perte de ce droit de propriété industrielle, mais par qui l’exploitation de la marque pour y échapper doit-elle intervenir et pour quels produits ?

La Cour de cassation par son arrêt du 11 janvier 2017 casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris du 14 avril 2015 qui avait rejeté la demande en déchéance. L’arrêt du 11 janvier 2017 est là

Cette décision se caractérise par une situation très particulière comme le rappelle les motifs du pourvoi de l’avocat : les véhicules visés au dépôt de la marque n’étaient plus fabriqués depuis plus de trente avant le dépôt de la marque, son titulaire étant une association regroupant des collectionneurs.

  • Le rappel par la Cour de cassation de la position de la Cour de Paris : les preuves d’usage jugées suffisantes pour échapper à la déchéance  Attendu que, pour rejeter cette demande, l’arrêt retient que l’usage sérieux suppose l’exploitation du signe qui correspond à la fonction de la marque, qui est de garantir au consommateur concerné l’identité d’un produit en lui permettant de distinguer sans confusion possible ceux qui ont une autre provenance, mais que cet usage doit être apprécié concrètement en tenant compte notamment des caractéristiques des produits en cause et de la structure du marché concerné, la seule circonstance que les produits pour lesquels la marque a été enregistrée ne soient plus présents sur le marché, s’agissant en particulier de véhicules d’époque déjà construits ou commercialisés, ne pouvant exclure un usage sérieux de la marque ; qu’il relève qu’en l’espèce, il n’est nullement contesté que, pour les véhicules ou appareils de locomotion visés au dépôt, le signe, sous la forme déposée, ne pouvait être utilisé que sur le marché de collectionneurs, la création et fabrication des automobiles et moteurs Delage ayant cessé en 1955 soit depuis trente ans lors du dépôt de la marque ; qu’il retient que vainement la société Denty prétend que cette marque historique de l’automobile ne serait pas utilisée par l’association, dès lors que celle-ci contribue par son action à en conserver les éléments distinctifs pour des véhicules ou des éléments nécessaires à leur utilisation ou locomotion, que l’association a utilisé ce signe conformément à son objet associatif et à la fonction essentielle de la marque, qui est de garantir l’origine des véhicules ou accessoires pour lesquels elle a été enregistrée, nonobstant son absence de visée économique à titre personnel et qu’il est ainsi justifié de l’usage sérieux de la marque par son titulaire, pour des produits, même quantitativement limités, se rapportant directement à ceux déjà commercialisés, et visant à satisfaire les besoins de la clientèle de ceux-ci par la conservation de la marque dans le secteur automobile, par l’identification et l’inscription des produits, et en favorisant les démarches administratives nécessaires à ces fins ;
  • Le motif de la cassation

Qu’en statuant ainsi, alors que l’association n’était pas titulaire de la marque sous laquelle ces véhicules avaient été mis sur le marché et qu’elle faisait usage de la marque « Delage » n° 1 310 386, enregistrée après la cessation de la commercialisation de ces véhicules, pour des produits et services qui n’étaient pas couverts par son enregistrement, de sorte que la même marque n’était pas effectivement utilisée par son titulaire pour des pièces détachées entrant dans la composition ou la structure de ces produits ou pour des produits ou services se rapportant aux produits déjà commercialisés par ses soins, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

La Cour d’appel de Paris devant laquelle cette affaire reviendra nous dira comment comprendre cet arrêt.

En attendant, nous pouvons déjà nous reporter aux motifs du pourvoi présenté par l’avocat à la Cour de cassation.

