Contrefaçon de marque, de dessin et modèle, de brevet : la preuve du lieu de destination des marchandises en transit pour l’intervention des douanes

A propos des marchandises en transit suspectées de contrefaçon et de la possibilité d’intervenir pour les douanes, la CJUE a rendu un arrêt le 1er décembre 2011 [ ici ], affaires C-446/09 et C-495/09,  qui souligne l’importance du lieu de destination de telles marchandises en Europe ou ailleurs, et toutes les conséquences à tirer de l’absence de cette indication ou de l’incertitude sur ce lieu :

 

Le règlement (CE)n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant certaines mesures concernant l’introduction dans la Communauté et l’exportation et la réexportation hors de la Communauté de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, tel que modifié par le règlement (CE) n° 241/1999 du Conseil, du 25 janvier 1999, et le règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, doivent être interprétés en ce sens que:

–        des marchandises provenant d’un État tiers et constituant une imitation d’un produit protégé dans l’Union européenne par un droit de marque ou une copie d’un produit protégé dans l’Union par un droit d’auteur, un droit voisin, un modèle ou un dessin ne sauraient être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» au sens desdits règlements en raison du seul fait qu’elles sont introduites sur le territoire douanier de l’Union sous un régime suspensif;

–        ces marchandises peuvent, en revanche, porter atteinte audit droit et donc être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» lorsqu’il est prouvé qu’elles sont destinées à une mise en vente dans l’Union européenne, une telle preuve étant fournie, notamment, lorsqu’il s’avère que lesdites marchandises ont fait l’objet d’une vente à un client dans l’Union ou d’une offre à la vente ou d’une publicité adressée à des consommateurs dans l’Union, ou lorsqu’il ressort de documents ou d’une correspondance concernant ces marchandises qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union est envisagé;

–        pour que l’autorité compétente pour statuer sur le fond puisse utilement examiner l’existence d’une telle preuve et des autres éléments constitutifs d’une atteinte au droit de propriété intellectuelle invoqué, l’autorité douanière saisie d’une demande d’intervention doit, dès qu’elle dispose d’indices permettant de soupçonner l’existence de ladite atteinte, suspendre la mainlevée ou procéder à la retenue desdites marchandises, et que

–        parmi ces indices peuvent figurer, notamment, le fait que la destination des marchandises n’est pas déclarée alors que le régime suspensif sollicité exige une telle déclaration, l’absence d’informations précises ou fiables sur l’identité ou l’adresse du fabricant ou de l’expéditeur des marchandises, un manque de coopération avec les autorités douanières ou encore la découverte de documents ou d’une correspondance concernant les marchandises en cause de nature à laisser supposer qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union européenne est susceptible de se produire.

Contrefaçon de marque enregistrée par une autre marque enregistrée, le rôle de la marque ombrelle, le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé

 

La société B détient la marque ci-après, qui remonte à un dépôt du 26 mai 2005 :

La société L est titulaire d’une marque française postérieure pour l’avoir déposée le 6 avril 2007, cette seconde marque  est également enregistrée :

Ces deux enregistrements visent des fromages.

Un litige est né entre les parties, qui portait sur différentes questions du droit des marques. Parmi celles-ci, la société B considérait que l’exploitation de la seconde marque constituait la contrefaçon de la sienne.

La Cour d’appel a condamné effectivement la société L pour contrefaçon de la première marque.

Cette seconde société a formé un pourvoi en cassation.

La seconde marque était utilisée en combinaison avec la marque ombrelle « Président », l’existence de celle-ci ne permettait-elle pas au consommateur d’éviter tout risque de confusion entre les deux marques en cause ?

La Cour de Cassation le 2 novembre 2011 [ ici ] rejette le pourvoi en relevant que la Cour d’appel a bien intégré à la motivation de sa décision la présence de la marque ombrelle et son impact sur le consommateur moyen normalement informé :

Mais attendu qu’ayant relevé que la dénomination Cloche Saveur figurait sur l’emballage en gros caractères noirs se détachant sur un fond blanc, au-dessus de la marque ombrelle Président de sorte qu’elle occupait une place prépondérante et distinguait le produit d’autres de la gamme Président, la cour d’appel a souverainement apprécié que la présence d’éléments figuratifs sur cet emballage n’affectait pas la parenté forte qui se dégageait des deux signes et engendrait, dans l’esprit du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, un risque de confusion quant à l’origine commune des deux dénominations, que renforçait l’identité des produits concernés

 

Contrefaçon de marque et exécution provisoire à payer les indemnités de contrefaçon au titulaire de la marque

En cas de contrefaçon de marque, le Tribunal condamne le contrefacteur à des dommages et intérêts.

