Un changement méthodologique pour les offices, les avocats et les conseils en propriété industrielle

L’arrêt du 23 janvier 2014 de la Cour de justice va-t-il modifier les habitudes des offices et des praticiens ?

Classiquement, l’appréciation du risque de confusion présuppose à la fois une identité ou une similitude de la marque dont l’enregistrement est demandé et de la marque antérieure et une identité ou une similitude des produits ou services visés dans la demande d’enregistrement et de ceux pour lesquels la marque antérieure a été enregistrée, et qu’il s’agit là de conditions cumulatives.

L’arrêt de la Cour de Justice du 23 janvier 2014 sur un pourvoi contre le jugement du Tribunal de Première Instance du 21 septembre 2012 est d’une grande importance méthodologique pour les offices, les avocats et les conseils en propriété industrielle et apportera par là – même une diminution des honoraires à supporter par les clients.

47 En effet, alors que, au point 58 de l’arrêt attaqué, le Tribunal avait considéré que les signes en conflit étaient globalement différents, malgré leurs similitudes sur les plans visuel et phonétique, il a entendu tirer, quant à la légalité de la décision litigieuse, les conséquences juridiques de l’absence d’examen par la chambre de recours du caractère distinctif des marques antérieures. Il a ainsi relevé, aux points 70 à 72 de cet arrêt, que cette chambre était tenue d’examiner le caractère distinctif accru par l’usage des marques antérieures, conformément à l’article 64, paragraphe 1, du règlement n° 207/2009, ce qu’elle avait omis de faire. Le Tribunal a par conséquent jugé, au point 82 dudit arrêt, que cette erreur impliquait que la chambre de recours avait omis d’examiner un facteur potentiellement pertinent dans l’appréciation globale de l’existence du risque de confusion et, au point 83 du même arrêt, qu’une telle erreur constituait une violation des formes substantielles devant conduire à l’annulation de la décision litigieuse.

48 Ce faisant, en jugeant que l’absence d’analyse, par la chambre de recours, du caractère distinctif accru par l’usage des marques antérieures entraînait la nullité de la décision litigieuse, le Tribunal a exigé de la chambre de recours l’examen d’un élément qui n’était pas pertinent aux fins d’apprécier l’existence d’un risque de confusion, au sens de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009, entre les marques en conflit. En effet, dès lors qu’il avait constaté, préalablement, que les marques en cause étaient globalement différentes, tout risque de confusion était exclu et l’existence éventuelle d’un caractère distinctif accru par l’usage des marques antérieures ne pouvait compenser l’absence de similitude desdites marques.

49 Dans ces conditions, l’OHMI est fondé à soutenir que l’arrêt attaqué est entaché d’une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 8, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009.

50 Il résulte de ce qui précède que, sans qu’il y ait lieu d’examiner les deux autres moyens du pourvoi, l’arrêt attaqué doit être annulé en tant que, par celui-ci, le Tribunal a jugé que la chambre de recours était tenue d’examiner le caractère distinctif accru par l’usage des marques antérieures et qu’il a annulé la décision litigieuse pour ce motif, alors qu’il avait constaté, préalablement, que les marques en conflit n’étaient pas similaires.

La déchéance de marque , une question de calendrier et de délais, la preuve de l’exploitation de la marque communautaire peut être apportée sur le territoire d’un seul Etat membre.

L’arrêt de la Cour de cassation du 21 janvier 2014 montre que la question de la déchéance nécessite d’appliquer rigoureusement les différents délais et que les preuves d’exploitation de la marque communautaire peuvent être valablement retenues dans un seul Etat membre. L’arrêt est ici.

  • la question du calendrier de la déchéance

Vu l’article 51 § 1 du règlement CE n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire, qui codifie l’article 50 § 1 du règlement CE n° 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 ;

Attendu que pour prononcer la déchéance des droits de la société Zed candy sur la marque communautaire « Jawbreaker », à compter du 17 février 2010, pour l’ensemble des produits et services visés par l’enregistrement, l’arrêt retient que les sociétés Zed candy et Brabo France sachant dès le 25 mars 2009, date de l’assignation, qu’elles étaient susceptibles de faire l’objet d’une demande en déchéance de cette marque, les pièces postérieures au 25 décembre 2008, qu’elles ont produites pour justifier de l’usage de la marque, doivent être écartées des débats ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la demande reconventionnelle en déchéance ayant été formée le 20 octobre 2010, seules les pièces susceptibles de justifier d’un usage de la marque communautaire « Jawbreaker » postérieurement au 20 juillet 2010, étaient dénuées de caractère pertinent, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