1°) ALORS QUE l’usage sérieux d’une marque suppose l’utilisation de celle-ci sur le marché pour désigner les produits et services visés à son enregistrement, et non des produits ou services similaires ; qu’il est certes admis que l’usage de la marque peut revêtir un caractère sérieux pour des produits déjà commercialisés, pour lesquels celle-ci a été enregistrée, et qui ne font plus l’objet de nouvelles offres de vente, lorsque le titulaire de la marque sous laquelle ces produits ont été mis sur le marché vend des pièces détachées qui entrent dans la composition ou la structure de ces produits ou lorsqu’il utilise la marque pour des produits ou services qui se rapportent directement aux produits déjà commercialisés et qui sont destinés à satisfaire les besoins de la clientèle de ceux-ci ; que cette exception ne peut toutefois jouer que dans l’hypothèse où la marque arguée de déchéance a été elle-même déjà utilisée pour commercialiser les produits pour lesquels elle a été enregistrée ; qu’en retenant, en l’espèce, un usage sérieux de la marque semi-figurative « Delage » n° 1 310 386, désignant des « véhicules » et des « appareils de locomotion par terre, air ou eau », tout en relevant elle-même que la création et la fabrication des automobiles et moteurs Delage avaient cessé en 1955, soit trente ans avant que l’association Les amis de Delage ne dépose, le 24 mai 1985, la marque litigieuse, et sans constater que cette association aurait déjà commercialisé des automobiles « Delage » sous la marque susvisée, la cour d’appel a violé l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

2°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU’une marque ne peut faire l’objet d’un usage sérieux qu’à la condition d’être utilisée conformément à sa fonction essentielle qui est de garantir l’identité d’origine des produits ou des services pour lesquels elle a été enregistrée ; qu’en relevant que le gérant de la société Auto Classique Touraine a attesté avoir l’autorisation de l’association Les amis de Delage pour apposer le logo de la marque dans le cadre de l’entretien, de la réparation, de la restauration ou de la reconstruction de véhicules et pour procéder et faire procéder à la reproduction de ce logo pour l’apposer sur les véhicules « Delage », que deux autres professionnels ont attesté avoir travaillé à la restauration de véhicules Delage « en étroite collaboration avec l’association Les amis de Delage » et que le gérant d’une société spécialisée dans l’ossature bois des véhicules a attesté avoir restauré des véhicules Delage « grâce aux conseils de l’association Les amis de Delage », sans constater que chacun de ces professionnels aurait utilisé la marque semi-figurative « Delage » n° 1 310 386 pour identifier les services de restauration de véhicules «Delage » qu’ils proposaient, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

3°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE seule est susceptible de constituer un usage sérieux l’utilisation de la marque sur le marché, pour désigner les produits ou services désignés dans son enregistrement, conformément à sa fonction essentielle, qui est de garantir au consommateur ou à l’utilisateur final l’identité d’origine de ces produits ou services, en lui permettant de distinguer sans confusion ces produits ou services de ceux qui ont une autre provenance ; qu’en relevant que l’association Les amis de Delage aurait «fait l’objet de deux facturations en 2009 respectivement pour deux 4 écussons de calandre Delage et la construction d’un ensemble pare choc avant avec reprise d’un écusson central et de facturations annuelles régulières, comme exposant, de 2007 à 2012 pour le salon Rétromobile au Parc des expositions de la Porte de Versailles consacré « à la voiture et à la moto de collection», sans caractériser en quoi de telles circonstances seraient de nature à justifier d’un usage de la marque semi-figurative « Delage » n° 1 310 386 pour les produits couverts par celle-ci, à savoir les « véhicules » et «appareils de locomotion par terre, par air ou par eau », la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

4°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QU’une marque ne peut faire l’objet d’un usage sérieux pour des produits qu’à la condition d’être utilisée sur le marché, conformément à sa fonction essentielle de garantie d’origine, pour désigner les produits visés dans son enregistrement ; qu’en l’espèce, la cour d’appel a notamment affirmé que l’association Les amis de Delage aurait fait « publiquement » usage de la marque semi-figurative « Delage » n° 1 310 386 « par le biais en particulier de sa participation régulière à des salons et de son site internet » ; qu’en se déterminant par un tel motif, impropre à caractériser un usage de cette marque pour désigner, sur le marché, les produits couverts par celle-ci, la cour d’appel a violé l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

5°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE ne peut être prise en compte, dans l’appréciation de l’usage sérieux, l’utilisation de la marque effectuée par une association à but non lucratif dans un cadre interne ; qu’en prenant en considération, pour retenir l’existence d’un usage sérieux de la marque semi-figurative « Delage » n° 1 310 386, les bulletins de la revue biannuelle de l’association Les amis de Delage, sans rechercher, comme elle y était invitée (cf. conclusions d’appel de la société Denty, p. 35), si ces publications n’étaient pas destinées à un usage interne, pour les membres de l’association, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

