Dépôt de marque communautaire et revendication de l’ancienneté d’une précédente marque nationale

L’arrêt rendu par le Tribunal, le 19 janvier 2012, dans l’affaire T‑103/11, Tiantian Shang, c OHMI, porte sur le signe dont l’ancienneté peut être revendiquée au moment du dépôt de la marque communautaire.

  • 26 juin 2009 : dépôt par Mme Tiantian Shang de la marque –        classe 18 : « Cuir et imitations du cuir, produits en ces matières non compris dans d’autres classes ; peaux d’animaux ; malles et valises ; parapluies, parasols et cannes ; fouets et sellerie » ;

–        classe 25 : « Vêtements, chaussures, chapellerie ».

  • La déposante revendique l’ancienneté de la marque italienne

  • L’examinateur refuse et la deuxième chambre de recours de l’OHMI rejette le recours.

Pour l’OHMI, les deux marques ne sont pas « identiques dans la mesure où leurs représentations graphiques sont différentes, non seulement en ce qui concerne les caractères typographiques de l’élément verbal « justing », mais aussi au regard de leurs éléments figuratifs et de la position des différentes composantes des signes ». D’où le recours de la déposante devant le Tribunal.

  • la décision du Tribunal

Tout d’abord, le rappel des trois conditions :

– « la marque nationale antérieure et la marque communautaire demandée doivent être identiques ;

– les produits ou services de la marque communautaire demandée doivent être identiques à, ou contenus dans, ceux visés par la marque nationale antérieure ;

– le titulaire des marques en cause doit être le même. »

Seul l’examen de la 1ère condition nous intéresse ici

Les deux marques figuratives sont composées d’un élément verbal « justing » et d’éléments figuratifs. À l’instar de la chambre de recours au point 12 de la décision attaquée, il y a lieu de noter que l’élément verbal « justing » est reproduit en caractères typographiques différents selon les marques. Dans la marque nationale antérieure, les caractères utilisés sont des caractères d’imprimerie dans une police normale, alors que, dans la marque communautaire demandée, des caractères gothiques ont été utilisés, conférant au terme « justing » une caractéristique graphique et stylistique précise.

22 En outre, les éléments figuratifs des deux marques sont différents. En effet, dans la marque nationale antérieure, figurent, de part et d’autre de l’élément verbal, les symboles représentant les deux sexes, alors que dans la marque communautaire demandée, l’élément figuratif, positionné au-dessus de l’élément verbal, représente un anneau entouré de rayons contenant la lettre « j ».

23 Il y a donc lieu de conclure que c’est à bon droit que la chambre de recours a considéré que les marques n’étaient pas identiques et, dès lors, qu’il ne pouvait être fait droit à la revendication de l’ancienneté de la marque nationale antérieure pour la marque communautaire demandée.

24 À cet égard, l’argument de la requérante tendant à expliquer les différences entre les marques par un « processus d’évolution graphique » ne saurait être de nature à remettre en cause cette conclusion. En effet, les marques n’auraient pu être considérées comme identiques que si, selon la jurisprudence rappelée au point 16 ci-dessus, les différences avaient été si insignifiantes qu’elles seraient passées inaperçues aux yeux du consommateur, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, du fait d’une représentation graphique des deux marques très différente.

Dépôt de marque communautaire, des questions de procédure à l’OHMI à propos du délai de 4 mois pour le recours contre la décision de la division d’opposition, le Tribunal et la Cour puis retour devant le Tribunal

L’arrêt du 19 janvier 2012, C‑53/11 P, de la CJUE illustre la sévérité des règles de procédure devant l’OHMI, mais aussi que tout n’est jamais totalement perdu.

2 janvier 2006 : dépôt de la demande de marque par Aurelio Muñoz Molina sur le signe verbal R10.

24 juillet 2006 : publication de la demande de marque.

1ère étape : l’opposition sur la base d’une marque non enregistrée mais la preuve de ce droit n’est pas apportée dans le délai

24 octobre 2006 : DL Sports & Marketing forme opposition sur la base d’une marque non enregistrée

28 novembre 2006 : la division d’opposition accorde à DL Sports & Marketing un délai de quatre mois, afin, notamment, de prouver l’existence et la validité du droit antérieur invoqué.

29 mars 2007 : DL Sports & Marketing demande une prorogation du délai, laquelle lui est accordée le 8 juin 2007, jusqu’au 9 août 2007.