  • Le territoire en prendre pour la preuve de l’exploitation de la marque communautaire en compte peut être celui d’un seul Etat

Et sur ce moyen, pris en sa quatrième branche :

Vu les articles 15 § 1 et 51 § 1 du règlement CE n° 207/2009 du Conseil du 26 février 2009 sur la marque communautaire, qui codifient les articles 15 §1 et 50 § 1 du règlement CE n° 40/94 du Conseil du 20 décembre 1993 ;

Attendu que pour statuer comme il fait, l’arrêt retient encore que la capture d’écran du site internet www.zegdum.com datée du 11 juin 2009, qui faisait apparaître des paquets de bonbons présentés sous diverses appellations contenant le terme « Jawbreaker », mentionnait les prix en livres sterling et ne permettait pas d’établir un usage sérieux de la marque communautaire « Jawbreaker » dans la Communauté ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors que l’appréciation de l’usage sérieux d’une marque communautaire doit s’opérer abstraction faite des frontières du territoire des Etats membres et peut, dans certaines circonstances, résulter de l’exploitation de la marque sur le territoire d’un seul Etat membre, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a prononcé la déchéance, à compter du 17 février 2010, des droits de la société Zed candy limited sur la marque communautaire « Jawbreaker » n° 10 55177 pour l’ensemble des produits et services visés, l’arrêt rendu le 9 novembre 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Dépôt frauduleux de marque, à propos de la date des dépôts effectués et de la situation antérieure du déposant

La qualification de dépôt frauduleux de marque dépend de  nombreux facteurs. L’arrêt de la Cour de cassation du 21 janvier 2014 enseigne que les circonstances à prendre à compte ne doivent pas nécessairement être limitées à celles existantes au jour des dépôts litigieux. Cet arrêt montre aussi que l’appréciation du caractère distinctif de la marque peut tenir compte de la réglementation applicable au secteur concerné mais que celle-ci doit être lue à la lettre près.

La Cour de Paris par un arrêt du 14 septembre 2012 a annulé différentes marques déposées par le PMU : les marques verbales « simple», « couplé », « trio », « tiercé », « quarté+ », « quinté+ », « 2 sur 4 » et « multi »

Cet arrêt fait l’objet d’une cassation partielle le 21 janvier 2014. L’arrêt est ici

  • Une compréhension de la loi  à la lettre près

Vu la loi n° 2010-476 du 12 mai 2010 et l’arrêté du 13 septembre 1985 dans sa rédaction applicable, ensemble les articles L. 711-2 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour annuler, pour défaut de caractère distinctif, les marques verbales « simple», « couplé », « trio », « tiercé », « quarté+ », « quinté+ », « 2 sur 4 » et « multi », la cour d’appel retient que ces signes constituent les désignations officielles des paris hippiques réglementés par des arrêtés ministériels s’imposant à tout opérateur exerçant une activité de pari hippique ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que les arrêtés ministériels ayant autorisé les paris « simple », « couplé », « trio », « tiercé », « quarté+ », « quinté+ », « 2 sur 4 » et « multi » ne font qu’en définir les règles et que les opérateurs de paris en ligne sont soumis exclusivement aux exigences de la loi relative à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne laquelle ne fait pas référence à ces désignations, la cour d’appel a violé les textes susvisés ;

  • la prise en compte de la situation antérieure aux dépôts litigieux

Sur le premier moyen, pris en sa onzième branche :

Vu l’article L. 712-6 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour annuler les marques verbales « simple », « couplé », « trio », « tiercé », « quarté+ », « quinté+ », « 2 sur 4 » et « multi », la cour d’appel retient que le PMU les a déposées de mauvaise foi dans l’intention de conserver le monopole dont il bénéficiait avant la loi du 12 mai 2010 et de priver les tiers d’un signe nécessaire à la poursuite de leurs activités ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, alors qu’aux dates auxquelles ces marques ont été déposées, le PMU exploitait depuis 2001 et 2002 des marques semi-figuratives incorporant ces signes verbaux, qu’il a continué à utiliser ces derniers ultérieurement et n’a perdu son monopole que pour l’organisation des paris hippiques en ligne, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

Sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :

Vu l’article 455 du code de procédure civile ;

Attendu que pour annuler les marques semi-figuratives « simple », « couplé », « trio », « tiercé », « quarté+ », « quinté+ », « 2 sur 4 » et « multi », la cour d’appel, après avoir constaté que les éléments verbaux de ces marques remplissaient la fonction essentielle de la marque qui est de permettre au public concerné de reconnaître sans confusion possible le produit ou le service et de le différencier d’autres produits de même nature, retient que ces marques sont nécessaires pour désigner les produits ou services enregistrés, lesquels se référent aux paris sur les courses hippiques ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, par des motifs contradictoires, la cour d’appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;