6°) ALORS, SUBSIDIAIREMENT, QUE l’usage sérieux d’une marque s’entend d’un usage destiné à créer ou à maintenir des parts de marché au profit des produits couverts par la marque ; qu’en retenant que l’association Les amis de Delage aurait fait un usage sérieux de la marque semi-figurative « Delage » n° 1 310 386, désignant des « véhicules » et des « appareils de locomotion par terre, air ou eau », sans justifier en quoi les usages de ce signe qu’elle a relevés auraient été de nature à maintenir ou à créer des parts de marché sur le marché des véhicules d’occasion au profit de l’association Les amis de Delage, dont elle a elle-même constaté qu’elle ne pouvait exercer d’activité commerciale et que l’usage qu’elle faisait de ce signe était dénué de « visée économique à titre personnel », la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle ;

7°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QUE les juges du fond ne peuvent écarter la déchéance sans caractériser l’existence d’un usage sérieux de la marque au cours de la période de cinq années précédant l’assignation en déchéance, en tenant éventuellement compte de la période « suspecte » de trois mois visée à l’article L. 714-5, alinéa 4, du code de la propriété intellectuelle ; qu’en l’espèce, pour retenir l’existence d’un usage sérieux de la marque semi-figurative « Delage » n° 1 310 386, la cour d’appel a notamment relevé que le gérant de la société de carrosserie Auto Classique Touraine a indiqué qu’il serait intervenu pour la réfection d’éléments de quatre modèles de véhicules « Delage » « en particulier entre 2000 et 2004, 2003 et 2009 et depuis 2008, ces éléments étant confortés par des photographies jointes et deux devis correspondants de 2002 et 2007 », qu’un autre professionnel a attesté qu’il aurait travaillé pour la restauration « depuis 1992 » d’un chassis Delage ainsi que de six modèles de véhicules Delage, et que le gérant d’une société spécialisée dans l’ossature bois des véhicules a attesté qu’il aurait « restauré à l’origine une quinzaine de Delage de tous modèles », sans préciser à quelles dates ces restaurations seraient intervenues ; qu’en statuant par de tels motifs impropres à caractériser l’existence d’un usage sérieux de la marque pendant la période pertinente, comprise entre le 6 janvier 2007 et le 6 janvier 2012, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article L. 714-5 du code de la propriété intellectuelle

Une forme simple peut-elle constituer une marque communautaire ?

Tout signe peut-il constituer une marque, certes non comme les savent les avocats et le rappelle régulièrement ce blog, mais y aurait-il des signes dont les formes sont si banales qu’ils ne peuvent pas constituer une marque ? L’arrêt du 15 décembre 2016 du Tribunal de l’Union européenne illustre le propos. T‑678/15 et T‑679/15. L’arrêt est .

Deux marques sont demandées, elles portent sur des formes simples :

deux-marques-demandeesLes produits visés à ces demandes : « Produits pharmaceutiques ».

Que dit l’examinatrice de l’EUIPO (ancien OHMI) ?

Elle rejette les deux demandes d’enregistrement, au motif que les marques demandées étaient dépourvues de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, dès lors qu’elles évoquaient la forme des produits visés et, en tout état de cause, étaient des signes trop simples pour être distinctifs.

Recours du déposant.

La Chambre de recours rejette les deux recours.

Parmi les arguments pour rejeter ces demandes de marque :

–        dans le contexte des produits visés, les marques demandées étaient perçues comme représentant le contour stylisé d’une pastille ou d’une pilule pharmaceutique de forme ovale vue du dessus et latéralement, et ce même s’il ne s’agissait pas de reproductions fidèles ;

–        ces marques n’étaient pas « seulement trop simple[s ;] plutôt, » elles contenaient une série de composantes qui ne permettaient pas au consommateur de différencier les préparations pharmaceutiques portant les signes en cause des préparations d’autres fabricants ;

–        il était notoire que les produits pharmaceutiques commercialisés sous la forme de pilules, de comprimés et de pastilles présentent souvent une forme arrondie ou ovale, de sorte que les marques demandées ne divergeaient pas de manière significative de la norme ou des habitudes du secteur ;

Par son arrêt du 15 décembre 2016, le Tribunal de l’Union annule ces deux décisions de la Chambre de recours de l’EUIPO.