Ces condamnations indemnitaires sont, de plus en plus souvent, prononcées avec exécution provisoire, c’est à dire que même si celui qui vient d’être condamné fait appel de ce jugement, il doit payer ces sommes.

La suspension de l'exécution provisoire un exercice périlleux

Néanmoins, il peut tenter d’obtenir la suspension de l’exécution provisoire et ainsi espérer ne rien devoir payer confiant qu’il est dans ses arguments d’appel ou, au pire pour lui, ne s’acquitter de ces sommes qu’après que la Cour ait rendu son arrêt dans le cas où celle-ci confirmerait le jugement.

Mais pareille tentative nécessite de solides arguments.

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’ordonnance du 25 octobre 2011, l’entreprise condamnée par le Tribunal n’a pas su convaincre le Conseiller.

Rappelons simplement qu’un jugement a condamné pour contrefaçon de marques une société :

  • – à payer au titulaire de ces marques la somme de 200 000 Euros,
  • – à différentes mesures d’interdiction sous astreinte de commercialiser la marque litigieuse,
  • – à des mesures de publications judiciaires,
  • – et aux frais de la procédure.
  • L’exécution provisoire a été prononcée pour le paiement des indemnités financières.

Cette société a fait appel du jugement. procédure dont il n’est pas question ici, et a demandé la suspension de l’exécution provisoire

A lire l’ordonnance, c’est à dire la décision de justice qui a examiné cette demande, cette société a invoqué deux types d’arguments :

– que la somme de 200.000 € mise à sa charge ne peut, en aucun cas, être réglée, excédant ses facultés contributives, que l’analyse des pièces comptables, bilans, comptes de résultat, démontre qu’il ‘leur’ est impossible de payer une telle somme,
– que le tribunal a infligé des dommages et intérêts démesurés, que le mode de raisonnement intellectuel et comptable est totalement erroné,

Pour cette société, cette exécution provisoire risquait d’entrainer « des conséquences manifestement excessives »

L’ordonnance pour rejeter cette motivation retient :

« Que la seule affirmation, par la demanderesse, de ce que ‘l’analyse des pièces comptables, bilans, comptes de résultat, démontre qu’il lui est impossible de payer la somme de 200.000 €’, sans autre explication, à l’audience, que la modestie de son chiffre d’affaires et de son ‘bénéfice’, ne constitue pas la preuve des conséquences manifestement excessives qu’elle invoque ;

La suspension de l’exécution provisoire n’est donc pas automatique, tout au contraire, de solides arguments sont requis.

Le signe constitué exclusivement par la forme du produit, un haut-parleur, ne peut pas constituer une marque communautaire valable

Le dernier espoir d’obtenir une marque sur un signe composé exclusivement de la forme du produit s’éloigne.

Quand une forme donne sa valeur substantielle au produit, cette forme ne peut pas constituer une marque communautaire. Voilà l’enseignement de cet arrêt du 6 octobre 2011. [ ici ]

Bang & Olufsen avait déposé comme demande de marque communautaire la forme d’un haut-parleur particulier

Après un premier arrêt du 10 octobre 2007 qui avait fait droit au recours de cette société contre le refus de l’OHMI d’enregistrer cette demande, il semblait possible d’obtenir un enregistrement de marque communautaire pour une tel signe, c’est à dire un signe constitué exclusivement de la forme du produit.

Or, ce premier arrêt n’avait pas pris une telle position, le TPE se limitait, en réalité, à sanctionner la position de l’OHMI pour ne pas avoir répondu totalement à l’argumentation de la société déposante. C’était donc une question de procédure qui avait conduit à cette  première décision. La possibilité ou non d’obtenir une marque communautaire sur un tel signe n’avait donc pas été tranchée .

La procédure devant l’OHMI a repris, l’office a opposé d’autres griefs que ceux invoqués la première fois, la demande de marque s’est donc trouvée toujours rejetée, d’où un nouveau recours de la société Bang & Olufsen.

Ce second arrêt du 6 octobre 2011 [ ici ] s’il traite des questions de procédure, se prononce aussi sur le signe déposé.

  • Tout d’abord, un rappel : le droit de marque est renouvelable à l’infini quand les droits des dessins et modèles et des auteurs sont limités dans le temps

(65)  » …l’objectif immédiat de l’interdiction d’enregistrer les formes purement fonctionnelles ou qui donnent une valeur substantielle au produit est d’éviter que le droit exclusif et permanent que confère une marque puisse servir à perpétuer d’autres droits que le législateur a voulu soumettre à des « délais de péremption » ».