Et sur le second moyen, pris en sa quatrième branche :

Vu les articles L. 712-6 et L. 714-3 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour annuler les marques semi-figuratives « simple », « couplé », « trio », « tiercé », « quarté+ », « quinté+ », « 2 sur 4 » et « multi », la cour d’appel retient que le PMU les a déposées de mauvaise foi dans l’intention de conserver le monopole dont il bénéficiait avant la loi du 12 mai 2010 en détournant le droit des marques de sa finalité ;

Attendu qu’en se déterminant ainsi, sans rechercher si, à la date du dépôt des marques litigieuses le 7 juin 2001 et le 31 décembre 2002, le PMU pouvait avoir connaissance de la future ouverture à la concurrence des paris en ligne, la cour d’appel a privé sa décision de base légale ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a annulé les marques verbales « simple » n° 083619823, « couplé » n° 083549359, « tiercé » n° 083549357, « trio » n° 083549362, « quarté+ » n° 083549356, « quinté+ » n° 083549354, « 2 sur 4 » n° 083549363 et « multi » n° 083549360 et les marques semi-figuratives « multi » n° 013104291, « simple » n° 023202259, « couplé » n° 023202257, « trio » n° 023202258, « tiercé » n° 023202260, « quarté+ » n° 023202263, « quinté+ » n° 023202261, « 2 sur 4 » n° 023202262, l’arrêt rendu le 14 septembre 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

Règle de la forclusion de l’action en contrefaçon contre une dénomination sociale

L’action en contrefaçon de marque connaît des règles spécifiques selon la nature des signes en cause.

Illustration avec l’arrêt du 7 janvier 2014 pour la forclusion par tolérance. L’arrêt est ici.

Vu l’article L. 716-5 du code de la propriété intellectuelle ;

Attendu que pour déclarer irrecevable dans sa totalité l’action en contrefaçon formée par la société Cheval Blanc, l’arrêt retient que cette société a toléré, pendant plus de cinq ans avant la date de l’assignation, l’usage du signe « Cheval Blanc » ;

Attendu qu’en statuant ainsi, alors que la forclusion par tolérance ne peut être opposée à une action en contrefaçon de marque dirigée contre une dénomination sociale, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu’il y ait lieu de statuer sur le dernier grief :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il a rejeté la demande en nullité de la marque « domaine du Cheval Blanc » n° 1 291 368 et de la marque semi-figurative n° 033205896, en ce qu’il a déclaré la société Cheval Blanc irrecevable en son action en contrefaçon de sa marque « Cheval Blanc » n° 1 301 809 à raison de l’utilisation du vocable « Cheval Blanc » dans la dénomination sociale de l’Earl X… de Cheval Blanc, l’arrêt rendu le 10 septembre 2012, entre les parties, par la cour d’appel de Bordeaux ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Bordeaux autrement composée ;

Menace sur le dispositif en faveur de la numérisation des livres non exploités

Le Conseil d’Etat a saisi le Conseil constitutionnel d’une QPC qui vise les articles L134-1 à 134-8 du Code de la propriété intellectuelle CPI.

C’est tout l’édifice de la loi qui est menacé.

La décision du 19 décembre 2013 est ici.

2. Considérant que l’article 1er de la loi du 1er mars 2012, en créant les articles L. 134-1 à L. 134-9 du code de la propriété intellectuelle, a institué un dispositif destiné à favoriser l’exploitation numérique d’oeuvres reproduites dans des livres publiés en France avant le 1er janvier 2001, ne faisant plus l’objet d’une diffusion commerciale par un éditeur et ne faisant pas actuellement l’objet d’une publication sous une forme imprimée ou numérique ; que, sauf pour les auteurs ou éditeurs de ces oeuvres, qualifiées par la loi de  » livres indisponibles « , à exercer un droit d’opposition ou de retrait dans les conditions prévues par cette même loi, le droit d’autoriser leur reproduction ou leur représentation sous une forme numérique est exercé, à l’issue d’un délai de six mois à compter de leur inscription au sein d’une base de données accessible au public placée sous la responsabilité de la Bibliothèque nationale de France, par des sociétés de perception et de répartition des droits agréées à cet effet par le ministre chargé de la culture ;

…..

Décide

Article 1er : La question de la conformité à la Constitution de l’article 1er de la loi du 1er mars 2012, en tant qu’il insère dans le code de la propriété intellectuelle les articles L. 134-1 à L. 134-8, est renvoyée au Conseil constitutionnel.