24 octobre 2007 : la division d’opposition constate qu’aucun élément n’a été présenté à l’appui de l’opposition.

2ème étape : le changement d’opposant que l’OHMI ne reconnaît pas dans la procédure d’opposition

31 octobre 2007 : le conseil de Nike informe la division d’opposition que, par convention du 20 juin 2007, DL Sports & Marketing  a cédé à Nike la propriété de plusieurs marques et droits de propriété industrielle . Le conseil de Nike indique qu’il a reçu du nouveau titulaire du droit antérieur l’instruction de poursuivre la procédure d’opposition et demande, dès lors, à figurer dans cette procédure en qualité de représentant.

19 février 2008 : la division d’opposition rejette l’opposition au motif que DL Sports & Marketing n’avait pas étayé dans le délai imparti l’existence du droit antérieur.

28 mars 2008 : Nike forme un recours auprès de l’OHMI, au titre des articles 57 à 62 du règlement n° 40/94 […], contre la décision de la division d’opposition.

1ère Chambre de recours de l’OHMI : rejet du recours comme irrecevable au motif que Nike n’a pas fourni la preuve de son statut de partie à la procédure d’opposition et, par conséquent, que cette société n’est pas habilitée à introduire un recours contre la décision de la division d’opposition.

3ème étape : le Tribunal annule la décision de l’OHMI

6 avril 2009 : Nike introduit un recours devant le Tribunal pour voir déclarer recevable son recours devant la première chambre de recours de l’OHMI.

24 novembre 2010 : le Tribunal annule la décision de l’OHMI, dont on avait parlé ici,  en suivant l’argumentation de Nike qui disait que la décision litigieuse avait été adoptée :

– d’une part, en violation de ses droits de la défense, dès lors que cette décision était fondée sur une interprétation de la convention de cession sur laquelle Nike n’a pas pu présenter d’observations et,

– d’autre part, en violation, notamment, de la règle 31, paragraphe 6, du règlement n° 2868/95, en ce que Nike n’avait pas eu l’opportunité de corriger les irrégularités concernant la preuve du transfert du droit antérieur invoqué.

4ème étape : pourvoi de l’OHMI et la décision de la Cour

Deux approches sont possibles.

  • Ou bien le délai donné à l’opposant ne peut pas être prorogé

La règle 49, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 2868/95, qui contient, notamment, des modalités d’application desdits articles 58 et 59, énonce des règles spécifiques afférentes à l’appréciation de la recevabilité du recours.

48      À cet égard, s’agissant du rejet du recours pour irrecevabilité et des modalités de régularisation en présence d’un éventuel motif d’irrecevabilité lié, notamment, au non-respect des conditions prévues aux mêmes articles, la règle 49 du règlement n° 2868/95 énonce, à son paragraphe 1, que, si le recours ne remplit pas les conditions prévues, notamment, à l’article 58 du règlement n° 40/94, la chambre de recours le rejette comme irrecevable, à moins qu’il n’ait été remédié à toutes les irrégularités constatées avant l’expiration du délai correspondant fixé à l’article 59 de ce règlement.

49      Or, ledit article 59 prévoit deux délais différents, ainsi qu’il est exposé au point 46 du présent arrêt. Afin de prévoir une possibilité réelle de remédier aux irrégularités visées à ladite règle 49, paragraphe 1, il convient de prendre en compte le délai de quatre mois à compter du jour de la notification de la décision attaquée.

50      Non seulement ledit paragraphe 1 ne prévoit pas, selon son libellé, la possibilité pour l’OHMI d’impartir un délai supplémentaire à celui qui intente le recours afin de remédier à une irrégularité liée à la preuve de la qualité pour agir, mais en outre le paragraphe 2 de cette même règle 49 exclut une telle possibilité.

51      En effet, ce dernier paragraphe dispose que, si la chambre de recours constate que le recours ne satisfait pas à d’autres dispositions du règlement n° 40/94 ou à d’autres dispositions des règles contenues dans le règlement n° 2868/95, et notamment à celles prévues à la règle 48, paragraphe 1, sous a) et b), de ce règlement, elle en informe le requérant et l’invite à remédier aux irrégularités constatées dans le délai qu’elle lui impartit. Si le recours n’est pas régularisé dans le délai fixé, la chambre de recours le rejette comme irrecevable.