  • Le caractère distinctif minimal

37      Sans qu’il soit nécessaire de déterminer la position exacte prise par la chambre de recours sur la simplicité des marques demandées aux points 14 des décisions attaquées, il suffit de constater que, en tout état de cause, les signes en question ne présentent pas une simplicité telle qu’ils sont dépourvus du caractère distinctif minimal requis pour éviter le motif absolu de refus visé à l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009.

38      À cet égard, il convient de rappeler que, selon la jurisprudence, un signe d’une simplicité excessive et constitué d’une figure géométrique de base, telle qu’un cercle, une ligne, un rectangle ou un pentagone conventionnel, n’est pas susceptible, en tant que tel, de transmettre un message dont les consommateurs peuvent se souvenir, de sorte que ces derniers ne le considéreront pas comme une marque, à moins qu’il ait acquis un caractère distinctif par l’usage….. .

  • Un signe dont la forme géométrique n’est pas simple, n’est pas nécessairement distinctif

39      Cela étant, la constatation du caractère distinctif d’une marque au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 n’est pas subordonnée à la constatation d’un certain niveau de créativité ou d’imagination linguistique ou artistique de la part du titulaire de la marque. Il suffit que la marque permette au public pertinent d’identifier l’origine des produits ou des services visés par elle et de les distinguer de ceux d’autres entreprises…………..

40      En l’espèce, il est constant que les signes en cause ne représentent pas une figure géométrique. Cette circonstance ne suffit toutefois pas, en tant que telle, pour considérer qu’ils disposent du minimum de caractère distinctif nécessaire pour pouvoir être enregistrés en tant que marques de l’Union européenne.

41      En effet, encore faut-il qu’ils présentent des aspects facilement et immédiatement mémorisables par le public pertinent, qui permettraient à ces signes d’être appréhendés immédiatement comme des indications de l’origine commerciale des produits qu’ils visent .

42      À cet égard, il doit être relevé que les signes en cause, en raison de leur évocation à la fois de la lettre « c » et d’un croissant de lune, du jeu d’ombres et de lumières créé par les nuances de couleurs, du changement de l’épaisseur des courbes qui les constituent et de la légère torsion qu’elles présentent, ont des caractéristiques aptes à les individualiser aux yeux du public et répondent ainsi aux conditions visées par la jurisprudence rappelée au point 41 ci-dessus, ce qui leur confère le minimum de caractère distinctif nécessaire à leur enregistrement.

43      Au vu de tout ce qui précède, le moyen unique invoqué par la requérante doit être accueilli, sans qu’il soit nécessaire d’examiner ses autres arguments

 

 

Risque de confusion au regard des produits et services enregistrés ou sur la base des emplois réels de la marque ?

Comment apprécier le risque de confusion de l’action en contrefaçon de marque, l’est-il au regard des produits et des services enregistrés ou sur la base de ceux pour lesquels la marque est effectivement utilisée ?

L’arrêt du 21 décembre  2016 du Tribunal,  C‑654/15, , revient sur une question récurrente du droit des marques :

21      …… si, au cours de la période de cinq ans qui suit l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, la similitude des produits et des services en cause et, partant, l’existence d’un risque de confusion, au sens de l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, doivent être appréciées en tenant compte de l’ensemble des produits et des services pour lesquels cette marque a été enregistrée, ou, au contraire, sur la base uniquement des produits et des services pour lesquels le titulaire a déjà entamé un usage sérieux de ladite marque.

  • Les questions préjudicielles dont est saisie la Cour de Justice de l’Union européenne, sont posées par des juridictions suédoises qui ont rendu des décisions opposées.

Si la Cour considère que le  règlement communautaire n’a pas apporté de réponse formelle, elle retient la finalité de l’article 15 sur la déchéance.

