Indemnisation des préjudices pour des actes de contrefaçon, comment effectuer le calcul des dommages et intérêts en cas d’expertise infructeuse : les dommages et intérêts forfaitaires et le rôle de l’avocat

Sur quelle base calculer les dommages et intérêts ? Cette question si elle se pose naturellement au juge dans l’instance en contrefaçon quand après avoir retenu  l’existence des actes de contrefaçon ,  il doit en fixer l’indemnisation pour le titulaire des droits, interpelle la partie poursuivie en contrefaçon à la réception de l’assignation. Le titulaire des droits, lui aussi,  a sans doute interrogé son avocat avant d’engager la procédure. A cette question, l’avocat, on le voit,  est interrogé à de multiples occasions mais il n’a pas, le plus souvent,  les éléments financiers pour y répondre de manière précise.

 

Un arrêt intéressant a été rendu le 4 janvier 2012 par la Cour de Paris. Cet arrêt est intervenu en matière de contrefaçon de dessins protégés par les dispositions du Code sur la propriété littéraire et artistique.

  • Un jugement du Tribunal de Grande Instance de Bobigny condamne une société pour des actes de contrefaçon de dessins. Le tribunal ordonne une expertise.
  • Lors de l’expertise, selon l’arrêt, la société condamnée ne fournit pas à l’expert tous les documents que celui-ci a demandés.
  • Le Tribunal retenant que « que la société défenderesse n’avait pas communiqué à ce dernier les éléments objectifs probants nécessaires à l’accomplissement de sa mission et » a « procédé en conséquence à une évaluation forfaitaire du préjudice de M. X…, fixée à 25. 000 euros ».

La société fait appel de ce jugement.

L’arrêt du 4 janvier ne porte que sur l’appel de la condamnation financière, « cette société faisant valoir, en synthèse, que la preuve n’est rapportée d’aucune exploitation commerciale des produits contrefaisants » ;

Le problème posé : en l’absence de coopération de la partie condamnée pour produire les documents demandés lors de l’expertise, comment fixer les dommages et intérêts ?

La solution : le montant forfaitaire

La Cour de Paris rappelle des dispositions du Code qui autorisent le caractère forfaitaire des dommages et intérêts. L’article L. 331-1-3 du code de la propriété intellectuelle dispose : « pour fixer les dommages intérêts, la juridiction prend en considération les conséquences économiques négatives, dont le manque à gagner, subis par la partie lésée, les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte au droit et le préjudice moral causé au titulaire de ces droits du fait de l’atteinte.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire qui ne peut être inférieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. » ;

La Cour procède en trois étapes :

  • La Cour vérifie que la société condamnée n’a fait aucune diligence sérieuse lors de l’expertise : « Considérant que le tribunal, ayant notamment relevé dans les motifs de son jugement que ni les factures d’achat ni les factures de vente communiquées à l’expert par la société ……ne comportaient une référence quelconque, en a exactement déduit qu’elle n’avait fait aucune diligence sérieuse pour contribuer à la mesure d’instruction et permettre à l’expert d’évaluer la masse contrefaisante ;
  • La Cour retient que le Tribunal a appliqué le montant forfaitaire demandé par le titulaire des droits : « une évaluation forfaitaire du préjudice subi par M. X…, conformément à la demande de celui-ci ».
  • En appel, la société condamnée apporte-t-elle des éléments financiers complémentaires ?

Non, elle se limite à prétendre à « l’absence totale d’exploitation commerciale des produits contrefaisants ». Pour la Cour cette attitude « met au contraire en évidence la réalité d’une telle exploitation et le soin apporté par cette même société a en dissimuler l’étendue » ;

La Cour confirme le jugement et ajoute 5 000 Euros aux montants indemnitaires retenus par le Tribunal.