52      Il résulte clairement de la référence à «d’autres dispositions», figurant à la règle 49, paragraphe 2, du règlement n° 2868/95, que la chambre de recours de l’OHMI ne peut accorder un délai supplémentaire dans le cas d’une irrégularité liée au non-respect des dispositions expressément mentionnées au paragraphe 1 de cette règle, notamment à l’article 58 du règlement n° 40/94.

  • Ou bien il existe un droit à être entendu ce qui nécessite qu’un délai soit accordé

53      Cette impossibilité d’accorder un délai supplémentaire ne met pas en échec le droit d’être entendu énoncé à l’article 73 du règlement n° 40/94 selon lequel les décisions de l’OHMI ne peuvent être fondées que sur des motifs sur lesquels les parties ont pu prendre position. En effet, ce droit ne commande pas que, avant d’adopter sa position finale sur l’appréciation des éléments présentés par une partie, la chambre de recours de l’OHMI soit tenue d’offrir à cette dernière une nouvelle possibilité de s’exprimer à propos desdits éléments (voir, en ce sens, ordonnance du 4 mars 2010, Kaul/OHMI, C 193/09 P, points 58 et 66).

  • La solution

Il s’ensuit que, en l’occurrence, en faisant abstraction de l’applicabilité de la règle 49, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95 ainsi qu’en décidant que la première chambre de recours de l’OHMI aurait dû, par application de la règle 50, paragraphe 1, de ce règlement ainsi que, par analogie, de la règle 31, paragraphe 6, dudit règlement et des directives de l’OHMI relatives à la procédure d’opposition, dans leur point cité au point 17 du présent arrêt, mutatis mutandis, donner à Nike l’opportunité de présenter ses observations ou de produire des preuves supplémentaires de nature à démontrer le transfert du droit antérieur qu’elle avait invoqué pour justifier de sa qualité pour agir, le Tribunal a violé l’article 58 du règlement n° 40/94 ainsi que la règle 49, paragraphes 1 et 2, du règlement n° 2868/95.

…., il convient de constater que, en l’occurrence, l’application de la règle 49, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95, par la première chambre de recours de l’OHMI est en conformité avec la règle 50, paragraphe 1, premier alinéa, de ce règlement selon laquelle les dispositions relatives aux procédures devant l’instance qui a rendu la décision attaquée sont applicables mutatis mutandis à la procédure de recours, sauf disposition contraire. En effet, la règle 49 du même règlement constitue précisément une telle disposition contraire dans la mesure où elle vise spécifiquement à réglementer les modalités de régularisation en présence d’un motif d’irrecevabilité lié à la justification du statut de partie devant la chambre de recours de l’OHMI lors de l’introduction du recours. De ce fait, elle exclut, à cet égard, l’application mutatis mutandis d’autres dispositions, telles que la règle 31, paragraphe 6, dudit règlement, relatives aux procédures devant l’instance qui a rendu la décision attaquée.

La Cour annule la décision du Tribunal.

Mais l’affaire est-elle terminée ? Non, car Nike avait avancé d’autres moyens que le Tribunal n’avait pas examinés, l’examen d’un seul l’avait conduit à cette annulation.

Conformément à l’article 61, premier alinéa, seconde phrase, du statut de la Cour de justice de l’Union européenne, cette dernière, en cas d’annulation de la décision du Tribunal, peut renvoyer l’affaire devant celui-ci pour qu’il statue. En l’occurrence, il résulte de ce qui précède que l’arrêt attaqué doit être annulé en tant que, par celui-ci, le Tribunal, en violation de l’article 58 du règlement n° 40/94 et de la règle 49 du règlement n° 2868/95, a jugé que la première chambre de recours de l’OHMI, dans la décision litigieuse, a violé les règles 31, paragraphe 6, et 50, paragraphe 1, du règlement n° 2868/95 en déclarant irrecevable le recours formé par Nike. Étant donné que le Tribunal n’a pas examiné le quatrième moyen présenté par Nike, portant sur une erreur d’appréciation de l’acte de cession du droit antérieur invoqué, il y a lieu de renvoyer l’affaire devant le Tribunal et de réserver les dépens.

5ème étape : une prochaine audience devant le Tribunal.

 

Notons cette curieuse situation :

Nike est hors délai pour justifier de sa titularité sur ce droit antérieur,

– Nike peut contester devant le Tribunal l’appréciation faite par l’OHMI de l’acte de cession par lequel elle a acquis ce droit antérieur.

