Contrefaçon de marque et exécution provisoire à payer les indemnités de contrefaçon au titulaire de la marque

En cas de contrefaçon de marque, le Tribunal condamne le contrefacteur à des dommages et intérêts.

Ces condamnations indemnitaires sont, de plus en plus souvent, prononcées avec exécution provisoire, c’est à dire que même si celui qui vient d’être condamné fait appel de ce jugement, il doit payer ces sommes.

La suspension de l'exécution provisoire un exercice périlleux

Néanmoins, il peut tenter d’obtenir la suspension de l’exécution provisoire et ainsi espérer ne rien devoir payer confiant qu’il est dans ses arguments d’appel ou, au pire pour lui, ne s’acquitter de ces sommes qu’après que la Cour ait rendu son arrêt dans le cas où celle-ci confirmerait le jugement.

Mais pareille tentative nécessite de solides arguments.

Dans l’affaire qui a donné lieu à l’ordonnance du 25 octobre 2011, l’entreprise condamnée par le Tribunal n’a pas su convaincre le Conseiller.

Rappelons simplement qu’un jugement a condamné pour contrefaçon de marques une société :

  • – à payer au titulaire de ces marques la somme de 200 000 Euros,
  • – à différentes mesures d’interdiction sous astreinte de commercialiser la marque litigieuse,
  • – à des mesures de publications judiciaires,
  • – et aux frais de la procédure.
  • L’exécution provisoire a été prononcée pour le paiement des indemnités financières.

Cette société a fait appel du jugement. procédure dont il n’est pas question ici, et a demandé la suspension de l’exécution provisoire

A lire l’ordonnance, c’est à dire la décision de justice qui a examiné cette demande, cette société a invoqué deux types d’arguments :

– que la somme de 200.000 € mise à sa charge ne peut, en aucun cas, être réglée, excédant ses facultés contributives, que l’analyse des pièces comptables, bilans, comptes de résultat, démontre qu’il ‘leur’ est impossible de payer une telle somme,
– que le tribunal a infligé des dommages et intérêts démesurés, que le mode de raisonnement intellectuel et comptable est totalement erroné,

Pour cette société, cette exécution provisoire risquait d’entrainer « des conséquences manifestement excessives »

L’ordonnance pour rejeter cette motivation retient :

« Que la seule affirmation, par la demanderesse, de ce que ‘l’analyse des pièces comptables, bilans, comptes de résultat, démontre qu’il lui est impossible de payer la somme de 200.000 €’, sans autre explication, à l’audience, que la modestie de son chiffre d’affaires et de son ‘bénéfice’, ne constitue pas la preuve des conséquences manifestement excessives qu’elle invoque ;

La suspension de l’exécution provisoire n’est donc pas automatique, tout au contraire, de solides arguments sont requis.

Vente en ligne, produits marqués, emballages modifiés, nécessité de mise en oeuvre de dispositif préventif : l’arrêt du 12 juillet de la CJUE

Le commerce en ligne par les marques qu’il emploie, est régulièrement soumis au contrôle de la Cour de Justice.

Les juges de la Cour de Justice de l'Union européenne
Les juges de la Cour de Justice, source : curia.europa.eu

 

L’arrêt rendu le 12 juillet par la CJUE est important parce qu’il :

  • a été rendu par la Grande Chambre de la CJUE
  • s’applique à la vente en ligne
  • concerne la vente en ligne et en direction de l’Union Européenne de produits marqués qui n’avaient pas été mis sur le marché européen par leur titulaire
  • porte sur l’emploi de la marque dans la publicité
  • apporte une précision importante sur la situation de l’exploitant d’une place de marché en ligne au regard de la directive du 8 juin 2000 sur le commerce en ligne, et le régime d’exonération  de responsabilité après sa connaissance des faits illicites
  • prévoit que les juridictions nationales puissent ordonner contre les places de marché en ligne :

– non seulement de faire cesser des pratiques illicites

– mais également de mettre en place des dispositifs préventifs

 