 

Contrefaçon de marque, de dessin et modèle, de brevet : la preuve du lieu de destination des marchandises en transit pour l’intervention des douanes

A propos des marchandises en transit suspectées de contrefaçon et de la possibilité d’intervenir pour les douanes, la CJUE a rendu un arrêt le 1er décembre 2011 [ ici ], affaires C-446/09 et C-495/09,  qui souligne l’importance du lieu de destination de telles marchandises en Europe ou ailleurs, et toutes les conséquences à tirer de l’absence de cette indication ou de l’incertitude sur ce lieu :

 

Le règlement (CE)n° 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant certaines mesures concernant l’introduction dans la Communauté et l’exportation et la réexportation hors de la Communauté de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, tel que modifié par le règlement (CE) n° 241/1999 du Conseil, du 25 janvier 1999, et le règlement (CE) n° 1383/2003 du Conseil, du 22 juillet 2003, concernant l’intervention des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle, doivent être interprétés en ce sens que:

–        des marchandises provenant d’un État tiers et constituant une imitation d’un produit protégé dans l’Union européenne par un droit de marque ou une copie d’un produit protégé dans l’Union par un droit d’auteur, un droit voisin, un modèle ou un dessin ne sauraient être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» au sens desdits règlements en raison du seul fait qu’elles sont introduites sur le territoire douanier de l’Union sous un régime suspensif;

–        ces marchandises peuvent, en revanche, porter atteinte audit droit et donc être qualifiées de «marchandises de contrefaçon» ou de «marchandises pirates» lorsqu’il est prouvé qu’elles sont destinées à une mise en vente dans l’Union européenne, une telle preuve étant fournie, notamment, lorsqu’il s’avère que lesdites marchandises ont fait l’objet d’une vente à un client dans l’Union ou d’une offre à la vente ou d’une publicité adressée à des consommateurs dans l’Union, ou lorsqu’il ressort de documents ou d’une correspondance concernant ces marchandises qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union est envisagé;

–        pour que l’autorité compétente pour statuer sur le fond puisse utilement examiner l’existence d’une telle preuve et des autres éléments constitutifs d’une atteinte au droit de propriété intellectuelle invoqué, l’autorité douanière saisie d’une demande d’intervention doit, dès qu’elle dispose d’indices permettant de soupçonner l’existence de ladite atteinte, suspendre la mainlevée ou procéder à la retenue desdites marchandises, et que

–        parmi ces indices peuvent figurer, notamment, le fait que la destination des marchandises n’est pas déclarée alors que le régime suspensif sollicité exige une telle déclaration, l’absence d’informations précises ou fiables sur l’identité ou l’adresse du fabricant ou de l’expéditeur des marchandises, un manque de coopération avec les autorités douanières ou encore la découverte de documents ou d’une correspondance concernant les marchandises en cause de nature à laisser supposer qu’un détournement de celles-ci vers les consommateurs dans l’Union européenne est susceptible de se produire.

Contrefaçon de marque et exécution provisoire à payer les indemnités de contrefaçon au titulaire de la marque

En cas de contrefaçon de marque, le Tribunal condamne le contrefacteur à des dommages et intérêts.

Ces condamnations indemnitaires sont, de plus en plus souvent, prononcées avec exécution provisoire, c’est à dire que même si celui qui vient d’être condamné fait appel de ce jugement, il doit payer ces sommes.

La suspension de l'exécution provisoire un exercice périlleux

Néanmoins, il peut tenter d’obtenir la suspension de l’exécution provisoire et ainsi espérer ne rien devoir payer confiant qu’il est dans ses arguments d’appel ou, au pire pour lui, ne s’acquitter de ces sommes qu’après que la Cour ait rendu son arrêt dans le cas où celle-ci confirmerait le jugement.

Mais pareille tentative nécessite de solides arguments.

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’ordonnance du 25 octobre 2011, l’entreprise condamnée par le Tribunal n’a pas su convaincre le Conseiller.

Rappelons simplement qu’un jugement a condamné pour contrefaçon de marques une société :

  • – à payer au titulaire de ces marques la somme de 200 000 Euros,
  • – à différentes mesures d’interdiction sous astreinte de commercialiser la marque litigieuse,
  • – à des mesures de publications judiciaires,
  • – et aux frais de la procédure.
  • L’exécution provisoire a été prononcée pour le paiement des indemnités financières.