Documents sociaux, avis de convocation aux Assemblées Générales, Brochures de présentation des sociétés, documents de référence, existe-il des droits d’auteur ou un savoir-faire spécifique sur ceux-ci ?

Les circonstances de l’arrêt du 12 janvier 2012 de la Cour de Cassation sont assez rares pour y consacrer cet article.

T et G confient à L la réalisation des avis de convocation aux assemblées générales, des brochures de présentation de ces assemblées, et la réalisation des documents de référence.

Puis pour l’exercice suivant, T et G choisissent R.

L engage contre R une action en contrefaçon de droit d’auteur en invoquant le régime de l’œuvre collective et en concurrence déloyale.

La Cour d’appel rejette ces demandes, d’où  le pourvoi en cassation de L qui est également rejeté par l’arrêt du 12 janvier de la Cour de cassation.

 

  • Pour la Cour d’appel comme pour la Cour de Cassation, L ne détient aucun droit d’auteur sur ces documents d’informations

 

L invoquait la présomption de titularité des droits d’auteur de L113-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, dont le principe est rappelé par la Cour de cassation « en l’absence de revendication du ou des auteurs, l’exploitation d’une œuvre par une personne morale fait présumer, à l’égard des tiers recherchés pour contrefaçon, que cette personne est titulaire sur l’œuvre, qu’elle soit collective ou non, du droit de propriété incorporelle de l’auteur« 

Cette présomption est écartée parce que T et G avaient divulgué les documents en cause sous leur propre nom. N’est-ce  pas le propre des documents sociaux ?

Cette difficulté, L semblait bien en avoir connaissance, puisqu’elle invoquait « les devis et factures produits » pour prétendre avoir « exploité et commercialisé les documents litigieux auprès des sociétés T  et G avant que ces dernières ne les diffusent, et qu’elles ne revendiquent pas de droit d’auteur »

Le moyen est rejeté car :

– L n’a pas démontré « que les oeuvres collectives alléguées aient été créées à son initiative et sous sa direction »

– et, les documents financiers en cause ont été diffusés et exploités par T et G sous leur propre nom,

 

  • Le rejet des demandes de L en concurrence déloyale

 

Que restait-il à L  pour alimenter ce motif ?

A la lecture de l’arrêt du 12 janvier, L, semble-t-il,  a eu quelques difficultés à identifier et à individualiser sa contribution puisque celle-ci a été limitée par la cour d’appel à « la réalisation des mises en page« .

Pour la réalisation des mises en page,   » la mise en œuvre d’un savoir-faire » a été écartée, car L n’a pas rapporté « la preuve ni la notoriété du savoir-faire invoqué, ni des investissements réalisés pour conférer à celui-ci une valeur économique, ni de son appropriation délibérée par la société R « .

 

Conflit entre marque, nom commercial, dénomination sociale, enseigne et nom de domaine, l’impact de l’ancienneté de l’usage retenu par l’arrêt de la Cour de Paris du 4 janvier 2011

Le 4 janvier 2011, l’arrêt rendu par la Cour de Paris illustre l’enchevêtrement des différents droits de propriété industrielle, marque , nom commercial, dénomination sociale, enseigne et nom de domaine.

 

Brièvement, les faits  et le jugement

 

Une société intervenant dans le secteur de l’hôtellerie et de la restauration est mise en liquidation judiciaire. La vingtaine d’établissements qu’elle détenait sont soit cédés à des tiers soit conservés, le portefeuille de marques connaît les mêmes aléas.

Un de ces tiers, la société ingess Ingénerie et Gestion,  acquiert les marques communautaires et les marques françaises :

– marque communautaire semi-figurative no 629055 « Arcotel accueil routier caristes-Chaîne d’Hôtels et Restaurants des Centres Routiers », déposée à l’OHMI le 12 septembre 1997 pour désigner notamment des services en classes 35 et 42 à savoir publicité et affaires, hôtellerie, restauration, bar, réservation de chambres d’hôtel,

– marque communautaire semi-figurative no 629063 « Arcotel Trucks Center » déposée à l’OHMI le 12 septembre 1997 pour désigner notamment des services en classes 35 et 42 à savoir publicité, restauration (alimentation), hébergement temporaire,