1)      Lorsque des produits situés dans un État tiers, revêtus d’une marque enregistrée dans un État membre de l’Union ou d’une marque communautaire et non auparavant commercialisés dans l’Espace économique européen ou, en cas de marque communautaire, non auparavant commercialisés dans l’Union, sont vendus par un opérateur économique au moyen d’une place de marché en ligne et sans le consentement du titulaire de cette marque à un consommateur situé sur le territoire couvert par ladite marque ou font l’objet d’une offre à la vente ou d’une publicité sur une telle place destinée à des consommateurs situés sur ce territoire, ledit titulaire peut s’opposer à cette vente, à cette offre à la vente ou à cette publicité en vertu des règles énoncées à l’article 5 de la première directive 89/104/CEE du Conseil, du 21 décembre 1988, rapprochant les législations des États membres sur les marques, telle que modifiée par l’accord sur l’Espace économique européen, du 2 mai 1992, ou à l’article 9 du règlement (CE) n° 40/94 du Conseil, du 20 décembre 1993, sur la marque communautaire. Il incombe aux juridictions nationales d’apprécier au cas par cas s’il existe des indices pertinents pour conclure qu’une offre à la vente ou une publicité affichée sur une place de marché en ligne accessible sur ledit territoire est destinée à des consommateurs situés sur celui-ci.
2)      La fourniture par le titulaire d’une marque, à ses distributeurs agréés, d’objets revêtus de celle-ci, destinés à la démonstration aux consommateurs dans les points de vente agréés, ainsi que de flacons revêtus de cette marque, dont de petites quantités peuvent être prélevées pour être données aux consommateurs en tant qu’échantillons gratuits, ne constitue pas, en l’absence d’éléments probants contraires, une mise dans le commerce au sens de la directive 89/104 ou du règlement n° 40/94.
3)      Les articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n° 40/94 doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque peut, en vertu du droit exclusif conféré par celle-ci, s’opposer à la revente de produits, tels que ceux en cause dans l’affaire au principal, au motif que le revendeur a retiré l’emballage de ces produits, lorsque ce déconditionnement a pour conséquence que des informations essentielles, telles que celles relatives à l’identification du fabricant ou du responsable de la mise sur le marché du produit cosmétique, font défaut. Lorsque le retrait de l’emballage n’a pas conduit à un tel défaut d’informations, le titulaire de la marque peut néanmoins s’opposer à ce qu’un parfum ou un produit cosmétique revêtu de la marque dont il est titulaire soit revendu dans un état déconditionné, s’il établit que le retrait de l’emballage a porté atteinte à l’image dudit produit et, ainsi, à la réputation de la marque.
4)      Les articles 5, paragraphe 1, sous a), de la directive 89/104 et 9, paragraphe 1, sous a), du règlement n° 40/94 doivent être interprétés en ce sens que le titulaire d’une marque est habilité à interdire à l’exploitant d’une place de marché en ligne de faire, à partir d’un mot clé identique à ladite marque que cet exploitant a sélectionné dans le cadre d’un service de référencement sur Internet, de la publicité pour des produits de cette marque mis en vente sur ladite place de marché, lorsque cette publicité ne permet pas ou permet seulement difficilement à l’internaute normalement informé et raisonnablement attentif de savoir si lesdits produits proviennent du titulaire de la marque ou d’une entreprise économiquement liée à celui-ci ou, au contraire, d’un tiers.
5)      L’exploitant d’une place de marché en ligne ne fait pas un «usage», au sens des articles 5 de la directive 89/104 et 9 du règlement n° 40/94, des signes identiques ou similaires à des marques qui apparaissent dans des offres à la vente affichées sur son site.
6)      L’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31/CE du Parlement européen et du Conseil, du 8 juin 2000, relative à certains aspects juridiques des services de la société de l’information, et notamment du commerce électronique, dans le marché intérieur («directive sur le commerce électronique»), doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à l’exploitant d’une place de marché en ligne lorsque celui-ci n’a pas joué un rôle actif qui lui permette d’avoir une connaissance ou un contrôle des données stockées.
Ledit exploitant joue un tel rôle quand il prête une assistance laquelle consiste notamment à optimiser la présentation des offres à la vente en cause ou à promouvoir celles-ci.
Lorsque l’exploitant de la place de marché en ligne n’a pas joué un rôle actif au sens visé à l’alinéa précédent et que sa prestation de service relève, par conséquent, du champ d’application de l’article 14, paragraphe 1, de la directive 2000/31, il ne saurait néanmoins, dans une affaire pouvant résulter dans une condamnation au paiement de dommages et intérêts, se prévaloir de l’exonération de responsabilité prévue à cette disposition s’il a eu connaissance de faits ou de circonstances sur la base desquels un opérateur économique diligent aurait dû constater l’illicéité des offres à la vente en cause et, dans l’hypothèse d’une telle connaissance, n’a pas promptement agi conformément au paragraphe 1, sous b), dudit article 14.
7)      L’article 11, troisième phrase, de la directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil, du 29 avril 2004, relative au respect des droits de propriété intellectuelle, doit être interprété en ce sens qu’il exige des États membres d’assurer que les juridictions nationales compétentes en matière de protection des droits de la propriété intellectuelle puissent enjoindre à l’exploitant d’une place de marché en ligne de prendre des mesures qui contribuent, non seulement à mettre fin aux atteintes portées à ces droits par des utilisateurs de cette place de marché, mais aussi à prévenir de nouvelles atteintes de cette nature. Ces injonctions doivent être effectives, proportionnées, dissuasives et ne doivent pas créer d’obstacles au commerce légitime.

