Procédure d’opposition à une demande de marque communautaire : le droit antérieur qui repose sur un usage

Différents droits permettent de s’opposer à une demande d’enregistrement de marque communautaire. Parmi ceux-ci, les droits issus de l’usage d’un signe non enregistré, mais leur mise en œuvre est délicate même pour l’OHMI comme le rappelle l’arrêt du 21 janvier 2016, puisqu’il faut distinguer des motifs de l’article 8 du règlement 207/2009  ceux qui relèvent du droit de l’Union et ceux qui sont à examiner selon le droit national.

L’arrêt est .

  • La procédure

27 juillet 2010 : G……. demande l’enregistrement à titre de marque communautaire du signe verbal : HOKEY POKEY pour « confiserie » en invoquant l’ancienneté de la marque britannique HOKEY POKEY déposée le 17 avril 2000 et enregistrée le 22 septembre.

2 novembre 2010 : B……. forme une oppositionen invoquant la marque verbale antérieure non enregistrée HOKEY POKEY, utilisée au Royaume-Uni depuis 1997 pour des produits de « confiserie, à savoir [des] crèmes glacées ».

24 mai 2012 : la division d’opposition rejette l’opposition.

11 juin 2012 : recours de B……. ,

22 novembre 2013 : la quatrième chambre de recours de l’OHMI rejette le recours et confirme la décision de la division d’opposition.

Le 21 janvier 2016, le Tribunal annule la décision de la Chambre de recours.

L’intérêt principal de l’arrêt porte sur la nécessaire motivation de l’OHMI quant à la preuve de l‘étendue du droit antérieur et de sa portée,  et de sa distinction au sens du droit national et du droit de l’Union.

  • L’absence de clarté de la décision de la Chambre de recours sur la situation du droit national tel qu’examiné

34 En l’espèce, en premier lieu, quant au respect de l’obligation de motivation, il convient de constater que la chambre de recours ne précise pas dans la décision attaquée d’une manière suffisamment claire si c’est au regard des critères fixés par un droit national qu’elle a apprécié la quatrième condition prévue à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 et, encore moins, de quel droit national seraient issus les critères au regard desquels elle a effectué cette appréciation.

35 En second lieu, contrairement à ce que l’OHMI indique en réponse aux questions posées par le Tribunal dans le cadre des mesures d’organisation de la procédure, il convient de relever que la décision attaquée, et en particulier ses points 37 à 40 ayant trait à la question de savoir si la requérante a prouvé qu’elle disposait d’un droit antérieur lui conférant le droit d’interdire l’utilisation de la marque HOKEY POKEY par Greyleg, ne contient pas d’indications claires permettant au Tribunal de vérifier si les critères prévus par le droit national applicable ont été effectivement appliqués.

36 En effet, il n’existe aucune présentation des règles nationales au regard desquelles il aurait fallu apprécier la question de l’existence du droit antérieur. ….

37 Dans ces circonstances, le Tribunal n’est pas en mesure de vérifier l’exactitude du raisonnement de la chambre de recours et d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision attaquée.

  • Distinction des motifs selon le droit de l’Union ou selon le droit national

39 ….. la chambre de recours a explicitement mentionné au point 38 de la décision attaquée que les éléments de preuve réunis par la requérante ne suffisaient pas pour démontrer l’utilisation du signe en cause dans la vie des affaires dont la portée n’était pas seulement locale. Or, une telle appréciation relève des première et deuxième conditions prévues par l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009, qui doivent être interprétées à la lumière du droit de l’Union, ainsi qu’il découle de la jurisprudence citée au point 21 ci-dessus, et non de la quatrième condition, qui s’apprécie au regard des critères fixés par le droit qui régit le signe invoqué. Par ailleurs, au point 39 de ladite décision, la chambre de recours a également fait allusion aux première et deuxième conditions prévues à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 en concluant que les éléments de preuve produits par la requérante ne suffisaient pas pour démontrer l’utilisation du signe en cause dans la vie des affaires dont la portée n’était pas seulement locale, après avoir fait référence, au même point, au « préjudice », lequel peut être compris comme renvoyant à la quatrième condition prévue à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 et, par conséquent, à une appréciation au regard du droit national applicable, ce qui rend la compréhension de la motivation de la décision attaquée encore plus difficile.