– marque française semi-figurative no 94514147 « Arcotel Trucks Center » déposée le 1er avril 1994 en classes 35 et 43 pour désigner notamment les services de publicité, restauration (alimentation), hébergement temporaire, régulièrement renouvelée le 2 mars 2004,

– marque française semi-figurative « Arcotel Restaurant » no 08 3 568 099 déposée à l’INPI le 7 avril 2008 en classes 35, 39 et 43 pour désigner notamment les services de transport, organisation de voyages, services de restauration (alimentation) et hébergement temporaire service de bar et service hôtelier,…,

Ce tiers engage une action en contrefaçon contre la société Hôtelière Arcotel Mulhouse A 36 lui reprochant l’emploi de « Arcotel » :

– dans sa dénomination sociale, dans son nom commercial et à titre d’enseigne pour désigner des services proposés dans l’hôtel-restaurant qu’elle exploite à Sausheim

– et à titre de nom de domaine d’un site internet accessible à l’adresse arcotel. fr

Le Tribunal de Grande Instance de Paris rejette toutes les demandes.

 

La décision d’appel


  • Le rejet des demandes en contrefaçon de marque

 

La Cour en analysant l’historique de l’emploi des termes litigieux, nom commercial, dénomination sociale et enseigne, les faits remonter à une date antérieure à celle du premier dépôt de marque. « la société sogecer et cie devenue seras puis société Hôtelière Arcotel Mulhouse A36 a fait un usage public et continu du terme arcotel dans son nom commercial depuis 1986 jusqu’en 1993 ainsi que cela ressort des lettres commerciales ou administratives de toute nature échangées avec divers correspondants (pièces no 5 à 16 versées au débat par les intimés) » ;

Et les juges appliquent l’article L713-6 du Code de la propriété intellectuelle :

« L’enregistrement d’une marque ne fait pas obstacle à l’utilisation du même signe ou d’un signe similaire comme :

a) Dénomination sociale, nom commercial ou enseigne, lorsque cette utilisation est soit antérieure à l’enregistrement,

Or, son dernier alinéa prévoit  aussi : « Toutefois, si cette utilisation porte atteinte à ses droits, le titulaire de l’enregistrement peut demander qu’elle soit limitée ou interdite. »

Sur cette demande de limitation ou d’interdiction, la Cour de Paris oppose également l’ancienneté de l’emploi et ses conséquences :

« …l’atteinte alléguée par la société ingess ne justifie pas d’interdire à la société Hôtelière Arcotel Mulhouse A36 de faire usage dans sa dénomination sociale, son nom commercial et son enseigne du terme arcotel qu’elle emploie publiquement depuis vingt-cinq ans et par lequel elle est connue de ses fournisseurs, de ses clients, des services administratifs et de tous ses partenaires ;

Que la demande d’interdiction présentée par la société Ingess sera en conséquence rejetée ;

Il n’y a donc rien d’automatique dans l’application de l’article L713-6 du Code de la Propriété Intellectuelle.

 

  • Mais le transfert du nom de domaine est ordonné pour arcotel.fr mais pas pour arcotel-mulhouse.fr

 

La société Hôtelière Arcotel Mulhouse A36 a déposé le 12 octobre 2006 le nom de domaine « arcotel. fr »

L’emploi du nom de domaine est ainsi rapporté dans cet arrêt : « pour toute demande d’information, à « informations @ arcotel. fr », pour toute question commerciale, à « commercial @ arcotel. fr », pour les demandes de réservation, à « réservation @ arcotel. fr » et pour toute demande d’information sur l’accueil des groupes à « groupes @ arcotel. fr ».

L’article invoqué : R. 20-44-45 du Code des Postes et des Télécommunications Electroniques : « Un nom identique ou susceptible d’être confondu avec un nom sur lequel est conféré un droit de propriété intellectuelle par les règles nationales ou communautaires ou par le présent code ne peut être choisi pour nom de domaine, sauf si le demandeur a un droit ou un intérêt légitime à faire valoir sur ce nom et agit de bonne foi » ;

Reproduisons la décision et la motivation de la Cour :

« …eu égard à l’ancienneté de l’usage du nom commercial et de l’enseigne de la société Hôtelière Arcotel Mulhouse A36, cette dernière conserve la faculté de faire usage du signe arcotel dans la mesure où il est inséparable de la fonction de désignation de l’établissement hôtelier qu’elle exploite à Mulhouse-Sausheim, il n’en reste pas moins que le choix de ce signe dans le nom de domaine « arcotel. fr », dès lors qu’il n’est plus associé à cet établissement, induit un risque de confusion avec le même signe sur lequel la société ingess possède, à titre de marque, un droit de propriété intellectuelle ;