22      Aux termes de l’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, le titulaire d’une marque de l’Union européenne est habilité à interdire à tout tiers, en l’absence de son consentement, de faire usage dans la vie des affaires d’un signe pour lequel, en raison de son identité ou de sa similitude avec cette marque et en raison de l’identité ou de la similitude des produits ou des services couverts par celle-ci et le signe, il existe un risque de confusion dans l’esprit du public.

23      Si cette disposition ne contient pas de précision quant à l’usage que le titulaire doit avoir fait de sa marque de l’Union européenne afin de pouvoir se prévaloir du droit exclusif conféré par celle-ci, l’article 15, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009 prévoit, en revanche, que dans l’hypothèse où, dans un délai de cinq ans à compter de son enregistrement, la marque de l’Union européenne n’a pas fait l’objet d’un usage sérieux dans l’Union, par le titulaire, pour les produits ou les services pour lesquels elle est enregistrée, ou si un tel usage a été suspendu pendant un délai ininterrompu de cinq ans, cette marque est soumise aux sanctions prévues par ce règlement, à moins que ce titulaire puisse se prévaloir de justes motifs pour le non-usage.

24      À cet égard, l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009 dispose que, dans une telle hypothèse et sous réserve des précisions ultérieures prévues par celui-ci, le titulaire de la marque de l’Union européenne est déclaré déchu de ses droits, sur demande présentée auprès de l’EUIPO ou sur demande reconventionnelle dans une action en contrefaçon. L’article 51, paragraphe 2, de ce règlement précise par ailleurs que, si la cause de déchéance n’existe que pour une partie des produits ou des services pour lesquels ladite marque est enregistrée, le titulaire n’est déclaré déchu de ses droits que pour les produits ou les services concernés.

25      En établissant à l’article 15, paragraphe 1, et à l’article 51, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009 une règle de déchéance de la marque de l’Union européenne pour défaut d’usage quinquennal, le législateur de l’Union a entendu, ainsi qu’il ressort du considérant 10 de ce règlement, soumettre le maintien des droits liés à la marque de l’Union européenne à la condition qu’elle soit effectivement utilisée. Cette condition s’explique par la considération qu’il ne serait pas justifié qu’une marque non utilisée fasse obstacle à la concurrence en limitant l’éventail des signes qui peuvent être enregistrés par d’autres en tant que marque et en privant les concurrents de la possibilité d’utiliser un signe identique ou similaire à cette marque lors de la mise sur le marché intérieur de produits ou de services identiques ou similaires à ceux qui sont protégés par la marque en cause ….

26      Il ressort du libellé et de la finalité de l’article 15, paragraphe 1, et de l’article 51, paragraphe 1, sous a), et paragraphe 2, du règlement n° 207/2009 que, jusqu’à l’expiration du délai de cinq ans après l’enregistrement de la marque de l’Union européenne, le titulaire ne saurait être déclaré déchu de ses droits ni pour une partie ni pour l’ensemble des produits ou des services pour lesquels cette marque est enregistrée. Ces dispositions confèrent ainsi au titulaire un délai de grâce pour entamer un usage sérieux de sa marque, au cours duquel il peut se prévaloir du droit exclusif conféré par celle-ci, au titre de l’article 9, paragraphe 1, de ce règlement, pour l’ensemble de ces produits et services, sans devoir démontrer un tel usage.

  • La décision :

L’article 9, paragraphe 1, sous b), du règlement (CE) n° 207/2009 du Conseil, du 26 février 2009, sur la marque [de l’Union européenne], lu en combinaison avec l’article 15, paragraphe 1, et l’article 51, paragraphe 1, sous a), de ce règlement, doit être interprété en ce sens que, au cours de la période de cinq ans qui suit l’enregistrement d’une marque de l’Union européenne, son titulaire peut, en cas de risque de confusion, interdire aux tiers de faire usage, dans la vie des affaires, d’un signe identique ou similaire à sa marque pour tous les produits et les services identiques ou similaires à ceux pour lesquels cette marque a été enregistrée, sans devoir démontrer un usage sérieux de ladite marque pour ces produits ou ces services.