  • L’OHMI n’aurait-il pas la faculté d’utiliser ses propres opinions (Obiter dictum) ?

40 Contrairement à ce qu’avance l’OHMI dans sa réponse aux questions écrites du Tribunal, la référence au point 39 de la décision attaquée à la deuxième condition prévue à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 ne peut pas être considérée comme un simple obiter dictum, compte tenu du libellé peu clair et équivoque du raisonnement de la chambre de recours aux points 34 à 40 de ladite décision en ce qui concerne l’analyse de la quatrième condition visée à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009.

  • La conclusion

41 Partant, il convient de relever que les incohérences constatées dans le raisonnement de la chambre de recours font en sorte qu’il ne peut pas exister de certitude même quant à la condition visée à l’article 8, paragraphe 4, du règlement n° 207/2009 qui a été examinée dans la décision attaquée. Il résulte de l’ensemble des considérations qui précèdent que la chambre de recours a violé son obligation de motivation en ce qui concerne des éléments du raisonnement qui sont essentiels pour soutenir la conclusion finale, de sorte que la décision attaquée doit être annulée.

Demande en déchéance de marque : pas d’usage de la marque par des échanges entre le franchiseur et ses franchisés

L’action en déchéance de marque communautaire devant l’OHMI contraint le titulaire de la marque à apporter des preuves de son usage. Mais ces preuves peuvent–elles être constituées par des échanges au sein du réseau de distribution ? Explication avec l’arrêt du 9 septembre 2015 du TPEE. L’arrêt est ici.

  • L’action en déchéance était dirigée contre le signe ZARA enregistré pour
    – classe 39 : « Services de transport, distribution (livraison) de produits, emballage et entreposage de marchandises, en particulier d’articles de vêtements, de chaussures et d’accessoires, de parfumerie et de cosmétiques » ;
    – classe 42 : « Restauration (alimentation), hébergement temporaire ».
  • Les preuves apportées
    25 En effet, si la chambre de recours a admis qu’il ressortait de certains des documents fournis par la requérante, à savoir du dossier de presse, de la brochure et des photographies qui y figurent, sur lesquelles se trouvent des camions Avia et Volvo, que son organisation logistique comprenait des services de transport et de distribution de produits destinés à ses filiales et aux franchisés, elle a toutefois estimé que l’utilisation faite de ceux-ci était interne en ce qu’aucun des documents produits ne venait prouver l’importance de l’usage public de la marque contestée et qu’il n’était nulle part fait référence à des clients externes autres que lesdits franchisés. Par ailleurs, tout en ne niant pas que les franchisés soient des entités juridiquement indépendantes, la chambre de recours a néanmoins constaté qu’ils suivaient le même modèle d’entreprise que le franchiseur et en a donc conclu qu’ils étaient intégrés au propre réseau de distribution de ce dernier.

Les points essentiels de l’arrêt du Tribunal  

  • Le critère d’indépendance

32 Néanmoins, si le franchiseur peut, comme le précise le point 189 des lignes directrices sur les restrictions verticales (JO 2010, C 130, p. 1) de la Commission, mettre en place un réseau de distribution uniforme avec ses franchisés qu’il contrôle ou possède en partie, il n’en reste pas moins que ces derniers doivent y être associés et non pas y être totalement intégrés pour être considérés comme totalement indépendants.

