Une remise de prix est-elle un divertissement ?

C’est la question soumise au Tribunal de l’Union à propos de l’organisation chaque année d’un évènement destiné à récompenser le meilleur footballeur professionnel de la saison. L’arrêt du 6 juillet 2022

Le Tribunal de l’Union s’est prononcé sur une action en déchéance portant sur :

–        classe 38 : « diffusion de programmes de télévision », « émissions télévisées », « transmission par satellite », « télématique » et « télévision par câbles » ;

–        classe 41 : « divertissement », « divertissement télévisé », « publication de livres, magazines, revues et journaux », « montage de programmes de télévision », « organisation et concours (divertissement) », « production de spectacles » et « production de films ».

La marque en cause : BALLON D’OR

On ne retiendra ici que la motivation du Tribunal pour retenir l’usage de la marque pour « divertissement », « divertissement télévisé » et « organisation et concours (divertissement) »,  et annuler la décision de la Chambre de recours qui en avait prononcé la déchéance.

Le rappel de la position de la Chambre de recours

48      S’agissant du premier grief, portant sur les services de « divertissement », de « divertissement télévisé » et d’« organisation et concours (divertissement) », relevant de la classe 41, la requérante fait valoir que la chambre de recours a conclu à tort que l’usage sérieux de la marque contestée n’était pas établi pour ces services, considérant qu’une cérémonie de remise de prix telle que celle organisée par elle-même ne relèverait pas du « divertissement »

Effectivement pour la Chambre de recours :

53      …….., elle s’est fondée sur le sens usuel du terme « divertissement » donné par le dictionnaire Collins, à savoir comme « consist[ant] en des représentations de pièces de théâtre et de films et des activités telles que la lecture et la télévision, qui donnent du plaisir aux gens ».

L’analyse du Tribunal

55      Enfin, il ressort de la note explicative de la huitième édition de la classification de Nice, invoquée par l’EUIPO, que la classe 41 comprend notamment « les services dont le but essentiel est le divertissement, l’amusement ou la récréation d’individus ».

56      En l’espèce, il ne saurait être valablement contesté que l’organisation d’une cérémonie de remise de prix telle que celle du concours « Ballon d’or » a comme objectif principal le divertissement. En effet, le public du concours « Ballon d’or » assiste, dans la salle où se tient la cérémonie, à la télévision ou sur Internet, à un moment de célébration au cours duquel les performances sportives d’une personne sont récompensées. Le concours « Ballon d’or » ne se limite pas à la remise du trophée en tant que telle. Comme l’a fait valoir la requérante, tout au long de la cérémonie, des discours sont prononcés par des personnalités du monde du football et des séquences vidéos de moments forts de football sont présentées. La requérante a également souligné, à juste titre, qu’elle investissait des sommes importantes pour l’organisation du concours ainsi que pour l’enregistrement (filmage) de la cérémonie en vue de sa diffusion à la télévision et sur Internet, laquelle vise à toucher une audience large. Ainsi, comme le soutient la requérante, un spectacle tel que celui que celle-ci offre, sur le marché, sous la marque contestée relève du divertissement.

57      L’argumentation de l’EUIPO, selon laquelle, dès lors que le concours « Ballon d’or » concerne le domaine du sport, car l’un des objectifs de l’évènement est de récompenser les performances footballistiques d’une personne en lui décernant le trophée du meilleur joueur de l’année, ce concours ne pourrait avoir comme but essentiel le divertissement, l’amusement ou la récréation d’individus, doit ainsi être rejetée.

58      En effet, le fait qu’un service ayant pour objectif de divertir le public soit fourni sous la forme d’un concours, y compris la remise d’un trophée afin de récompenser les performances sportives d’une personne, ne lui ôte pas sa nature essentiellement récréative et divertissante.

59      Partant, la chambre de recours a commis une erreur en considérant qu’une cérémonie de prix telle que celle du concours « Ballon d’or » ne relevait pas de la définition du divertissement.

Toutefois au-delà de l’anecdote, cette décision souligne la  difficulté d’appréhender des libellés qui a priori comme ici s’appliquent au même événement, la déchéance ayant été prononcée pour les services de la classe 38, tout en considérant  la remise du prix  principalement non comme une sélection mais comme un divertissement. On a vu que pour l’EUIPO,  thèse non suivie par le Tribunal, que le football est d’abord un sport pour les joueurs et ensuite un divertissement pour les spectateurs. 

Une action en déchéance ne nuit-elle jamais au titulaire de la marque ?

L’action en déchéance de marque devant l’Inpi n’est pas soumise à la condition d’intérêt à agir.

Pourtant la décision de l’INPI du  10 septembre 2021 déclare irrecevable une telle demande en la qualifiant d’abus de droit.

Le dernier n° du PIBD ( 1178-III-6) résume ainsi cette décision :

Le contrat de franchise prévoyait un droit exclusif d’utiliser la marque contestée par la présente demande en déchéance qui avait été accordé au franchisé (le demandeur) pour la durée du contrat. Ce dernier n’a jamais été contesté par le demandeur qui a lui-même exploité la marque litigieuse. Il a introduit sa demande en déchéance à la suite d’un jugement du tribunal de commerce de Paris l’ayant condamné pour fautes constitutives de manquements graves au contrat de franchise. Cela démontre sa volonté de tirer un avantage indu de sa demande en déchéance, à savoir nuire au titulaire de la marque contestée. L’intention malveillante du demandeur se traduit également par l’existence d’une procédure devant le conseil de Prud’hommes à l’encontre du titulaire de la marque contestée. L’ensemble de ces actions permettant de caractériser un abus du droit d’agir du demandeur. 