  • Plus intéressante, la problématique de la perception du consommateur, cette perception avait été celle qui dans le premier arrêt avait laissé un espoir aux déposants de marque

(72) La Cour a considéré que la perception présumée du signe par le consommateur moyen n’est pas un élément décisif dans le cadre de l’application du motif de refus énoncé à l’article 7, paragraphe 1, sous e), ii), du règlement n° 40/94, mais peut, tout au plus, constituer un élément d’appréciation utile pour l’autorité compétente lorsque celle-ci identifie les caractéristiques essentielles du signe (arrêt Lego Juris/OHMI, point 60 supra, point 76).

  • Le Tribunal va ensuite examiner les différents éléments avancés par la déposante

73 En l’espèce, s’agissant de l’application de l’article 7, paragraphe 1, sous e), iii), du règlement n° 40/94, il y a lieu de relever que le design, pour le produit en cause, est un élément qui sera très important dans le choix du consommateur, même si le consommateur prend également en considération d’autres caractéristiques du produit en cause.

74 En effet, la forme pour laquelle l’enregistrement a été demandé témoigne d’un design tout particulier et la requérante admet elle‑même, notamment au point 92 de la requête, que ce design est un élément essentiel de sa stratégie de marque et qu’il augmente l’attractivité du produit en cause, c’est-à-dire sa valeur.

75 En outre, il ressort des éléments cités au point 33 de la décision attaquée, à savoir des extraits de sites Internet de distributeurs, de vente aux enchères ou de vente de produits d’occasion, que les caractéristiques esthétiques de cette forme sont soulignées en premier et qu’une telle forme est perçue comme une sorte de sculpture pure, élancée et intemporelle pour la reproduction de musique, ce qui en fait un élément substantiel en tant qu’argument de promotion de vente.

  • Or, le Tribunal avant cette énumération a rappelé :

Toutefois, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, sous e), du règlement n° 40/94, sont refusés à l’enregistrement les signes constitués exclusivement par la forme imposée par la nature même du produit ou par la forme du produit nécessaire à l’obtention d’un résultat technique ou par la forme qui donne une valeur substantielle au produit.

C’est ce qui a conduit le Tribunal a confirmé le rejet par l’OHMI de cette demande de

marque communautaire :

76 Il n’apparaît donc pas que, en l’espèce, la chambre de recours ait commis une quelconque erreur en considérant que, indépendamment des autres caractéristiques du produit en cause, la forme pour laquelle l’enregistrement a été demandé donne une valeur substantielle audit produit.

 

Marque sur la forme du produit annulée par la Cour de Paris

La  Cour de Paris par son arrêt du 21 octobre 2011 annule une marque tridimensionnelle, c’est à dire que le signe enregistré porte sur la forme du produit, en retenant que cette marque ne peut pas remplir  « son rôle certifiant l’origine du produit ». Le Tribunal avait jugé dans le même sens

La marque enregistrée qui remontait au 3 avril 1998 ,  portait sur la forme d’un mixer

La motivation de la Cour pour annuler cet enregistrement :

Considérant que les éléments revendiqués par la société Whirlpool comme distinctifs de sa marque à savoir la forme cylindrique et arrondie de la tête aux extrémités et le pied courbé s’élargissant vers le socle ne sont pas de nature à permettre l’identification pour le consommateur concerné de l’origine du produit visé dans l’enregistrement, au vu de la banalité de la marque et ne lui permettent pas, à la seule vue de la marque, de percevoir une origine distincte, la forme déposée ne se différenciant pas de manière significative de celle déjà connue du mixeur Sunbean qui comporte une forme arrondie de la tête et de divers batteurs mixeurs tels que le chef classic KM 410 et KM 420 et le chef KM 300, composés d’un pied destiné à recevoir le bol, pied qui, comme le note à juste titre le tribunal, s’il est plus large que celui du signe en cause, s’évase légèrement vers le bas également dans une forme arrondie ;

Que le bandeau et la protubérance cylindrique sur la partie frontale du capot ne confèrent pas davantage à l’ensemble de la marque son caractère distinctif ;

Que la marque ne peut, par voie de conséquence, remplir son rôle certifiant l’origine du produit ;

A noter également que cet arrêt confirme le jugement en ce qu’il a retenu des actes parasitaires par les emplois d’une couleur rouge particulière et de la lettre K dans des publicités.