33 Il y a lieu de relever que, dans son affidavit du 7 mai 2012, le directeur juridique et secrétaire d’administration de la requérante affirme notamment que la principale caractéristique du modèle de franchise suivi par la requérante est « l’intégration totale des magasins franchisés » aux siens, ce qui implique une « logistique intégrée, qui comprend le transport, l’entreposage et la livraison de la marchandise ». De plus, il indique que le modèle d’affaire de la marque contestée se caractérise par un « niveau élevé d’intégration verticale », sans toutefois le préciser. Partant, cette déclaration tend à démontrer que les franchisés sont intégrés à l’organisation interne de la requérante. En outre, la requérante n’ayant fourni, au cours de la procédure devant l’OHMI, aucun autre élément permettant de démontrer que les franchisés ne sont pas intégrés, mais seulement associés à son réseau de distribution, il y a lieu de conclure que c’est à bon droit que la chambre de recours a pu considérer que, au vu des seuls éléments fournis par la requérante, les franchisés étaient intégrés à son organisation interne, et ce en dépit de leurs statuts de sociétés indépendantes.

34 En tout état de cause, ainsi qu’il résulte des développements qui suivent, les autres éléments de preuve fournis par la requérante ne permettent pas de prouver l’usage public et externe des services de transport.

  • Un examen très minutieux

35 En effet, concernant le second grief de la requérante relatif à la production des éléments de preuve relatifs au chiffre d’affaires généré par la prestation des services de transport, il convient de remarquer que, dans son affidavit, le directeur juridique et secrétaire d’administration de la requérante fait également mention, sous forme de tableaux, d’un ensemble de données chiffrées relatives aux « coûts de transport ajoutés aux prix des vêtements », c’est-à-dire des dépenses réalisées par la requérante en matière de transport afin d’acheminer ses marchandises vers les sièges d’exploitation des franchisés. Il ne fait, en revanche, nullement état du chiffre d’affaires généré par la prestation des services de transport, c’est-à-dire de l’ensemble des recettes réalisé par la requérante au cours d’un exercice comptable pour les services relevant de la classe 39. Certes, lesdites données chiffrées confirment la réalité de l’exploitation de la marque contestée s’agissant de la commercialisation des produits couverts par celle-ci auxquels s’ajoutent les coûts de transport. Néanmoins, elles ne démontrent nullement la réalité de l’exploitation de la marque contestée s’agissant de la prestation des services de transport.

36 Enfin, il convient de relever que les franchisés ont solennellement déclaré que les coûts de transport n’étaient pas facturés séparément, mais ajoutés au prix de chaque article de vente. En effet, la requérante a spécifié que les coûts de transport ne pouvaient pas être identifiés sur les factures produites à titre d’éléments de preuve, car les services et les produits fournis étaient proposés et vendus sous la forme d’un forfait et qu’il découlait de la conclusion des accords de franchise que le coût total du transport était inclus dans le prix des articles de vente. Or, il y a lieu de constater que les factures produites à titre d’éléments de preuve devant la division d’annulation concernent la vente d’articles à des détaillants sis au Royaume-Uni et non pas aux franchisés. De plus, elles ne comportent aucune donnée relative au coût du transport sous la forme d’une quelconque taxe facturée qui viendrait s’ajouter au prix hors taxes de vente. Or, l’établissement d’une facture permet de montrer que l’usage de la marque s’est fait publiquement et vers l’extérieur, et non uniquement à l’intérieur de l’entreprise titulaire de la marque contestée ou dans un réseau de distribution possédé ou contrôlé par celle ci [voir arrêt du 15 octobre 2008, Air Products and Chemicals/OHMI Messer Group (Ferromix, Inomix et Alumix), T 305/06 à T 307/06, EU:T:2008:444, point 47 et jurisprudence citée]. Par conséquent, dans la mesure où la requérante n’a pu produire des factures se rapportant strictement aux services de transport ou sur lesquelles figureraient certaines données qui y seraient relatives, il s’ensuit que c’est à juste titre que la chambre de recours a pu considérer qu’aucun élément de preuve relatif au chiffre d’affaires généré par la prestation de services de transport n’avait été produit devant elle.


39 Il s’ensuit que, à l’instar de l’appréciation de la chambre de recours, la condition tenant à ce que la marque soit utilisée publiquement et vers l’extérieur n’apparait pas remplie en l’espèce.