La formalisation des demandes en justice ne va-t-elle pas modifier profondément le rôle des parties au procès ?  

En quelques années, la formalisation des demandes en justice s’est imposée aux avocats.

La propriété industrielle n’y échappe pas. Au fur et à mesure des réformes, les actions en matière de brevet, de marque, et de modèle qu’elles soient en appel, ou devant le tribunal ou dès le stade de la requête aux fins de saisie-contrefaçon se voient soumises à ces règles.

Par cette formalisation, il n’est pas seulement question de structuration des requêtes, des assignations ou encore des conclusions. L’enjeu est tout autre comme le montre l’arrêt de la Cour de justice du 10 mars 2022. L’ arrêt

Cet arrêt intervient sur une question préjudicielle d’une juridiction allemande en matière de déchéance de marque. Une marque nationale comme une marque européenne sont susceptibles d’être frappées de déchéance, c’est-à-dire de disparaitre, pour défaut d’usage sérieux de ce signe pour les produits et services visés à son enregistrement.

A l’engagement de l’action en déchéance, le demandeur doit-il apporter dans l’exposé des faits les preuves de ses recherches qui lui permettent d’étayer sa demande, ou bien la charge de la preuve qui ici porte sur le non-usage de la marque ne pèse que sur le titulaire de la marque ?

La sanction du droit allemand est particulièrement sévère comme le rappelle la décision de la Cour de justice.

20      À cet égard, la juridiction de renvoi fournit des précisions sur la distinction, en droit allemand, entre la charge de l’exposé des faits et la charge de la preuve. La charge de l’exposé des faits impose à une partie d’être aussi concrète que possible dans ses affirmations, au risque de perdre le procès si elle ne s’acquitte pas de cette obligation. Le droit procédural allemand impose également à la partie défenderesse la charge d’un exposé des faits secondaire. Chacune des parties est tenue de faire des recherches dans son propre champ d’action. Ces diverses charges et obligations sont distinctes de la charge de la preuve. La charge de l’exposé des faits se différencie de la charge de la preuve en ce sens que chaque partie est tenue de présenter des observations sur les faits dont elle a connaissance ou qui peuvent être recherchés en fournissant un effort raisonnable.

 La réponse donnée par la Cour de justice.

L’article 19 de la directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil, du 16 décembre 2015, rapprochant les législations des États membres sur les marques, doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à une règle procédurale d’un État membre qui, dans une procédure de demande de déchéance pour nonusage d’une marque, impose à la partie demanderesse d’effectuer une recherche sur le marché concernant l’éventuel usage de cette marque par son titulaire et de présenter à cet égard, dans la mesure du possible, des observations étayées à l’appui de sa demande.

 

 

 

Déchéance de marque et accord de non-contestation de marque .

Peut-on contractuellement renoncer à engager une action en déchéance de marque ?

C’est la question posée par la Cour fédérale de justice allemande (Bundesgerichtshof) à la Cour de justice par une décision préjudicielle de février 2021. C’est là

Une question analogue se pose en matière de brevet mais en des termes différents depuis la loi de 2019 sur l’imprescriptibilité de l’action en nullité du brevet. Par là

Actions en nullité et en déchéance de marque : l’efficacité de l’INPI

Chacun se souvient que des différentes modifications législatives apportées aux marques, celle qui fut la plus commentée par les professionnels créait devant l’INPI des procédures en nullité et en déchéance de marque assorties d’une exclusivité en faveur de l’office.

Au 1er avril 2020 sont entrées en vigueur ces deux nouvelles procédures administratives ( Elles sont amplement présentées ici ).

30 décisions ont été rendues et publiées depuis.  Premières impressions.

Comme pour répondre aux interrogations des professionnels, la première décision intervient sur une action en déchéance de marque dont le demandeur fait l’objet d’une action en contrefaçon engagée antérieurement devant un tribunal par le titulaire de cette même marque. Le 10 juillet 2020, l’INPI déclare irrecevable cette demande. Primauté de l’instance judiciaire donc, puisque devant le tribunal antérieurement saisi, la demande en déchéance aurait dû être présentée.

Autre motif d’irrecevabilité d’une demande en nullité reconnu par deux décisions de l’Office,  la marque contestée n’est pas encore enregistrée.

Mais ce ne sont là finalement que des péripéties par rapport à l’enseignement essentiel de ces 30 premières décisions de l’INPI.

Leur rapidité. Pour la plus grande partie d’entre elles, ces décisions sont rendues dans un délai compris entre 5 et 7 mois, ce qui est un succès au regard des durées accordées au titulaire de la marque pour se manifester.  Avec la pandémie tenir de tels délais constituer une prouesse.

Exceptée dans une seule affaire, le titulaire de la marque n’a pas apporté d’argumentaire pour combattre la demande en nullité ou en déchéance. Et toutes les demandes en nullité ou en déchéance examinées, sont acceptées dans leur totalité ou partiellement.

Autrement dit,  ces procédures administratives montrent leur utilité pour faire disparaître les marques qui ne sont pas exploitées ou dont les titulaires ne voient plus d’intérêt à leur maintien.

Antérieurement à la création de ces procédures administratives, obtenir les mêmes résultats pour les demandeurs aurait nécessité de leur part l’engagement de procédures judiciaires et les aurait exposés à des délais beaucoup plus longs et à des frais bien supérieurs.

Seule ombre à ce tableau, le faible nombre de ces actions. En 2020, par mois, elles se comptaient très rarement au-dessus de 10.