Action en déchéance d’une marque communautaire tridimensionnelle employée avec une marque verbale « normale »

De l’enregistrement d’une marque communautaire sur une forme tridimensionnelle, ce blog en parle souvent, mais l’arrêt du 24 septembre 2015 intervient sur la preuve de son exploitation lors d’une action en déchéance devant l’OHMI. L’arrêt est ici.

La marque communautaire tridimensionnelle enregistrée porte sur le signe :

marque déchéance action forme fourneau potager 24 septembre 2015Pour : « Potagers (fourneaux) »

– 23 février 2012 : demande en déchéance.

– 3 juillet 2013 : rejet de la demande en déchéance.

– 7 février 2014 : la Chambre de recours rejette le recours.

L’arrêt du 24 septembre 2015 rejette également le recours, mais cet arrêt se limite à examiner l’impact de l’emploi d’une marque verbale avec cette marque tridimensionnelle lors de l’action en déchéance pour défaut d’usage sérieux.

Sur l’utilisation d’une autre marque avec la marque dont la déchéance est demandée.
  • De quoi s’agit-il ?

6 Il est constant que, à la différence de la marque en cause, laquelle est exclusivement constituée par la forme d’un fourneau et ne contient aucun élément verbal, tous les fourneaux représentés sur les éléments de preuve de l’usage sérieux de ladite marque (factures, barèmes de prix, catalogues, extraits de publications ou de brochures), produits par le titulaire de la marque en cause au cours de la procédure administrative devant l’OHMI, sont en outre revêtus de l’élément verbal « voxka » en italique, apparaissant en relief sur une plaque métallique placée sur la partie supérieure de la face avant, au-dessus de l’entrée de la chambre de combustion.

  • La position du requérant

25 ……. la marque en cause n’a pas été utilisée seule, mais conjointement avec l’élément verbal distinctif « voxka », apposé de façon bien visible sur les produits en cause. Au départ de cette prémisse, le requérant soutient, d’une part, qu’une marque tridimensionnelle constituée exclusivement par la forme d’un produit, sans aucun élément verbal additionnel, ne remplit plus sa fonction essentielle d’indication de l’origine commerciale des produits en cause et ne peut dès lors faire l’objet d’un usage sérieux lorsqu’il lui est adjoint un tel élément verbal distinctif. Le requérant soutient, d’autre part, que l’ajout d’un tel élément verbal à une telle marque altère nécessairement le caractère distinctif de celle-ci dans la forme sous laquelle elle a été enregistrée.

  • Le Tribunal pose le principe d’un examen des différents signes utilisés

33 Contrairement à ce que soutient l’OHMI, il convient, aux fins d’un tel constat, de tenir compte également des qualités intrinsèques et, en particulier, du degré plus ou moins élevé de caractère distinctif de la marque antérieure uniquement utilisée en tant que partie d’une marque complexe ou conjointement avec une autre marque. Plus le caractère distinctif de celle-ci est faible, en effet, plus il sera aisément altéré par l’adjonction d’un élément lui-même distinctif, et plus la marque en question perdra son aptitude à être perçue comme une indication de l’origine du produit qu’elle désigne. La considération inverse s’impose également.

34 Il convient, par ailleurs, de tenir compte de la catégorie particulière à laquelle appartient la marque antérieure uniquement utilisée en tant que partie d’une marque complexe ou conjointement avec une autre marque.

  • L’examen de l’usage de la marque tridimensionnelle doit être conduit comme pour les autres marques

35 Certes, s’agissant des marques tridimensionnelles constituées, comme en l’espèce, par l’apparence du produit lui-même, il est de jurisprudence constante que les critères d’appréciation de leur caractère distinctif ne sont pas différents de ceux applicables aux autres catégories de marques ……. Comme le relève à bon droit l’OHMI, cette jurisprudence peut être transposée à l’appréciation de l’usage sérieux de telles marques tridimensionnelles. En effet, il ne ressort ni du règlement n° 207/2009 ni de la jurisprudence qu’il y aurait lieu de leur appliquer des critères différents, voire plus stricts. En particulier, il ne saurait être exigé par principe que ces marques soient utilisées isolément ou qu’elles présentent un degré particulièrement élevé de caractère distinctif intrinsèque ou acquis par l’usage.

  • Mais ce principe est immédiatement tempéré par la spécificité de la forme tridimensionnelle

36 Toutefois, dans le cadre de l’appréciation tant du caractère distinctif que de son altération en cas d’usage conjoint avec une autre marque, il y a lieu de tenir compte également de la perception spécifique des formes des produits par le consommateur moyen. Aux fins d’une telle appréciation, la perception du consommateur moyen n’est pas nécessairement la même dans le cas d’une marque tridimensionnelle, constituée par la forme du produit lui-même, que dans le cas d’une marque verbale ou figurative consistant en un signe indépendant de l’aspect des produits qu’elle désigne. En effet, les consommateurs moyens n’ont pas pour habitude de présumer l’origine des produits en se basant sur leur forme ou celle de leur emballage, en l’absence de tout élément graphique ou textuel, et il pourrait donc s’avérer plus difficile d’établir le caractère distinctif d’une telle marque tridimensionnelle que celui d’une marque verbale ou figurative ….. . Dans ces conditions, plus la forme dont l’enregistrement est demandé en tant que marque se rapproche de la forme la plus probable que prendra le produit en cause, plus il est vraisemblable que ladite forme est dépourvue de caractère distinctif au sens de l’article 7, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009. ..