Considérant qu’il en résulte que la société ingess est fondée à demander le transfert à son profit du nom de domaine « arcotel. fr » initialement déposé par la société seras ; que sa demande à cette fin sera accueillie ; que sa demande de transfert à son profit du nom de domaine « arcotel-mulhouse. fr » sera en revanche rejetée ;

Résultat :

  1. le nom de domaine « arcotel. fr » est transféré
  2. le nom de domaine« arcotel-mulhouse. fr » n’est pas transféré

La différence entre les deux noms de domaine, le second conserve l’association avec le nom commercial ou l’enseigne de l’établissement dont l’origine remonte à une date antérieure à celles de marques invoquées.

Indemnisation des préjudices pour des actes de contrefaçon, comment effectuer le calcul des dommages et intérêts en cas d’expertise infructeuse : les dommages et intérêts forfaitaires et le rôle de l’avocat

Sur quelle base calculer les dommages et intérêts ? Cette question si elle se pose naturellement au juge dans l’instance en contrefaçon quand après avoir retenu  l’existence des actes de contrefaçon ,  il doit en fixer l’indemnisation pour le titulaire des droits, interpelle la partie poursuivie en contrefaçon à la réception de l’assignation. Le titulaire des droits, lui aussi,  a sans doute interrogé son avocat avant d’engager la procédure. A cette question, l’avocat, on le voit,  est interrogé à de multiples occasions mais il n’a pas, le plus souvent,  les éléments financiers pour y répondre de manière précise.

 

Un arrêt intéressant a été rendu le 4 janvier 2012 par la Cour de Paris. Cet arrêt est intervenu en matière de contrefaçon de dessins protégés par les dispositions du Code sur la propriété littéraire et artistique.

  • Un jugement du Tribunal de Grande Instance de Bobigny condamne une société pour des actes de contrefaçon de dessins. Le tribunal ordonne une expertise.
  • Lors de l’expertise, selon l’arrêt, la société condamnée ne fournit pas à l’expert tous les documents que celui-ci a demandés.
  • Le Tribunal retenant que « que la société défenderesse n’avait pas communiqué à ce dernier les éléments objectifs probants nécessaires à l’accomplissement de sa mission et » a « procédé en conséquence à une évaluation forfaitaire du préjudice de M. X…, fixée à 25. 000 euros ».

La société fait appel de ce jugement.

L’arrêt du 4 janvier ne porte que sur l’appel de la condamnation financière, « cette société faisant valoir, en synthèse, que la preuve n’est rapportée d’aucune exploitation commerciale des produits contrefaisants » ;

Le problème posé : en l’absence de coopération de la partie condamnée pour produire les documents demandés lors de l’expertise, comment fixer les dommages et intérêts ?

La solution : le montant forfaitaire

La Cour de Paris rappelle des dispositions du Code qui autorisent le caractère forfaitaire des dommages et intérêts. L’article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle dispose : « pour fixer les dommages intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subis par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au droit et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l’atteinte.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. » ;

La Cour procède en trois étapes :

  • La Cour vérifie que la société condamnée n’a fait aucune diligence sérieuse lors de l’expertise : « Considérant que le tribunal, ayant notamment relevé dans les motifs de son jugement que ni les factures d’achat ni les factures de vente communiquées à l’expert par la société ……ne comportaient une référence quelconque, en a exactement déduit qu’elle n’avait fait aucune diligence sérieuse pour contribuer à la mesure d’instruction et permettre à l’expert d’évaluer la masse contrefaisante ;
  • La Cour retient que le Tribunal a appliqué le montant forfaitaire demandé par le titulaire des droits : « une évaluation forfaitaire du préjudice subi par M. X…, conformément à la demande de celui-ci ».
  • En appel, la société condamnée apporte-t-elle des éléments financiers complémentaires ?

Non, elle se limite à prétendre à « l’absence totale d’exploitation commerciale des produits contrefaisants ». Pour la Cour cette attitude « met au contraire en évidence la réalité d’une telle exploitation et le soin apporté par cette même société a en dissimuler l’étendue » ;

La Cour confirme le jugement et ajoute 5 000 Euros aux montants indemnitaires retenus par le Tribunal.