Cette société a fait appel du jugement. procédure dont il n’est pas question ici, et a demandé la suspension de l’exécution provisoire

A lire l’ordonnance, c’est à dire la décision de justice qui a examiné cette demande, cette société a invoqué deux types d’arguments :

– que la somme de 200.000 € mise à sa charge ne peut, en aucun cas, être réglée, excédant ses facultés contributives, que l’analyse des pièces comptables, bilans, comptes de résultat, démontre qu’il ‘leur’ est impossible de payer une telle somme,
– que le tribunal a infligé des dommages et intérêts démesurés, que le mode de raisonnement intellectuel et comptable est totalement erroné,

Pour cette société, cette exécution provisoire risquait d’entrainer « des conséquences manifestement excessives »

L’ordonnance pour rejeter cette motivation retient :

« Que la seule affirmation, par la demanderesse, de ce que ‘l’analyse des pièces comptables, bilans, comptes de résultat, démontre qu’il lui est impossible de payer la somme de 200.000 €’, sans autre explication, à l’audience, que la modestie de son chiffre d’affaires et de son ‘bénéfice’, ne constitue pas la preuve des conséquences manifestement excessives qu’elle invoque ;

La suspension de l’exécution provisoire n’est donc pas automatique, tout au contraire, de solides arguments sont requis.

Produits de soin : l’interdiction absolue de vente sur Internet est-elle illicite ou bien le risque de l’augmentation de la contrefaçon pourrait-il la justifier ?

L’avocat général près de la CJCE vient de rendre ses conclusions, le 2 mars 2011,  à propos de l’interdiction absolue de vendre sur Internet les produits cosmétiques qu’impose le laboratoire Perre Fabre à ses distributeurs.

L’historique de cette affaire soumise au droit de la concurrence est suffisamment compliqué et détaillé à l’arrêt  pour s’y reporter.

Les biens en cause sont « des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle qui sont distribués dans le cadre de systèmes de distribution sélective et sont proposés à la vente avec l’avis d’un pharmacien ».

Pierre Fabre entend justifier principalement sa position :

«La conception de ces produits nécessite le conseil d’un spécialiste pharmacien du fait de l’activité de ces produits développés dans une optique de soin. (….) Nos produits répondent à des problématiques de eau particulières, comme des peaux intolérantes, avec un risque de réaction allergique. Nous considérons de ce fait que la vente sur Internet ne répondrait pas aux attentes des consommateurs et des professionnels de santé sur nos produits et par conséquent aux exigences que nous fixons dans nos conditions générales de vente. Ces produits sont aussi recommandés par le corps médical …»

L’avocat général retient que de tels ;

« produits n’étant pas répertoriés comme des médicaments et ne relevant pas, par conséquent, du monopole des pharmaciens, rien ne s’oppose à ce qu’ils soient librement commercialisés en dehors du circuit officinal« .

et de considérer :

qu’une interdiction générale et absolue de vendre sur Internet des biens aux utilisateurs finals, imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d’un réseau de distribution sélective, qui prévient ou restreint le commerce parallèle de façon plus extensive que les restrictions inhérentes à tout accord de distribution sélective et qui va au-delà de ce qui est objectivement nécessaire pour distribuer ces produits d’une manière appropriée au regard non seulement de leurs qualités matérielles mais aussi de leur aura ou image, a pour objet de restreindre la concurrence aux fins de l’article 81, paragraphe 1, CE

L’avocat général va aussi écarter successivement l’exemption au titre de l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999 en refusant d’assimiler l’interdiction de la vente sur Internet à « une interdiction  de déplacer ses locaux/point de vente sans l’autorisation préalable du fabricant » et l’exemption individuelle.

Mais tout n’est pas dit.  Pierre Fabre Santé invoque aussi « le risque accru de contrefaçons de produits en cas de vente sur Internet« .

Certes, l’avocat général indique ne pas être « persuadé que la distribution via Internet de produits contractuels d’un fabricant par un distributeur sélectionné puisse à elle seule aboutir à accroître la contrefaçon, ni que les effets négatifs de telles ventes ne puissent pas être contrecarrés par des mesures appropriées »

Mais il laisse à la Cour l’appréciation factuelle de cette question .

La question reste ainsi ouverte devant la Cour.