37 Transposée à l’appréciation de l’usage sérieux d’une marque tridimensionnelle constituée par la forme du produit lui-même, cette jurisprudence implique que, en cas d’usage conjoint de celle-ci avec une autre marque, il pourrait s’avérer plus facile d’établir l’altération du caractère distinctif d’une telle marque tridimensionnelle que celle du caractère distinctif d’une marque verbale ou figurative.

  • Application pratique

38 En l’espèce, la marque en cause présente, de par sa forme inhabituelle, évoquant celle d’un moteur thermique d’avion davantage que celle d’un fourneau, un caractère distinctif élevé pour les produits qu’elle désigne, et ce, abstraction faite de son éventuelle fonctionnalité.

39 À cet égard, la circonstance, alléguée par le requérant, que des fourneaux revêtant une forme très semblable à celle de la marque en cause soient distribués par d’autres fabricants sous les marques verbales Bruno et Bulder, ne permet pas, à elle seule, de remettre en cause cette appréciation, ladite circonstance pouvant également s’expliquer par la recherche par ces fabricants d’un résultat technique particulier, tel qu’un transfert de chaleur par convection.

40 Par ailleurs, l’élément verbal additionnel « voxka », lui-même enregistré en tant que marque, présente un caractère distinctif qui peut être qualifié de normal.

41 Dans ces circonstances, le Tribunal estime, à l’instar de la chambre de recours, que l’ajout de l’élément verbal « voxka », apposé sur la face avant du produit dont la forme elle-même constitue la marque en cause, n’a pas altéré le caractère distinctif de celle-ci, dans la forme sous laquelle celle-ci a été enregistrée, de sorte que cet ajout peut être considéré comme ayant donné lieu à un usage, dans une variante acceptable, de celle-ci, conformément à l’article 15, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 207/2009.

42 Dans ces mêmes circonstances, le consommateur moyen continuera en effet à percevoir la forme des fourneaux en cause comme une indication de leur origine commerciale, son attention n’étant pas exclusivement accaparée par l’élément verbal distinctif « voxka », en tant qu’indicateur de l’origine des produits.

Prescription de l’action en revendication des dépôts de marque à propos des marques « Bateaux Mouches »

L’arrêt du 4 janvier 2012 présente différents intérêts. Voyons comment la Cour de Paris examine l’action en revendication de marque pour la déclarer prescrite.

Les marques litigieuses de M. X….

– la marque semi-figurative « Bateaux Mouches Paris Pont de l’Alma » déposée le 28 avril 2003 et enregistrée sous le no 03 3 222 806, pour désigner les produits suivants : « appareils de vision de diapositives, porte-clés, broche, montre, photographies cartes postales, dépliants, parapluie, porte-monnaie, sac à main » en classe 9, 14 18, 21, 25, 26, 28, 30 et 34

-la marque verbale « Bateaux Mouches » déposée le 24 septembre 2003 et enregistrée sous le no 03 3 247 340 pour désigner les mêmes produits ;

La date de l’assignation en revendication

L’assignation en revendication à la requête de la Compagnie des Bateaux Mouches a été délivrée le 17 juillet 2007, soit plus de trois ans après le dépôt des demandes d’enregistrement des marques.  le Tribunal a jugé prescrite l’action en revendication de ces deux dépôts.

La Cour va confirmer le jugement.

L’article applicable : L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle : « Si un enregistrement a été demandé, soit en fraude des droits d’un tiers, soit en violation d’une obligation légale ou conventionnelle, la personne qui estime avoir un droit sur la marque peut revendiquer sa propriété en justice.
A moins que le déposant ne soit de mauvaise foi, l’action en revendication se prescrit par trois ans à compter de la publication de la demande d’enregistrement. » ;

La question posée est celle de la mauvaise foi.

L’analyse de la Cour :

  • La mauvaise foi n’étant jamais présumée, c’est donc à la Compagnie des Bateaux Mouches d’établir la mauvaise foi du déposant M. X…
  • La mauvaise foi peut-elle être établie par l’absence de l’exploitation des marques concernées ?

Mais considérant que la mauvaise foi s’apprécie au jour du dépôt des demandes d’enregistrement ; qu’il en résulte que la non exploitation de la marque, circonstance nécessairement postérieure à son dépôt, n’est pas de nature à établir la mauvaise foi du déposant au jour du dépôt ;

  • La connaissance par le déposant de l’emploi de signe : oui pour le signe mais pas pour les produits pour lesquels les marques sont déposés

….qu’il ressort des circonstances de la cause que M. X…, uni par des liens de famille avec les dirigeants de la Compagnie des Bateaux Mouches, et ayant exercé une activité de vente de souvenirs et de bimbeloterie dans l’enceinte de l’entreprise et avec l’accord de celle-ci, n’ignorait évidemment pas que l’expression « Bateaux Mouches » entrait dans la dénomination sociale et dans l’enseigne commerciale de cette entreprise qui abritait sa propre sa propre activité commerciale ;

Mais considérant qu’il n’est nullement démontré que, en avril 2003 ou en septembre 2003, dates des demandes d’enregistrement des marques revendiquées, la Compagnie des Bateaux Mouches exploitait une activité concurrente de celle de M. X… telle que la vente de souvenirs ou de bimbeloterie ; que, tout au contraire, la Compagnie des Bateaux Mouches précise elle-même (page 28 de ses dernières écritures) que son infrastructure à l’époque ne lui permettait pas exploiter une telle activité, ce qu’elle n’a pu envisager de faire qu’à la suite de travaux qui n’ont été effectués qu’en 2006 ;

La Compagnie des Bateaux-mouches a donc échoué à apporter la preuve de la mauvaise foi du déposant. Son action en revendication est donc déclarée irrecevable comme prescrite par la Cour de Paris.