Produits de soin : l’interdiction absolue de vente sur Internet est-elle illicite ou bien le risque de l’augmentation de la contrefaçon pourrait-il la justifier ?

L’avocat général près de la CJCE vient de rendre ses conclusions, le 2 mars 2011,  à propos de l’interdiction absolue de vendre sur Internet les produits cosmétiques qu’impose le laboratoire Perre Fabre à ses distributeurs.

L’historique de cette affaire soumise au droit de la concurrence est suffisamment compliqué et détaillé à l’arrêt  pour s’y reporter.

Les biens en cause sont « des produits cosmétiques et d’hygiène corporelle qui sont distribués dans le cadre de systèmes de distribution sélective et sont proposés à la vente avec l’avis d’un pharmacien ».

Pierre Fabre entend justifier principalement sa position :

«La conception de ces produits nécessite le conseil d’un spécialiste pharmacien du fait de l’activité de ces produits développés dans une optique de soin. (….) Nos produits répondent à des problématiques de eau particulières, comme des peaux intolérantes, avec un risque de réaction allergique. Nous considérons de ce fait que la vente sur Internet ne répondrait pas aux attentes des consommateurs et des professionnels de santé sur nos produits et par conséquent aux exigences que nous fixons dans nos conditions générales de vente. Ces produits sont aussi recommandés par le corps médical …»

L’avocat général retient que de tels ;

« produits n’étant pas répertoriés comme des médicaments et ne relevant pas, par conséquent, du monopole des pharmaciens, rien ne s’oppose à ce qu’ils soient librement commercialisés en dehors du circuit officinal« .

et de considérer :

qu’une interdiction générale et absolue de vendre sur Internet des biens aux utilisateurs finals, imposée aux distributeurs agréés dans le cadre d’un réseau de distribution sélective, qui prévient ou restreint le commerce parallèle de façon plus extensive que les restrictions inhérentes à tout accord de distribution sélective et qui va au-delà de ce qui est objectivement nécessaire pour distribuer ces produits d’une manière appropriée au regard non seulement de leurs qualités matérielles mais aussi de leur aura ou image, a pour objet de restreindre la concurrence aux fins de l’article 81, paragraphe 1, CE

L’avocat général va aussi écarter successivement l’exemption au titre de l’article 4, sous c), du règlement n° 2790/1999 en refusant d’assimiler l’interdiction de la vente sur Internet à « une interdiction  de déplacer ses locaux/point de vente sans l’autorisation préalable du fabricant » et l’exemption individuelle.

Mais tout n’est pas dit.  Pierre Fabre Santé invoque aussi « le risque accru de contrefaçons de produits en cas de vente sur Internet« .

Certes, l’avocat général indique ne pas être « persuadé que la distribution via Internet de produits contractuels d’un fabricant par un distributeur sélectionné puisse à elle seule aboutir à accroître la contrefaçon, ni que les effets négatifs de telles ventes ne puissent pas être contrecarrés par des mesures appropriées »

Mais il laisse à la Cour l’appréciation factuelle de cette question .

La question reste ainsi ouverte devant la Cour.